Ça va péter : et les points chauds 2015 de la planète sont…<!-- --> | Atlantico.fr
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Les relations entre l'Ukraine et la Russie resteront sous haute-tension en 2015.
Les relations entre l'Ukraine et la Russie resteront sous haute-tension en 2015.
©Reuters

Compte à rebours

A partir du contexte mondial actuel et des objectifs stratégiques des puissances militaires engagées, étatiques comme terroristes, il est possible d'identifier par avance les zones les plus susceptibles de connaître une explosion de violence.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Russie-Ukraine

Alain Rodier : Sur le plan économique, ce qui est en train de se passer en résultante de la crise ukrainienne, est une véritable catastrophe. Nous sommes désormais dans une logique de "perdants - perdants" en dehors des États-Unis qui ne sont pas autant liés que l'Europe occidentale à la Russie. Washington pense que la protection assurée par l'OTAN dont ils sont les premiers contributeurs, vaut bien quelques sacrifices de la part des pays ainsi "protégés".

Si les objectifs de Washington (faire tomber Poutine et contraindre la Russie à rentrer dans le rang des puissances moyennes) et de Moscou (échapper à l'étranglement américain qui se fait en partie grâce à l'OTAN et aux sanctions économiques) sont clairs, ceux des pays européens le sont moins. Certes, la Pologne et les pays Baltes (et plus enfoui au sein de la conscience collective allemande) ont un lourd contentieux historique avec Moscou, héritage des abominations de la Seconde guerre mondiale et des accords de Yalta qui ont partagé le monde en deux. D'un côté le monde communiste - avec toutes les privations que cela impliquait, non seulement au plan économique mais dans celui des libertés individuelles - auquel appartenaient les Pays Baltes, la Pologne et l'Allemagne de l'Est, de l'autre le monde libre. Il est donc aisé de comprendre les ressentiments des peuples et des gouvernants de ces États qui dépassent de loin leurs intérêts actuels. La défiance est leur règle de base, les Russes restant "l'Ennemi" menaçant. Il faut dire que les réseaux d'espionnage entretenus par les services secrets russes héritiers du KGB (FSB, SVR et GRU) découverts récemment en Europe occidentale ne sont pas là pour rassurer.

Certains pays, dont la France, semblent avoir enfin compris "jusqu'où il ne fallait pas aller trop loin". Il n'en reste pas moins que la situation passionnelle qui prévaut au début 2015, particulièrement en Ukraine - et ce dans les deux camps -, va continuer d'être explosive.

Pour tenter de comprendre, il faut revenir à quelques fondamentaux :

- jamais Moscou n'abandonnera la Crimée considérée comme vitale sur le plan stratégique en raison de l'obsession de l'encerclement de la Russie et l'accès aux mers chaudes; les raisons "historiques" avancées sont plus sujettes à caution;

- le Dombass peut éventuellement être "négocié" mais ce sera long et difficile, surtout pour les populations locales;

- la Russie est plongée dans une crise économique de première importance et les solutions d'ouverture vers la Chine et autres pays d'Asie Centrale ne sont viables qu'à long terme;

- rien ne peut se faire sur des théâtres excentrés (Syrie, Irak, Iran) sans la Russie;

- les grands perdants, non seulement sur le plan économique, ce qui va être ravageur pour les citoyens, mais aussi sur le plan politique, l'Europe ayant fait preuve de sa cacophonie et de son alignement sur Washington, seront les pays européens.

Pays Baltes-Russie-Asie centrale

Alain Rodier : Les incidents aériens ne sont que des gesticulations (de part et d'autre) destinées à influencer les opinions publiques (400 avions de combat russes ont été interceptés cette année en Lettonie, Kazakhstan, Moldavie et Estonie, ndlr)). Par contre, plus ils se multiplient, plus le risque d'accident augmente avec des conséquences imprévisibles. C'est à se demander s'il n'en faudrait pas un - à souhaiter sans pertes humaines - pour ramener les dirigeants politiques à la raison. Il semble qu'il y a des "docteurs Folamour" dans les deux camps. Je ne pense pas au président Obama mais aux néocons américains que l'on trouve aussi bien chez les Républicains que chez les Démocrates (au premier rang desquels se trouve Hillary Clinton). Aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne pense pas non plus au président Poutine qui a une grande expérience à l'international et des vues beaucoup plus larges que ne le laissent entendre de nombreux observateurs politiques. S'il devait être renversé, il est fort probable qu'il serait remplacé par un nationaliste beaucoup plus intransigeant et beaucoup plus agressif que lui.

