La France en déficit d’esprit de service : tout ce qu’il y a à gagner en changeant de culture<!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Quérat-Hément a révolutionné le service dans les bureaux de Poste.
Xavier Quérat-Hément a révolutionné le service dans les bureaux de Poste.
©REUTERS/Regis Duvignau

Le client est roi

L'homme qui a révolutionné le service dans les bureaux de Poste a bien l'intention de faire de même pour toutes les entreprises françaises. Entretien avec Xavier Quérat-Hément, initiateur du projet "Esprit de Service France".

Xavier Quérat-Hément

Xavier Quérat-Hément est directeur qualité du Groupe La Poste. Lire son blog : L'esprit de service.

Voir la bio »

Atlantico : Vous avez lancé l'association "Esprit de Service France" mercredi 10 décembre, groupement d'entreprises mis en place sous l'égide de La Poste dont le but est de promouvoir l'expérience client dans notre pays. Quelle a été la genèse de ce projet ?

Xavier Quérat-Hément : Je suis le directeur qualité du groupe La Poste, c'est donc très logiquement que je travaille depuis plusieurs années sur la satisfaction du client, la relation client multicanale, bref tout ce qui concerne l'accompagnement du client dans ses moments de relation avec le groupe. Nous avons identifié beaucoup d'éléments négatifs qui altéraient les relations clients, en particulier les files d'attente dans les bureaux de poste. J'ai donc développé le grand projet "La Poste contre toute attente" pour optimiser l'espace d'attente, avec des employés souriants, dans une posture de conseil plutôt que d'automate. Cette mission m'a occupé pendant quatre ans, puis assez vite je me suis rendu compte qu'il fallait travailler sur les attitudes, la manière de rendre ce service. C'est de là qu'est parti le projet "Esprit de Service", visant à renforcer la relation managériale et la coopération.

Beaucoup d'entreprises se sont montrées intéressées par la façon dont nous avons transformé les bureaux de poste. C'est pourquoi en 2013 nous avons commencé à développer un club composé  de quelques entreprises de service, pour que chacune d'entre elles apporte son expérience, et ainsi pousser de grandes organisations à s'adapter  au monde tel qu'il est aujourd'hui, c’est-à-dire un monde de services, d'usages, de numérique, en mouvement permanent. Nous réfléchissons donc aux meilleurs moyens d'assouplir des organisations trop verticales, trop figées.

C'est en parlant de ces sujets avec l'association Afnor, la direction générale des entreprises et d'autres organismes que nous nous sommes rendu compte que le service était la clé : tout est service, aujourd'hui ; ce n'est plus tant l'objet que l'on achète, que le service qui y donne accès. Lorsque l'on achète une voiture, il y a tout ce que l'on trouve autour : les vendeurs, l'essai, les services, etc. Nous avons donc réfléchi ensemble sur cette question : comment faire évoluer des équipes routinières pour les amener à ce nouveau fonctionnement ?

Au fil des rencontres, nous avons pu nous rendre compte que tout le monde était intéressé par notre démarche, même les entreprises les plus inattendues. L'institut Paul Bocuse, notamment, bien que spécialiste du service à la française, voulait sortir de son monde de l'hôtellerie.

De manière plus générale, le monde entier nous reproche notre manque de sens du service. Chacun, touriste comme résident, s'est déjà senti mal accueilli. Pourquoi croyez-vous que la société de transport Uber rencontre un tel succès ? C'est grâce à la qualité de son service.

Ce sujet est important, mas pas suffisamment travaillé par les entreprises. Et lorsque c'est le cas, elles le font indépendamment les unes des autres. L'association compte dans ses rangs Air France, Aéroports de Paris, des groupes de télécommunications, peut-être bientôt la SNCF… Ensemble, ces acteurs de l'économie pourraient améliorer cette expériences du service à la française, afin que cette dernière ne soit plus seulement l'apanage du secteur du luxe.

