L’obsédée de la synthèse : Angela Merkel n’est-elle qu’un François Hollande qui aurait réussi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel.
Angela Merkel.
©Reuters

Cousine germaine

Angela Merkel reste très populaire auprès des Allemands et au sein de son parti alors qu'elle ne mène aucune réforme d'envergure, trop susceptible de contrarier certaines forces politiques de son pays.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jakob Höber

Jakob Höber

Jakob Hoeber est chercheur associé en économie, compétitivité et modèles sociaux européens à l'Institut Thomas More.

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Atlantico : Réélue largement à la tête de la CDU mardi 9 décembre, Angela Merkel envisage un quatrième mandat, pour lequel elle serait largement favorite. Pourtant, les Allemands la voient comme assez indolente, avec peu de convictions personnelles fortes, des prises de position changeantes et une politique dictée par les sondages. Quels sont, selon vous, les grands arbitrages qu'elle a du prendre au cours de ses différents mandats ? Qu'est-ce qui restera d'une personnalité jugée consensuelle ?

Jakob Hoeber : Les plus grandes décisions qu'elle a du prendre concernaient la gestion de la crise économique en Europe. Elle est félicitée pour la manière dont elle a été gérée en Allemagne : le modèle de la "Kurzarbeit", le travail court, et la "Abwrackpremie", la prime de casse, deux mesures pour soutenir l'économie, furent reprises ailleurs dans d'autres pays dont la France. La sortie du nucléaire, qui était en réalité un retour à une réforme faite par le gouvernement SPD-Verts, figure également parmi une décision à prendre qui aura des conséquences importantes. La décision de ne pas soutenir l'engagement franco- britannique en Libye, a donné un signal fort à ses allies : militairement, l'Allemagne n'est toujours pas prête à prendre plus de responsabilité à l'international. Certaines grandes réformes ont échoué, notamment de la Bundeswehr. Or, les répercussions ont du être subi par les ministres en question et non par la Chancelière elle-même.

Est-ce que cela voudrait dire qu'elle n'aura pas sa place dans les livres d'histoire ? Certainement pas. L'impact d'un politique ne se juge pas forcement sur les grands actes et lois, mais sur les résultats à long terme. Il n'est pas forcément nécessaire d'entreprendre des grandes réformes (même si parfois cela s'impose). On peut même se demander comment une stratégie à long terme pourrait être réalisée dans le monde d'aujourd'hui compte tenu des facteurs comme une interdépendance accrue à cause de la mondialisation, et des décisions prises hors des parlements nationaux, à Bruxelles ou dans les institutions internationales... On peut ne pas aimer ces développements, mais ils sont une réalité et influencent la façon de mener une politique. Dans ce cadre, la stratégie de la Chancelière de ne jamais montrer ses cartes et de se garder les plus d'options ouvertes s'inscrivent dans le monde d'aujourd'hui.

Au final, le développement européen marquera le souvenir d'elle : l'Allemagne est aujourd'hui dans une position de puissance unique en Europe ; probablement même au sommet. C'est une situation que ni le gouvernement ni la population aiment ou ont l'habitude – y trouver sa place engendre des complications. Or, la réussite ou l'échec du projet européen seront  – nonobstant le rôle primordial de la France – la responsabilité du gouvernement Merkel. C'est sur cela qu'elle sera jugée.

Angela Merkel a beaucoup surpris, surtout dans son camp, lorsqu'elle engagea l'Allemagne dans la sortie du nucléaire en 2011, peu après Fukushima. Qu'est-ce que ce revirement nous indique sur sa capacité à changer brusquement d'orientation sur une question stratégique de long terme ?