Conséquence en chaîne de la chute du rouble (causée en partie par la baisse du prix du baril de pétrole)

Alain Rodier : La chute du rouble est catastrophique. Le président Poutine est bien optimiste quand il parle de "deux ans" pour passer ces temps difficiles. Mais il est dans son rôle de "protecteur" du peuple russe. Cela dit, plusieurs remarques s'imposent :

- la baisse des cours du pétrole est le résultat de la volonté de l'Arabie saoudite et de ses alliés du Golfe persique;

- les Saoud s'en prennent ainsi aux Américains accusés de se désintéresser du royaume, peut-être au profit de Téhéran, et pour saborder l'exploitation du gaz de schiste qui va bientôt leur donner une totale indépendance énergétique;

- les Russes sont aussi visés car leur soutien indéfectible aux régimes chiites de Bagdad et de Damas passe mal. Là, Washington jubile mais se trompe sur la capacité de résilience du peuple russe; à savoir que ce dernier tiendra et fera bloc autour de ses dirigeants.

- Enfin, l'Iran, l'adversaire prioritaire de Riyad, voit ses revenus diminuer d'autant et accentuer la crise économique que traverse le pays. Mais là, la remarque est la même que pour le peuple russe.

Effet collatéral, la recherche de nouvelles sources d'hydrocarbures en eaux profondes devient trop coûteuse et les compagnies pétrolières européennes se trouvent ainsi impactées. En ce qui concerne le Venezuela, cela n'intéresse pas grand monde...

Pour résumer, les femmes et les hommes politiques français qui font constamment référence au général de Gaulle, même celles et ceux qui sont les filles et fils spirituels de ses opposants les plus farouches, feraient bien d'étudier l'Histoire récente. La salutaire indépendance nationale, au moins sur le plan de la politique étrangère, est la pierre angulaire de la grandeur de notre pays. Je n'ose écrire le mot Patrie, il paraît que c'est ringard et pourtant, il a été mis en exergue durant la Révolution : "la Patrie en danger". C'est certainement encore le cas aujourd'hui.

Îles Diaoyu/Senkaku, éternel litige entre la Chine et le Japon

Jean-Vincent Brisset : Le principal objet de litige maritime n'est pas celui des Senkaku, mais plutôt celui de la Mer de Chine du Sud. Ce dernier implique plusieurs pays et, surtout, donne à Pékin plus de possibilités de grignotage et d'expansion non violente et sans risque de condamnation internationale. Concernant les Senkaku, il s'agit d'un problème bilatéral, ce qu'affectionne particulièrement Pékin et, surtout, il est très populaire dans l'opinion publique chinoise, toujours très réceptive dès qu'il s'agit de stigmatiser le Japon. Les problèmes de politique intérieure demeurent très importants pour Xi Jingping, qui, malgré les titres officiels, semble avoir encore des soucis de gouvernance et recourt donc aux artifices classiques : mise en avant de l'ennemi extérieur héréditaire et lutte contre la corruption.

Ceci n'empêche pas le conflit sur les îlots de la mer de Chine Orientale de risquer une aggravation. Tant que la Chine ne connaitra pas de problèmes intérieurs graves, son gouvernement ne cherchera pas à provoquer de vrais affrontements avec le Japon. Quelques décennies plus tôt, Deng Xiaoping avait déjà découvert la possibilité de surfer sur ce litige, mais son pragmatisme l'avait amené à repousser la  mise en exergue du problème. Aujourd'hui, Xi reste aussi en capacité de piloter le niveau de revendications. La difficulté, qui n'est pas limitée à ce litige particulier, est dans l'absence de possibilité de gérer de façon fine et "professionnelle" la présence chinoise qui serait juste nécessaire pour maintenir la pression sans incidents. Les marins chinois, militaires, agences d'Etat ou pêcheurs, qui sont maintenus dans la zone ont déjà démontré qu'ils n'avaient pas toujours les capacités professionnelles et/ou les équipements permettant des actions "d'agacement" sans faire courir le risque d'un dérapage. Il y a déjà eu des arraisonnements, des collisions, des tirs, des morts. Un dérapage aux conséquences imprévisibles demeure toujours possible.    

