Hausse des tarifs de la SNCF : quand les usagers font les frais de la mauvaise gestion de l’entreprise <!-- --> | Atlantico.fr
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Les tarifs vont augmenter de 2,6% au 1er janvier
Les tarifs vont augmenter de 2,6% au 1er janvier
©Reuters

Dommages collatéraux

Vendredi 26 décembre, la SNCF a annoncé une augmentation de 2.6% de ses tarifs sur l'ensemble des lignes nationales en 2015, très supérieure à l'inflation (qui est de seulement 0.3% cette année). Un impératif qui fait écho aux nombreux rapports de la Cour des comptes sur les mauvais choix d'investissement de l'entreprise,ainsi que sa dette qui s'élève à 40 milliards d'euros, l'obligeant à recourir au porte-monnaies de ses usagers.

Raymond Woessner

Raymond Woessner

Raymond Woessner est Professeur de Géographie, responsable du Master Transports, Logistique, Territoire, Environnement à la Sorbonne. Il a notamment écrit La France : l’aménagement des territoires, aux éditions A. Colin, 2008, et Mutation des systèmes productifs, chez Atlande en 2013.

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Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : Quels sont les choix politiques dans la gestion de la SNCF qui ont forcé la compagnie à une telle augmentation ? 

Raymond Woessner : Avec la réforme ferroviaire de 2014, la SNCF prend RFF dans son giron. Or, en 1997, RFF avait hérité de la dette de la SNCF, et cette dette n'a fait qu'augmenter depuis. La situation est donc plutôt critique : la dette de l'entreprise vogue vers les 40 milliards d'euros et les perspectives de bénéfices sont faibles. En effet, le fret ferroviaire reste dans un trou noir. Les Régions se rebellent et veulent moins payer pour combler les déficits d'exploitation des TER.

Enfin, le joyau de la SNCF, c'est-à-dire le TGV, voit ses profits diminuer en même temps que les revenus des Français, qui se tournent de plus en plus vers le covoiturage. Bien sûr, la SNCF allume des contre-feux, en se mettant à l'autocar avec IDBus, en développant son propre site de covoiturage et en exploitant un TGV low cost au départ de Marne-la-Vallée. Mais cela ne fait pas le compte, notamment parce que les dépenses d'infrastructure sont tout simplement énormes. Très schématiquement, il faudrait doubler le prix des péages qui représentent déjà 30% du prix d'un billet environ, ou supprimer 50% du réseau ferré pour parvenir à l'équilibre. Outre les travaux d'entretien et de réfection des voies ferrées et des ouvrages d'art, les gares les plus fréquentées sont surchargées. Il faut en améliorer les accès ou bien envisager une augmentation de leurs capacités en souterrain, ce qui coûte des milliards.

Pour les quatre nouvelles lignes LGV dont les travaux vont bientôt toucher à leur fin, les financements sont bouclés par des partenariats publics privés (PPP) avec les grands groupes français du BTP. Tours-Bordeaux va ainsi coûter environ 8 milliards d'euros. Là encore, les péages risquent de devenir exorbitants, donc le prix du billet sera inaccessible, et les TGV seront vides !

La Cour des comptes à de nombreuses fois épinglé la politique d'investissement de la SNCF, évoquant des projets de lignes TGV peu cohérentes et non rentables (notamment avec la ligne Sud-Atlantique ; voir ici en pdf). En quoi la gestion actuelle est-elle déficiente, quels sont les coûts réels supportés par la SNCF ?

Alain Bonnafous : Plus que la rentabilité qui va décroissant pour les nouvelles lignes à grande vitesse, ce qui est en cause ici est le besoin de financement public de notre système ferroviaire. On entend parfois dire que cette contribution publique, qui pèse en tout plus de 12 milliards d’euros, est du même ordre que celle que reçoivent les opérateurs en RFA, ce qui est vrai. Mais on omet de préciser que c’est pour un nombre de trains-km plus important de 83 % outre Rhin. On sait bien que de telles comparaisons sont délicates car il n’y a pas deux systèmes ferroviaires semblables, mais cette comparaison avec l’Allemagne, comme d’autres avec la Suisse ou le Royaume Uni, suggère que notre système ferroviaire est très coûteux pour nos finances publiques.

On lui demande donc d’être moins gourmand en subvention et, comme les progrès de productivité compensent à peine la dérive salariale (également dénoncée par la Cour des Comptes), il ne reste plus que la ressource qui consiste à augmenter les tarifs.

Comment aurait-on pu éviter cette impasse, en épargnant aux usagers une augmentation des tarifs ?

Alain Bonnafous : Tout simplement des progrès de productivité plus vigoureux que la dérive des coûts, en particulier des coûts salariaux poussés par le fameux "glissement vieillesse-technicité". Cela suppose une réforme profonde du dispositif qui organise le travail. Ce n’est pas tant le problème du statut du cheminot qui est ici en cause que le RH 0077, un règlement qui organise le travail (et le repos) où se sont accumulées pendant des décennies des "conquêtes sociales" qui, en pratique, rendent très difficiles les progrès de productivité. Il est plus facile de tirer les tarifs vers le haut, d’autant que le transport ferroviaire n’est pas si cher en France que le suggère une idée très répandue mais qui ne résiste pas aux comparaisons internationales.

Il sera intéressant de comparer l’agitation qu’a pu provoquer l’augmentation en 2015 de 0,57 % des péages autoroutiers à celle que provoquera cette augmentation de 2,6 % des tarifs ferroviaires.

Raymond Woessner : Il faut prendre en compte le fait que la billetterie ne couvre que le tiers environ du coût total d'un système de transport urbain sur rail. Il appartient aux collectivités organisatrices de transport urbain, ainsi qu'à l'Etat dans le cas de la SNCF et de la RATP, de combler ce déficit. Dès lors, les exploitants font pression pour améliorer le fonctionnement du système avec de meilleures infrastructures, une signalétique qui permet de faire rouler des trains de plus en plus rapprochés, et ainsi de suite. Il existe bien entendu des projets pour arracher le système à la saturation, notamment à travers des Schémas directeurs. Par exemple, sur le RER B à partir de 2009, le fait de garder le même conducteur au lieu d'en changer à Gare du Nord, aurait dû permettre d'améliorer la ponctualité de 20%. Mais dans les faits, la conduite du train est extrêmement différente sur la partie RATP et la partie SNCF de la ligne, ce qui fait que les conducteurs, certes devenus polyvalents, ne baignent pas dans la culture de l'autre entreprise. Ils rencontrent finalement toute une série de micro-soucis qui continuent à plomber les performances. C'est pourquoi, en 2013, a été créée une DLU, une Direction de Linge Unifiée, qui planche sur des dizaines de problèmes, dont la résolution peut entraîner de nouveaux ennuis ! Et comment se dépêtrer de certains problèmes ? Le tunnel entre la Gare du Nord et le Châtelet est le plus fréquenté d'Europe avec 32 trains par heure et par sens. Le moindre retard est impossible à rattraper – avec un voyageur qui bloque une porte, par exemple - et il peut avoir des conséquences très négatives pour la journée entière. Une étude commanditée en 2011 a mis en évidence un coût pharaonique (et confidentiel) pour l'élargissement ou le creusement d'un nouveau tunnel. Finalement, le projet CDG Express pourrait sauver la situation au nord de Paris. Son devis est de 1,7 milliard d'euros…

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