Notre démarche est d'autant plus importante que l'on entend un discours économique consistant à dire que la France n'est pas compétitive à cause des charges, or nous pensons que nous pouvons tout à fait nous améliorer sur la compétitivité hors prix, celle qui a fait que pendant longtemps les gens acceptaient de payer plus cher leur voiture allemande.

Avec "Esprit de service", nous nous faisons l'écho de cette nécessité. Notre contribution ne peut qu'être bénéfique, à l'approche de grands événements comme l'Euro 2016, ou éventuellement l'exposition universelle de 2025.

L'association est-elle totalement indépendante du groupe La Poste ?

La Poste n'est que l'un des membres fondateurs, l'association est indépendante. Si j'ai voulu mener ce projet parallèle, c'est pour sortir de l'univers de La Poste, et donner à la dynamique insufflée au sein du groupe une dimension nationale.

Pourquoi la culture du service n'est-elle pas si développée en France ? D'où vient le problème ?

En France, nous avons souvent une conception négative du fait d'être "au service". C'est notre petit reste révolutionnaire, nous avons joué à fond la carte de l'égalité, nous avons écrit le mot sur tous les frontispices, si bien que nous avons désormais énormément de mal à être "au service" de quelqu'un. D'autres pays, qui ne sont pas passés par les mêmes événements historiques, ont beaucoup moins de mal avec cette idée.

D'autre part, ce qui a fait de la France la puissance économique qu'elle est, ce sont les technologies, l'industrie… le service est relégué au rang de petit boulot. Et c'est là que le bât blesse, car nous avons énormément d'activités de services : hôtellerie, restauration, banques, assurances… Sur le marché, nous sommes très forts, mais nous ne sommes pas perçus comme les leaders mondiaux en termes de services. Le ministère du "redressement productif" prouve que le politique en est resté à une approche qui ne correspond plus aux nouvelles réalités. J'espère que bientôt il se rendra compte que la qualité des services est essentielle à ce "redressement".

Prenons l'exemple d'Axa : ce que lui demandent les grandes entreprises, ce sont des services. Mais des services que l'Inde est en capacité de leur apporter. Ce qui s'est passé avec les plateformes téléphoniques pourrait se reproduire, mais en comptabilité, en services informatiques, etc.

Le personnel des entreprises et des institutions participantes adhère-t-il toujours facilement à l'idée de révolutionner l'organisation du service ?

Naturellement, les salariés peuvent être portés à penser que cela va empirer les choses. L'enjeu, c'est de leur faire voir où et pourquoi ils ont tout intérêt à changer leurs habitudes. A La Poste, les incivilités à l'égard des employés étaient nombreuses, ce qui générait beaucoup de souffrances. Quel autre choix pour eux que d'encaisser ? Ils étaient cantonnés à des opérations répétitives qui sont aujourd'hui confiées à des automates, ils peuvent désormais se consacrer à des tâches plus variées et plus intéressantes. Cela change tout, et les clients l'ont bien vu.

Avec un tel exemple, nous pensons pouvoir gagner la confiance des personnes dans d'autres lieux, qui sauront que nous leur faisons quitter une situation peut-être ennuyeuse, répétitive, pour les porter vers un véritable rôle de conseil. Les premiers à l'avoir fait doivent faire savoir aux autres la manière dont la transition s'est faite chez eux, et le bénéfice que les salariés et l'entreprise en ont retiré. C'est exactement ce qui s'est passé au sein même de La Poste : de 40 bureaux au départ, nous sommes arrivés à 2 000 lieux totalement transformés.

Quelles sont les prochaines étapes pour "Esprit de service" ?

Début 2015 nous allons mettre en ligne un site mettant en avant les bonnes expériences en France. Nous allons mettre également en place le référentiel "Esprit de service", pour que les entreprises puissent s'auto tester. Le projet est mené en collaboration avec l'Afnor, gage de sérieux. Progressivement, nous convaincrons de plus en plus de personnes et d'entreprises pour qu'elles participent au mouvement. Nous espérons réaliser quelques coups d'éclat, identifier des endroits où les services sont particulièrement défaillants, et améliorer la situation, de telle sorte que cela soit vu par un maximum de personnes.

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