Jakob Hoeber : Revenir aussi brusquement sur ses positions n'est pas habituelle à la Chancelière. Le virage suite à l'accident de Fukushima de revenir sur la sortie du nucléaire a été plutôt inédit. Et cela lui a coûté cher en termes de crédibilité. C'est aussi pour cette raison qu'un retour sur ses positions ne se fait plus aussi brusquement. On peut penser à sa politique environnementale : en 2007, elle s'autodéclare comme "Klimakanzlerin" (Chancelière du climat) et se fait prendre en photo devant un glacier en fonte. Sept ans plus tard, peu de chose reste de cette position : les émission de gaz à effet de serre ont augmenté l'année dernière, le gouvernement actuel redirige des subventions aux énergies renouvelables vers le charbon. Ce changement s'est pourtant fait progressivement.

De même, Angel Merkel se désiste presque complètement des grandes annonces sur le long terme faîtes au parlement. Une autre manière de conserver la possibilité de changer de route subitement sans pour autant être vue comme indécise. S'il y a une stratégie, un calcul derrière ? Un plan à long terme ? Seulement ses quelques proches, pas plus que dix personnes ne doivent le savoir. Mais c'est aussi une de ses caractéristiques de faire croire que.

Angela Merkel avait annoncé en 2009 une série de grandes restructurations. Finalement, à l'exception de l'assainissement des finances publiques, le bilan reste maigre, notamment sur le front de l'emploi ou des grandes infrastructures. Pourquoi ce manque de volontarisme sur ces questions ?

Jakob Hoeber : Il est vrai que les grandes restructurations au niveau fédéral n'ont pas eu lieu – voire dans certains domaines, comme la retraite, il y a même eu un rétropédalage. Pour la défense de son gouvernement, il faut dire que la crise européenne mettait un terme aux grandes réformes : il est difficile de réformer si les coûts à venir pour soutenir les pays de l'Eurozone ou bien pour le sauvetage des banques est imprévisible. Avec l'introduction du SMIC, elle a et cédé aux demandes des autres pays européens et de son partenaire dans la coalition, le SPD. La situation de l'emploi est pourtant bonne, surtout comparé aux autres pays développés. C'est cher payé avec une précarisation du monde de travail, notamment parmi les peu formés et les jeunes. Trouver une réponse à cette réalité serait un autre enjeu pour son gouvernement. La situation – gérer socialement un monde de travail instable – est pourtant bien meilleure que celle de la France, où la question est davantage de réduire le chômage.

Nicolas Goetzmann : L’Allemagne est un régime parlementaire qui se différencie nettement des institutions de la Ve République. La Constitution française ne semble tout simplement pas correspondre à la personnalité de François Hollande. Cette recherche permanente du consensus, de la synthèse, va mal à cette fonction présidentielle qui, en vérité, est la plus puissante d’Europe. La croissance joue sans doute un grand rôle dans son impopularité, mais les français reprochent  lourdement au Président ce manque d’autorité, cette incapacité à prendre des décisions et ce à longueur de sondages. Cela signifie que les français attendent du Président qu’il préside à la française, et non à la mode d’un régime parlementaire nordique.

Angela Merkel n'a pas réussi à impulser de mesures fortes sur les chantiers de la dépendance, ou des prestations familiales, dans un pays marqué par un vieillissement démographique ravageur. A-t-elle raté finalement ce qui aurait été indispensable pour que l'Allemagne évite de graves problèmes à l'avenir ?

Jakob Hoeber : Sous les trois gouvernements Merkel, chaque ministre de la famille a tenté la réalisation d'une grande réforme des prestations familiales ou des soutiens similaires. Le succès est maigre : le seul changement majeur est le droit à une place dans une crèche (déjà un projet colossal en terme de formation d'éducateurs et de financement). Est-ce que cela est la seule responsabilité de la Chancelière ? Certainement pas. La résistance dans la population, notamment en Bavière mais aussi ailleurs, reste grande et notamment l'idée de donner son jeune enfant à une nourrisse ou à un éducateur – les mères en subissent les conséquences sociales. Aussi les entreprises font souvent décider les femmes entre carrière et famille – une raison qui explique que le taux de natalité est moins élevé parmi les plus éduqués. Bien que cette réalité change lentement, on n'augmente pas le taux de natalité avec des allocations familiales, mais dans une discussion publique avec la société civile. On voit l'impact de cette question dans le débat autour de la famille en France. La décision de fonder une famille ne dépend pas seulement de la politique d'un gouvernement.