Querelles entre la Chine et le Vietnam, les Philippines et la Malaisie

Jean-Vincent Brisset : 40% du trafic mondial de marchandises transite par la mer de Chine du Sud. Tout conflit d'importance dans cette mer aurait des répercussions dans le monde entier. Mais ni la Chine, ni aucun des riverains plus proches ne cherche à transformer ces litiges en conflit ouvert. Mais les risques de dérapage cités plus haut sont encore plus sérieux qu'avec le Japon, les lacunes opérationnelles des riverains s'ajoutant, dans ce cas, à celle des Chinois.

La stratégie de Pékin consiste à s'imposer tranquillement, en déclarant que toute la zone lui appartient et en intensifiant sa présence. Ceci se traduit par la pose de  bornes de souveraineté, la construction d'îlots artificiels, l'envoi de "pêcheurs" à proximité immédiate des côtes des riverains. Face à cette "force tranquille", les riverains ont peine à s'organiser. Ils n'ont pas réussi à mettre au point une réponse commune. La diplomatie chinoise, on ne le dira jamais assez, excelle dans les rapports bilatéraux avec des pays plus petits, alors qu'elle est tétanisée dès qu'il s'agit de s'affronter à de grandes organisations multilatérales, qu'elle s'acharne toujours à diviser en exploitant des rapports particuliers avec un maillon faible. Elle a ainsi réussi à trouver des complicités  de fait au sein de l'ASEAN (Cambodge en particulier), qui lui ont permis de saboter toutes les tentatives faites par les membres directement concernés de l'organisation. Ceux-ci ne trouvent pas non plus de moyens de se défendre par le biais des organisations internationales qui, malgré des plaintes étayées, répugnent à traduire un pays de la taille de la Chine devant des instances de justice.

Qu'il s'agisse de Mer de Chine Orientale ou du Sud, les "agressions" de Pékin ont aussi pour résultat, très contre-productif, de pousser les pays qui se considèrent comme menacés à rechercher des aides extérieures, en particulier celle des Etats-Unis. Ceux-ci qui avaient perdu beaucoup de leur influence et de leur capacité de présence militaire dans la zone sont en train d'y regagner beaucoup de terrain. Mais les problèmes de la Chine avec ses voisins immédiats ne se limitent pas aux deux Mers de Chine. L'esprit de revanche contre les "Traités Inégaux" demeure, même si les revendications sont actuellement mises sous le boisseau, dans l'attente d'une modification des rapports de force. Ces revendications concernent plusieurs millions  de kilomètres carrés et la quasi-totalité des 14 riverains terrestres. Une grande partie de ces territoires sont actuellement des possessions russes ou ont fait partie (Asie Centrale et Mongolie) de la sphère soviétique. Si les risques de conflit à court et moyen terme sont limités, il est par contre certain que la volonté de récupération demeure profondément ancrée, tant dans l'esprit des dirigeants que dans la culture même du pays.

La possibilité d'une implosion du régime nord-coréen

Jean-Vincent Brisset : Afficher des certitudes sur l'avenir du régime nord-coréen ne relève pas de la géopolitique sérieuse. On devine simplement que la direction du pays est gérée par des clans et que se mêlent en  permanence des conflits de pouvoir et des intérêts communs.

Depuis soixante ans, les spéculations sur la santé des dirigeants, en particulier celle des Kim père, fils et petit-fils, sont autant le pain quotidien des services de renseignements sud-coréens (et américains), qu'une abondante matière pour les médias. Les apparitions/réapparitions non explicables des chefs successifs de la dynastie sont très probablement autant dues à des raisons médicales qu'à une méthode de gestion des luttes de pouvoir qui rappellent davantage la saga des Borgia que le fonctionnement des démocraties occidentales.

La mort de Kim Il Sung a été relativement soudaine et la mise en place de son fils comme dirigeant absolu a été rapide, alors qu'elle ne semblait pas avoir été longuement préparée. Jong Un semble avoir pris fermement en main les rênes du pouvoir. Mais, tout comme on ne savait pas qu'il était l'héritier désigné, on ne sait pas s'il a déjà choisi et préparé un successeur. Toutes les hypothèses demeurent donc ouvertes s'il venait à disparaître rapidement. Succession ordonnée d'un membre de la famille, prise du pouvoir - plus ou moins violente - par un clan au détriment des autres, mise en place d'une direction collégiale mettant ses intérêts au-dessus de ses divergences... tout est envisageable. Dans l'état actuel de sujétion intellectuelle et physique qui semble être celui de la population, on peut juste penser que le passage brutal à une démocratie est difficilement imaginable et qu'une implosion complète du régime serait suivie, dans un premier temps, d'un certain chaos.

