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Difficile de sortir de la pauvreté
Difficile de sortir de la pauvreté
©Reuters

A la dure

Sujet sensible dans nos société modernes, la pauvreté fait polémique. Ainsi un article du Journal "Le monde" rappelant que le taux de pauvreté à Saint-Etienne s'élève à 22%, a fait rugir plus d'un élu local. Pourtant la réalité est bien là, et ne cesse de se renforcer, selon un mécanisme mis en avant par plusieurs publications en France et aux Etats-Unis.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Bert Luyts

Bert Luyts

Bert Luyts est délégué national adjoint de ATD Quart Monde.

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Atlantico : Plusieurs ouvrages parus récemment aux Etats-Unis comme Hand to Mouth : living on bootstrap in America de Linda Tirado que l'on pourrait traduire par "Vivre au jour le jour aux Etats-Unis" mais aussi Nickel and Dimed: On (Not) Getting By in America de Barbara Ehrenreich "Pour trois francs six sous, ou comment (ne pas) s'en sortir en Amérique" relatent les difficultés à sortir de la pauvreté. Quelles peuvent être les réactions en chaîne qui découlent des situations de pauvreté ? Dans quelle mesure peut-on dire qu'il est coûteux d'être pauvre, que la vie est "plus chère" ?

Bert Luyts : La pauvreté entraîne bien évidemment des difficultés dans plusieurs aspects de la vie. Le travail, le logement et la santé sont des aspects qui interagissent et peuvent mener à des situations inextricables.

Par exemple, pour obtenir un logement dans de nombreuses régions de France il est nécessaire d'être en Contrat à durée indéterminé (CDI) et un salaire équivalent à trois fois le loyer. Cela ferme déjà la porte à beaucoup de personnes et les délais d'obtention d'un logement social sont extrêmement longs. En France, il est possible de faire valoir le droit au logement opposable mais c'est une démarche qui peut là aussi durer des années. Entre-temps, il est donc possible d'avoir recours à des hébergements d'urgence ou encore des hébergements en hôtel, ce qui coûte d'autant plus cher aux personnes concernées mais aussi à la société.

Par ailleurs selon un sondage du Credoc, les personnes en situation de pauvreté subissent une double peine dans la mesure où elles subissent également des discriminations. Ce regard négatif les décourage d'autant plus dans leurs demandes d'aides ce qui entraîne un repli sur soi. L'Observatoire du non recours au droit et services souligne que 35% des personnes qui seraient éligibles au RSA socle n'y pas accès, entre autres parce qu'elles y renoncent. Certaines entament des démarches mais qui  n'aboutissent pas. Dans le détail, une demande de RSA comporte 6 pages, sans compter les nombreux justificatifs. Et tout cela il faut l'actualiser tous les trois mois.  

Nicolas Goetzmann : L’exemple le plus évident de cette démonstration est le logement. Le prix du mètre carré diminue progressivement en fonction de la taille totale d’un appartement. Plus le logement est petit, plus il sera cher au mètre carré. Il existe donc une prime à payer pour les plus pauvres. Et cette réalité se vérifie pour de nombreux biens ou services, comme Martin Hirsh avait pu le démontrer dans son livre en 2013  "Cela devient cher d’être pauvre". Relativement, la vie est plus chère pour les plus bas revenus.

Mais cela n’est pas tout. Parce qu’un ménage à bas revenus va avoir une structure de consommation différente de celle du ménage moyen. Par exemple, l’alimentation va peser plus lourd dans le poids du panier total. Ce qui signifie que si les prix de l’alimentation augmentent plus rapidement que le reste, ce sont les plus pauvres qui vont le ressentir le plus franchement. Entre 1998 et 2013, l’indice général des prix est passé de 100 à 127 alors que sa sous-section "alimentation" est passée de 100 à 132.5. Il ne s’agit donc pas que d’une impression.

Dans quelle mesure peut-on estimer qu'au-delà d'un certain niveau de pauvreté il devient difficile de s'en sortir ?

Bert Luyts : Le seuil de pauvreté est atteint lorsqu'il est considéré à moins de 60% du revenu médian. Si l'on se situe juste en dessous, cela ne signifie pas forcément que vous êtes en grande difficulté. Au cours des dernières années, le taux de pauvreté à 60% du revenu médian ne se dégrade pas beaucoup, il est à environ 14,1%, en revanche le taux de pauvreté à 40% du revenu médian augmente. Cela signifie que la pauvreté devient plus profonde. Il n'y a pas forcément plus de personne en situation de pauvreté, mais ceux qui s'y trouvent voient leur situation se détériorer encore plus.