Nicolas Goetzmann : La situation économique de l’Allemagne est transitoire, et le pays devrait profiter de ses forces actuelles pour préparer un avenir qui s’annonce périlleux. Avec la chute de sa démographie, son faible niveau d’investissement, son taux de pauvreté, ses salaires qui stagnent, l’économie allemande est dans une situation de trompe l’œil. Et sa balance courante témoigne bien plus de la volonté des entreprises d’investir ailleurs que d’une quelconque supériorité économique.

Dans une telle configuration, il est compliqué pour un dirigeant d’avouer qu’il faut agir, car cela revient à dire qu’il existe un problème. Il est bien plus facile d’annoncer que tout va bien, et que le pays est sur la bonne voie. Lorsque le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, s’enorgueillit de son budget à l’équilibre, il y a véritablement un problème de posture morale. L’Allemagne emprunte à taux 0, a un sérieux problème d’infrastructure, mais persiste à vouloir ne rien faire. Il s’agit pourtant d’une opportunité historique pour ce pays de pouvoir réaliser une opération de grande envergure pour améliorer les capacités du pays, le moderniser, et ce à coût 0. Le tout en respectant les critères de Maastricht.

Plus généralement, en quoi ces décisions à géométrie variable, décidée parfois sur la foi de sondages ou d'évènements internationaux, ou ce manque d'initiative, nous dresse le portrait d'une Chancelière finalement peu volontariste, et obsédée par la "synthèse" ?

Jakob Hoeber : Ce portrait se dresse parce que c'est ainsi qu'elle envisage la politique. Si personne ne peut cerner où elle va, personne ne peut mesurer les étapes accomplis. Elle peut se permettre cette absence de profil clair, puisqu'elle est hors concurrence aujourd'hui : le dernier contrepoids au sein du gouvernement est Wolfgang Schäuble, puissant ministre de finance, mais pas en mesure de la défier. Quant aux Länder, traditionnellement une contrepartie importante pour le gouvernement fédéral, elle a fait tomber l'ensemble des hommes forts. Ou bien la CDU y a perdu sa place à la tête, comme en Bade-Wurtemberg, où un gouvernement vert trouve le soutien continu de la population. Il ne reste que la Bavière pour défier la Chancelière, mais aucun personnage ne serait assez fort pour se placer comme alternative contre elle. Au final, on peut dire que ce qui serait une absence de conviction dans les yeux de certains, pour elle l'enjeu c'est de faire le mieux d'une situation qu'elle ne peut contrôler à 100 %. Mais est-ce une manière pour préparer l'avenir d'un pays ? Ce point reste à être confirmé.

Nicolas Goetzmann : Ce qui vient immédiatement à l’esprit ici, c’est la domination européenne. Si la France témoignait de  la même ambition à étendre son influence en Europe que ne le fait l’Allemagne depuis ces dernières années, le contexte serait aujourd’hui plus équilibré. La nature a horreur du vide, et François Hollande n’est jamais parvenu à imposer un rythme,  ni même une ambition, au sein de l’union européenne. Et c’est peut-être la limite générale de la position d’Angela Merkel. Car elle s’est révélée aussi consensuelle en Allemagne qu’intransigeante en Europe. Ne rien céder aux pays du Sud, exiger les réformes "structurelles", rappeler les exigences budgétaires, voici ce qui a pu, notamment, asseoir la réputation d’Angela Merkel au sein de son propre pays. En faisant la leçon aux autres, cela permet de s’installer dans la peau du donneur de leçon,  ce qui est politiquement payant. Le succès d’Angela Merkel repose sur cette transition, de l’homme malade de l’Europe du début des années 2000, l’Allemagne se perçoit aujourd’hui comme un modèle.

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