Mixité sociale : pourquoi il existe des méthodes moins toxiques et plus efficaces que la préemption de logements voulue par la mairie de Paris<!-- --> | Atlantico.fr
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Mixité sociale : les méthodes moins toxiques que la préemption de logements.
Mixité sociale : les méthodes moins toxiques que la préemption de logements.
©Reuters

Résultat inverse

Concentré jusqu’à alors sur des immeubles entiers, le droit de préemption permettant à la Ville de Paris de racheter des logements pour les transformer en logements sociaux doit être étendu à des appartements au sein des copropriétés. Pourtant et selon une multitude de contre-exemples, un parc social trop fourni participe in fine à entraver l'arrivée de la classe moyenne dans des quartiers aisés, et donc de créer ailleurs des ghettos.

Vincent Bénard

Vincent Bénard

Ingénieur et économiste, Vincent Bénard analyse depuis plus de 15 ans l’impact économique et sociétal des décisions publiques, pour le compte de plusieurs think tanks et partis politiques promouvant les libertés économiques et individuelles.
 
Il est l'auteur de deux ouvrages “Logement, Crise Publique” (2007) et “Foreclosure Gate, les gangs de Wall Street” (2011).
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Atlantico : L’usage du droit de préemption par une municipalité est-il un moyen efficace pour améliorer l’offre de logements sociaux ? Quels sont les principaux effets pervers qui pourraient découler de cette mesure annoncée par Anne Hidalgo qui concernerait 8021 logements et dont le coût est estimé à 850 millions d’euros sur l’ensemble de la mandature ?

Vincent Bénard : Non seulement ce n’est pas efficace mais c’est aussi terrifiant du point de vue de la philosophie qui sous-tend cette action. C’est une idéologie mortifère pour l’idée d’investir. Non seulement la préemption coûtera cher aux contribuables, mais elle ne fera que de transférer des logements du parc privé vers le parc social, l’usage du droit de préemption n’augmente pas le parc de logement disponible. Cela diminuera le parc privé au profit du parc social, cela ne fera que de déplacer les conditions d’accès au logement en fonction des profils d’occupants. De plus, cela rappelle les proposition de réquisition de logements vacants récemment entendues: cela crée une insécurité de plus pour les propriétaires… En outre, le droit de préemption ne se fait généralement pas au prix du marché, il y a souvent litige entre le vendeur et le préempteur. Cela entraîne donc le propriétaire devant le juge de l’expropriation qui a tendance à être plutôt favorable à l’acheteur public. La préemption peut vite s'apparenter à une forme de spoliation.

Rappelons, car cela n’est pas accessoire, que si les rédacteurs de la déclaration des droits de l’homme de 1789 ont inscrit le droit de propriété comme un des droits fondamentaux garantis par son article 2, ce n’est pas par esprit petit bourgeois. C’est parce que la propriété est le fruit de ce que votre liberté a permis d’acquérir. Si vous n’êtes plus totalement propriétaire de ce que vous croyez posséder, on vous prend un peu de votre liberté. Et donc vous allez y regarder à deux fois avant d’investir dans des choses dont le droit de propriété est mal garanti. Allez vous investir dans des appartements locatifs à Paris, si vous savez que votre co-propriété peut devenir à tout moment la cible de préemption renforcée ? 

Réduction du parc privé et moindre incitation à l’investissement dans ce parc: la préemption renforcée va encore réduire les incitations à investir. Par conséquent, les préemptions vont encore dégrader le rapport entre offre et demande dans la partie du parc privé de logement, et donc contribuer à maintenir des prix très élevés dans le parc privé, chassant de la capitale tous ceux qui n’auront pas la chance (ou le piston ?) de décrocher un des rares logements sociaux disponibles. Et ce ne sont pas 8000 logements privés ajoutés de force au parc social qui changeront le fait que plusieurs centaines de milliers de demandeurs de logement social en Ile de France, n’en trouvent pas.

On peut ajouter que les motivations réelles des préemptions ne sont peut être pas celles pétries de bonnes intentions énoncées par l’équipe municipale actuelle. Dans le domaine du logement social les attributions passées n’ont pas toujours été transparentes et honnêtes. On peut donc légitimement se demander si ces préemptions ne serviront pas d’alibi à une recomposition électorale de certains quartiers.

Peut-on dire qu’il est illusoire de croire en la mixité sociale, puisque certains propriétaires voisins à ces logements sociaux quitteront ensuite leur logement ?