Irak-Syrie

Alain Rodier : La situation sur le front syro-irakien est figée depuis quelques semaines. Les forces de Daech ne parviennent plus à progresser pour plusieurs raisons :

- leurs forces sont arrivées aux confins des territoires peuplés majoritairement de sunnites. Il leur est donc impossible de pénétrer plus avant en territoires kurdes et chiites car, même s'ils remportaient des victoires militaires, la gestion des zones conquises serait ensuite extrêmement difficile voire impossible. A savoir que leurs effectifs - estimés entre 30 000 et 40 000 activistes - ne sont pas suffisants pour effectuer un quadrillage efficace du terrain.

- Les bombardements des forces de la coalition empêchent les troupes de Daech de se regrouper pour effectuer des opérations d'envergure. Les colonnes de véhicules 4X4 sont des cibles trop faciles pour l'aviation. De plus, les forces coalisées s'attaquent à la logistique du mouvement, ce qui lui retire ce qui faisait sa force : la mobilité. La parade pour les djihadistes de Daech consiste à se fondre dans la population, particulièrement dans les localités.

- Des premiers signes de "ras-le-bol" apparaissent dans les populations soumises à l'occupation de Daech. La présence des djihadistes internationalistes commence à être mal ressentie, particulièrement en Syrie où une grande partie du peuple considère que ce mouvement est venu de l'étranger (ce qui n'est pas faux puisque l'Etat Islamique est né en 2006 en Irak). Dans un premier temps, Daech a tenté de "gagner les cœurs et  les esprits" des populations sunnites en fournissant éducation (islamique), biens de première nécessité, santé et sécurité : les délinquants sont impitoyablement châtiés selon les règles de la charia, mais également les homosexuels, les couples infidèles, les blasphémateurs, sans compter les fidèles des autres religions). L'accent est désormais mis sur la terreur. Non seulement les adversaires sont massacrés, mais même ceux qui "peuvent représenter un risque" comme les anciens membres des administrations et, bien sûr des forces de sécurité, sont aussi raflés, emprisonnés voire assassinés.

Par contre, le Front Al-Nosra, le bras armé d'Al-Qaida "canal historique" est passé à l'offensive. Ce mouvement est en train d'établir son propre "califat" au nord-ouest de la Syrie. Au sud, il est très actif sur la frontière libanaise et sur le plateau du Golan. Pour l'instant, les forces de Daech sont quasi absentes de ces régions (en dehors de groupuscules se réclamant désormais du "calife Ibrahim"). Daech est en conflit ouvert avec le Front Al-Nosra mais cela pourrait ne pas durer. Déjà, des coopérations entre leaders locaux ont lieu sur le terrain. D'autre part, Al-Qaida "canal historique" persiste dans son idée de négocier une trêve, voire une "sainte alliance" contre la coalition les forces "impies" et les apostats". Bien que Daech ait assassiné les envoyés d'Al-Zawahiri, il n'est pas impossible dans l'avenir, surtout si l'Etat Islamique commence à se sentir sur la défensive, qu'un accord intervienne. La menace serait alors décuplée. Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour l'instant, c'est la logique de l'affrontement entre Al-Zawahiri et Abou Bakr al-Baghdadi qui prévaut.

Yémen

Alain Rodier : Le Yémen est en train de se scinder en deux : au nord-ouest, les régions contrôlées par les tribus al-Houthi (chiites) soutenues en sous-main par l'Iran et au sud, les sunnites épaulés par les djihadistes d'Al-Qaida "canal historique". A noter que Daech ne semble pas encore être présent sur zone, Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) restant la branche la plus fidèle à Al-Zawahiri. L'Arabie saoudite regarde avec inquiétude l'évolution de la situation. En fait, ce sont deux de ses ennemis qui s'affrontent : d'un côté, les al-Houthi représentant les intérêts de Téhéran; de l'autre, AQMI qui souhaite étendre la rébellion dans le royaume. Les anciens djihadistes ayant combattu sur le front syro-irakien pourraient jouer un rôle prioritaire dans cette volonté de déstabilisation de la famille royale à partir de leurs bases arrières implantées au Yémen.