Nicolas Goetzmann : Le chômage de longue durée a fortement augmenté au cours de ces dernières années, de 127% entre 2008 et 2014 pour les catégories A, B et C pour être précis. Et ce sont 2.2 millions de personnes qui sont aujourd’hui au chômage depuis plus d’un an. Et le chômage est la principale cause d’entrée dans la pauvreté, pour 37%. Ici, il existe un lien entre la persistance de la pauvreté et la progressive perte de chances de retrouver un emploi. Plus on est au chômage longtemps, moins on devient "employable". C’est ici que la "double peine" intervient : la fin de droit pour les revenus, et une incapacité presque "structurelle" de retrouver un emploi. Parce que lorsque le chômage atteint 10% de la population active, la concurrence est sévère et les entreprises privilégient logiquement les personnes qui sont au chômage depuis peu de temps. Plus le chômage persiste, plus on perd ses compétences.

L'organisation et la rémunération des emplois à bas revenus peuvent-elles aggraver la situation ?

Bert Luyts : Il y a beaucoup d'emplois qui sont peu payés et pénibles, comme le nettoyage avec un rythme de travail élevé, des efforts physiques, des produits toxiques et agressifs. Dans le service à la personne, malgré la souffrance à laquelle les travailleurs sont confrontés, cela nécessite beaucoup de bienveillance. Dans l'industrie, il s'agit de travailler dans le bruit et la poussière. Il s'agit souvent de temps partiels, rémunérés au smic, ce qui permet difficilement de construire des projets. Par ailleurs, de plus en plus de ces emplois s'effectuent dans la solitude. On est dans un milieu de travail avec peu de collègues ou avec des collègues que l'on croise durant un court laps de temps en raison de la multiplication des contrats de courte durée, des missions par-ci, par-là, la sous-traitance, de plus en plus d'isolement, une atomisation de la société...

Le stress et la fatigue de ces emplois obligent également à multiplier les activités. Tout cela demande beaucoup d'efforts, à tel point que les personnes n'ont plus l'énergie pour faire autre chose. Je pense qu'il est important de souligner que le regard et la méfiance de la société pèsent beaucoup.

Nicolas Goetzmann : Le chômage frappe plus de 20% des personnes les moins qualifiées. C’est donc sur ces emplois les moins qualifiés que la concurrence est la plus rude et que les conditions de travail se compliquent. Contrats de courte durée, temps de travail modulable, salaires qui stagnent, pour un tout qui ne permet pas de construire une réelle stabilité. C’est ainsi que pauvreté et précarité se rejoignent.

La pauvreté frappe près de 15% des personnes les moins qualifiées ayant un emploi. Déjà en 2007, 23% d’entre eux avaient un contrat court, contre 14% pour l’ensemble des salariés. De la même façon une personne non qualifiée sur 3 est à temps partiel.

Et naturellement ces situations de précarité aggravent également la situation en termes d’accès à un logement, pour contracter un prêt, ou pour épargner.

D'un point de vue économique est-il encore plus difficile de sortir de la pauvreté que cela n'était le cas auparavant ?

Nicolas Goetzmann : D’un point de vue économique, le meilleur moyen de faire baisser le taux de pauvreté, c’est d’abord la croissance. En France, le taux de pauvreté "dur" à 50% du niveau de vie médian a presque été divisé par deux depuis le début des années 70, passant de 12% à un taux de 6.6% en 2004. Puis, la crise a fait ses effets et le taux est remonté à 8%.

L’incapacité du pays à retrouver un taux de croissance conforme à son potentiel rend toute sortie de la pauvreté plus difficile qu’auparavant. Sans croissance, ce sont les opportunités qui s’envolent. De plus, l’envolée du  niveau de chômage met les personnes les moins qualifiées dans une situation de forte concurrence, ce qui provoque une sorte "d'impossibilité" de voir progresser les salaires des moins qualifiés.

La lourde aggravation du chômage de longue durée aura également des conséquences à long terme. Car ici, la croissance ne suffira plus. Ce sont des processus de formation et de soutien à la réintégration dans le marché de l’emploi qui seront nécessaires afin de permettre à ces personnes de sortir des statistiques de la pauvreté.

Existe il des seuils à partir desquels la pauvreté se perpétue d'une génération à l'autre ?  

Nicolas Goetzmann : Une étude menée par le Brookings Institute en 2013 avait démontré que 42% des enfants des personnes du quintile de revenu le plus faible restaient dans ce même quintile. Il s’agissait alors du plus gros niveau de "reproduction sociale", mais juste devant celui du premier quintile. Car quand les parents ont un niveau de revenu figurant dans le premier quintile, 39% des enfants vont perpétrer "la tradition" en restant dans cette même catégorie de revenus. L’étude arrivait à une conclusion : la mobilité sociale existe, mais elle est très faible aux extrémités du spectre des revenus. Ce qui permet bien d’avancer l’idée qu’il existe un seuil de reproduction de la pauvreté d’une génération à une autre.

Mais il ne faut pas non plus extrapoler la situation en imaginant qu’il s’agit de la règle. En 2006, L’INSEE publiait une étude consacrée à la persistance dans la pauvreté. Au cours des 4 années étudiées, 12% des ménages avaient connu au moins une année de pauvreté, et 3% des ménages étaient "pauvres" durant ces 4 années. La composante "transitoire" de la pauvreté reste donc importante.

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