La question de la mixité sociale m’inquiète un peu moins. Il y a déjà des opérations neuves qui se réalisent avec un certain pourcentage de logements sociaux. Mais vous trouvez rarement dans ces logements dits de “mixité sociale” des publics très difficiles. En effet, le bailleur social, quand bien même la préemption ne se fera pas au prix du marché à un instant donné, paiera le mètre carré assez cher. L’organisme qui va récupérer ce logement va donc avoir à cœur de le rentabiliser. Il sélectionnera des occupants capables de payer le loyer demandé sur le long terme. J’imagine mal que les immeubles réquisitionnés en plein centre de quartiers aujourd’hui chers soient occupés par des publics particulièrement difficiles - mais on ne sait jamais.

Ensuite, la gestion de copropriétés mêlant des logements sociaux et des logements privés risque d’être assez difficile. Si une famille “sociale” dégrade des parties communes, comment réagiront les copropriétaires privés ? Il est probable, là encore, que l’office HLM qui récupèrera le parc préempté évitera d’y placer des familles connues pour des problèmes comportementaux. Cependant, on ne pourra attendre le même soin apporté aux parties communes entre locataires sociaux et propriétaires privés: les conflits entre occupants risquent d'être assez courants. 

Le Maire de Paris met l’accent sur l’importance de "rééquilibrer les territoires" et de favoriser la mixité sociale dans la capitale. Sous quelles conditions peut-on vraiment réussir ces objectifs alors que certains arrondissements comme le 19e, le 20e et le 13e disposent de plus de 30 % de logements sociaux quand certains, notamment dans le 7e, n’en disposent quasiment pas ? Comment empêcher la création de ghettos ?

La mixité sociale existait à l’époque où le logement était un marché unique, et n’était pas divisé en un parc “social” et un parc “privé”. Avant l’invention de l’ascenseur, plus on montait dans les étages et plus les familles étaient modestes, dans le même bloc. La situation a un peu évolué par la suite, mais la ségrégation s’est accrue avec la création des grands ensembles HLM des années 50-70. Car quand on parle de Ghettos, le moins que l’on puisse dire est que la planification publique en a fabriqué par dizaines ! Prétendre que la planification d'aujourd'hui peut réparer les dégâts causés par la planification d'hier n'est guère convaincant. 

Si l’on avait un marché unique du logement, très peu entravé par des règlements fonciers ou techniques ultra contraignants, le brassage se ferait naturellement. Prenons par exemple le marché immobilier d’une agglomération de 6 millions d’habitants, en très forte croissance démographique, sans parc “social”, à savoir Houston, au Texas. Là bas, les prix restent bas (Houston n'a pas connu la bulle immobilière malgré une demande très forte et un crédit aussi fou qu'ailleurs), car le foncier constructible est naturellement en excès: l’état n’a pas le droit d’interdire la constructibilité d’un terrain sans raisons très sérieuses. Par conséquent, des promoteurs rachètent facilement des maisons anciennes ayant appartenu à des personnes riches, qui les ont quittées pour des unités plus modernes. Ces propriétés sont rasées et leurs terrains généralement assez grands transformés en lotissements pour classe moyenne, lesquelles arrivent donc progressivement dans des quartiers plus aisés. Le brassage social se fait donc par des mécanismes de marché.  Et les ménages ont de vraies possibilités d’effectuer un parcours “ascensionnel” dans le logement. Les logements anciens tendent à se déprécier, et deviennent donc le “parc social de fait”: comme dans l’automobile c’est l’occasion qui permet au plus grand nombre d’accéder à un premier toit.

Quel contraste avec la France ! Aujourd’hui, obtenir un logement social est un parcours du combattant, et si vous le quittez, vous êtes assuré de payer le double dans le parc privé. Donc les gens qui sont dans des logements sociaux de bonne qualité, de “mixité sociale”, vont tout faire pour y rester. Résultat, de nombreuses personnes qui voient leurs revenus augmenter restent dans ces logements. En contrepartie, beaucoup de familles occupent des logement privés insalubres ou trop petits et aimeraient pouvoir en bouger, mais ne peuvent ni s’offrir le parc privé, ni triompher de la pénurie de logement dit “social”. Et donc, nous entendons  régulièrement nos politiques affirmer qu’il n’y aurait “pas assez de logements sociaux” pour répondre à la demande. C’est une erreur de jugement majeure. Cela veut seulement dire que le modèle économique actuel  du logement, fondé sur la ségrégation entre parc social et parc privé, ne fonctionne pas. 

Dans quelle mesure l’amélioration de la situation du logement passe-t-elle par la construction de logements, aussi bien des logements neufs, sociaux, intermédiaires que privés ?

Cela passe par un marché privé fluide et libre, non seulement sur Paris, mais au niveau de toute l’agglomération, un marché où les investisseurs, individuels ou professionnels, seraient capables d’interpréter les signaux de marché et d’y répondre facilement, avec une offre diversifiée en terme de prix, et bien adaptée à la demande, quantitativement. Cela ne passe pas par le logement social, qui n’est pas la solution, mais une composante majeure du problème. 

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