Quant au gouvernement yéménite appuyé par Riyad et Washington, il est obligé de composer avec les al-Houthi qui se sont emparés de la capitale Sanaa. Ce n'est plus un jeu de billard à trois bandes mais à cinq, voire plus! Là comme sur le Front syro-irakien, les Américains se retrouvent, de fait, les alliés des Iraniens pour "casser" de l'islamisme radical (Daech et Al-Qaida "canal historique") sous le regard inquiet (et la participation symbolique en Syrie) des Saoud...

Afghanistan-Pakistan

Alain Rodier : Le départ des forces de l'OTAN à la fin 2014 (les Américains devant laisser un peu plus de 10 000 "conseillers") est le fait majeur que les talibans afghans attendent depuis longtemps. Une fois l'hiver passé (le climat très rude de ce pays empêche toute action militaire d'envergure avant le printemps), les taliban afghans vont passer à l'offensive contre le régime en place à Kaboul. L'armée et les forces de police afghanes, peu motivées, ne vont pas tenir très longtemps sauf si les Américains se rebiffent comme en Irak. Pour mémoire, il avait fallu un peu plus de deux ans aux rebelles afghans pour chasser le régime communiste du président Najibullah en place à Kaboul après le départ des Soviétiques en 1979. Cela risque d'être plus rapide en Afghanistan d'autant qu'il est théoriquement prévu que les Américains n'auront plus que 5 000 "conseillers" en 2015 et zéro en 2016 (en dehors de la mission militaire en poste à l'ambassade).

Les services secrets pakistanais (ISI) soutiennent les talibans afghans car leur objectif consiste à chasser le pouvoir en place à Kaboul jugé trop proche de l'ennemi numéro un du Pakistan: l'Inde. De plus, l'Afghanistan est traditionnellement considéré par l'armée pakistanaise comme sa "profondeur stratégique" en cas de conflit avec l'Inde. Mais, l'ISI est débordé par le TTP, (Tehreek Taliban Pakistan, les taliban pakistanais) qui veulent établir un pouvoir islamique radical à Islamabad. La politique qui consiste à définir des "bons" talibans - qui vont reconquérir l'Afghanistan - et des "mauvais" talibans - qui s'attaquent au pouvoir pakistanais - se retourne contre son maître. Il s'ensuit une instabilité grandissante qui se traduit par  des attentats de masse qui devraient perdurer en 2015. Cela dit, le TTP a également des problèmes internes. On retrouve à son niveau l'opposition qui existe entre al-Qaida "canal historique" et Daech. L'émir du TTP, le Maullana Fazlullah reste fidèle au Mollah Omar (le leader spirituel des talibans afghans et d'Al-Qaida "canal historique") alors que nombre de ses subalternes font dissidence et certains font allégeance au "calife Ibrahim". Cette dissension interne débouche sur une concurrence dans le domaine de l'horreur Tous les symboles peuvent être visés: les églises, les mosquées chiites, les écoles, les hopitaux, les sièges administratifs, les casernes, etc..  

Israël-Palestine

Alain Rodier : L'Autorité palestinienne et le Hamas risquent d'être dépassés par des activistes palestiniens qui sont lassés par "l'immobilisme" de leurs leaders. Ces groupuscules déjà présents sur place, en particulier dans la bande de Gaza (ils seraient soutenus par l'Armée de l'Islam - Jund al Islam -) et dans le Sinaï, se revendiquent de Daech. Dans la Bande de Gaza, la problématique est complexe. Globalement, le Hamas "laisse faire", approuvant les actions entreprises par des "tiers" contre l'Etat hébreu, son ennemi de toujours, et contre le régime du président Sissi qui a déposé son plus fidèle soutien, le président Morsi (et les Frères musulmans). Le Hamas n'est donc plus aidé que par le Qatar et la Turquie, les derniers refuges de la confrérie. Il tente bien de retrouver l'appui de Téhéran mais les mollahs continuent à en vouloir au mouvement palestinien d'avoir pris parti pour l'opposition syrienne en 2011. Les groupuscules peuvent déclencher des actions terroristes mais surtout, des individus isolés sont en train d'appliquer les consignes lancées par Daech de "frapper partout où cela est possible avec les moyens du bord". Cela a été constaté en Israël à plusieurs reprises. Par contre, en Égypte, ce sont des attaques plus structurées lancées en particulier par les Partisans de Jérusalem (Ansar Bait al-Maqdis).

Personnellement, je ne crois pas au déclenchement d'une troisième Intifada car les chefs palestiniens n'ont actuellement pas la capacité de mobiliser les foules. Mais des émeutes ponctuelles spontanées et ensuite reprises par des responsables palestiniens vont vraisemblablement se produire localement. En effet, avec les désordres actuels, l'exaspération est à son comble, en particulier au sein de la jeunesse.

Israël-Iran

Alain Rodier : Je ne crois pas du tout à la possibilité de frappes aériennes d'Israël contre l'Iran, mais les Israéliens peuvent toujours surprendre leur monde. Sur un plan tactique, bien que très puissant, Israël n'a pas les capacités militaires de détruire l'ensemble des infrastructures nucléaires iraniennes dans lesquelles il faut aussi compter les complexes fabriquant des missiles sol-sol. A noter que de nombreuses bombes frapperaient dans le vide car, une grande partie des objectifs répertoriés grâce aux photos aériennes sont de simples leurres. Les Israéliens n'auraient pas assez de munitions pour tout traiter. Au mieux, l'effort nucléaire iranien serait retardé mais pas anéanti. De plus, une opération aérienne de grande envergure à de si longues distances est extrêmement risquée. En résumé, le rapport efficacité/risques encourus est défavorable. Tous les chefs militaires israéliens en sont bien conscients.

Les négociations portant sur le nucléaire iranien permettent surtout à l'Occident de "parler" au régime théocratique. Il n'est pas impossible que Washington envisage de faire la même chose qu'avec Cuba : ré-ouvrir des relations diplomatiques avec Téhéran. Si cela se fait, la perspective de frappes israéliennes sera rendue quasi impossible. Quant à la bombe : que veut Téhéran ? Je pense que les Iraniens - même ceux qui sont hostiles au régime actuel -, souhaitent que l'Iran en soit doté à l'image du Pakistan. Pour eux, c'est une question de fierté nationale. Tous les beaux discours n'y changeront rien. Mais les dirigeants iraniens sont pragmatiques : ils connaissent les risques. Alors, leur choix se porte sur le fait d'atteindre le seuil nucléaire (avoir les capacités scientifiques et techniques de construire une force de frappe) sans dépasser la "ligne rouge". A l'évidence, il va falloir surveiller cela de très près.

Sahel

Alain Rodier : Le cancer de l'islam radical au Sahel et en Afrique connaît des métastases extrêmement inquiétantes. Pour l'instant, il y a trois repaires : la Libye, le nord-est du Nigeria et la Somalie. C'est à partir de ces bases arrières sûres que les djihadistes se répandent dans l'ensemble de l'Afrique profitant de la misère des populations, de la faiblesse des États (et de la corruption de nombreux responsables) et de leurs difficultés à coopérer. Les réunions internationales se succèdent mais la traduction dans les faits se fait attendre. Je pense en particulier à des état-majors et à des forces internationales africaines comme c'est un peu le cas en Somalie. Cela dit, l'Afrique peut être comparée à un terrain de sables mouvants où tous les envahisseurs se sont embourbés, voire ont coulé : les colonisateurs puis les Soviétiques (pourtant aidés par des contingents cubains). Entre parenthèses, il est possible que les offensives économiques chinoises vont connaître le même sort. Les islamistes devraient, aussi, peu à peu se diluer dans l'Afrique profonde, mais il ne faut pas se faire d'illusions, ce n'est pas demain que la sécurité reviendra. Une seule idée maîtresse : la sécurité est l'affaire des peuples et des dirigeants du continent africain. Ces deniers peuvent éventuellement faire appel à l'aide des Occidentaux, mais cela reste une aide (et seulement une aide) limitée dans le le temps et dans l'espace.

Nigéria

Alain Rodier : Le nord-est du Nigeria a été proclamé "califat". L'insécurité a commencé à gagner les pays voisins autour du lac Tchad. Cela devrait être une constante pour 2015. Une autre inquiétude provient des élections qui doivent avoir lieu au Nigeria. Il ne fait aucun doute que Boko Haram va profiter de l'occasion pour faire parler de lui en se livrant à de nouvelles horreurs. C'est un peu la politique de la fuite en avant, sauf que personne n'est vraiment capable de les arrêter pour l'instant.

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