Et le gouvernement cumulait benoîtement les constats d’échec… sans jamais réaliser que le peu de pouvoir qui lui reste n’est jamais où il le croit<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie a reconnu "l'échec" du Pacte de responsabilité
Le ministre de l'Economie a reconnu "l'échec" du Pacte de responsabilité
©Reuters

Autorité de façade

"C'est un échec", a reconnu Emmanuel Macron à propos du pacte de responsabilité. Qu'il s'agisse de politique interne, de l'Europe, des lobbys ou des corps intermédiaires, l'Etat central voit peu à peu son pouvoir se diluer, sans profiter du peu qui lui reste vraiment.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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  • La dilution du pouvoir central est une tendance issue de la mondialisation, où la vague de fond pousse à l'externalisation et à la multiplicité des partenaires dans l'action publique.
  • L'Europe est une perte de pouvoir "légitime" issue de la délégation de souveraineté de l'élargissement européen. La France est malheureusement incapable d'imposer son modèle est d'apparaître comme un pays pouvant entraîner les autres dans son sillage.
  • La France a la capacité objective d'infléchir la politique européenne.
  • La solution pour "reprendre le pouvoir" au niveau intérieur face à des collectivités et des corps intermédiaires en pleine montée en puissance, réside dans la reprise en main du cadre, et parfois dans la sanction. Mais la tendance à toujours plus de décentralisation ne va pas dans ce sens.

Atlantico : Le gouvernement semble mener une politique au gré de ses "renoncements" : Bruxelles (corrections constantes du budget et rapport de quasi soumission face à l'Allemagne), syndicats (reculs fréquents, louvoiement entre patrons et salariés), fonction publique (très peu inquiétée par les efforts budgétaires, à part le gel du point), collectivités locales, intérêts financiers privés... Nous trouvons-nous dans une situation où les corps intermédiaires et les collectivités sur le plan intérieur, et l'Europe sur le plan extérieur, ont accaparé une partie du pouvoir ?

Olivier Rouquan : L’Etat central concentré (les ministères) ou déconcentré (les préfectures, les directions régionales et départementales) a en effet moins de pouvoirs qu’il y a une trentaine d’années. Il est devenu banal de le constater. Parfois, cela est affirmé sans souci exhaustif de vérification par enquête de terrain. Il ne serait pas inutile d’ailleurs de faire une grande enquête de science administrative auprès des services de l’Etat, mais aussi de ses partenaires (collectivités, associations, entreprises) sur la réalité et la perception du phénomène du désengagement de l’Etat.

Dans tous les cas, la mondialisation, et donc l’européanisation et la décentralisation, ainsi que l’idéologie néolibérale ont partout depuis les années 80 provoqué la décentralisation et l’intégration macro-régionale de compétences (monnaie, finance publiques, aménagement du territoire, concurrence et entreprises, social, etc.). L’Etat central est désormais plutôt en position de décider des grandes orientations et éventuellement d’en contrôler l’application. Mais il met de moins en moins en œuvre directement et en tant que leader les projets. Il contractualise beaucoup.

En fait, pour être dans le “mood” global, il y a des standards de réforme de l’Etat qui se sont imposés à partir de l’ère Thatcher, Reagan, dit de Nouveau Management Public et qui prennent la forme de l’ajustement structurel et de la réduction du périmètre et des moyens de l’Etat, dont les derniers avatars sont en France la RGPP ou la MAP; les modalités peuvent changer un peu, mais sur le fond, la tendance lourde est la même au nom de la diminution de la dépense publique. Les forces de la société civile, à commencer par les grands intérêts transnationaux, en profitent, tout comme à une autre échelle les collectivités locales : faut-il souligner qu’alors que l’Etat central se privait de 150 000 fonctionnaires entre 2007 et 2012, le secteur communal en recrutait quasiment autant !

Alain Wallon : On ne peut pas dire qu'au niveau européen, la perte de pouvoir de la France soit "illégitime". A chaque fois qu'il y a un progrès vers plus d'intégration, il y a logiquement une perte de souveraineté. La France, dans ce cadre, a sans doute renoncé à une partie de son rôle de proposition et de liberté de venir titiller la Commission européenne quand elle le souhaite sur les questions communautaires. Elle a tendance aussi à être de moins en moins un référent pour les autres ce qui est dommageable dans un contexte d'Europe à 28 Etats où les possibilités d'accords sont multiples.

Eric Verhaeghe : Le pouvoir exécutif a un problème évident de légitimité, qui tient à la faillite de la démocratie représentative. Sous le poids de l'abstention, la majorité parlementaire a attiré à elle moins de 12 millions de voix. Les seuls députés socialistes ont été élus avec moins de 10 millions de voix, pour un corps électoral de 43 millions d'inscrits. Autrement dit, la majorité socialiste à l'Assemblée nationale représente entre un cinquième et un quart des citoyens. Avec une si faible représentativité réelle, on ne peut évidemment pas prétendre changer les grands équilibres du pays. Une majorité aussi minoritaire est forcément en difficulté dès qu'il s'agit de convaincre l'opinion du bien-fondé de décisions difficiles. La conséquence de cette faiblesse est inévitable: les corps constitués et les corps intermédiaires occupent rapidement le vide laissé par le pouvoir central. Pour le reste, j'ajouterai que, dans un régime qui a proclamé depuis 30 ans la décentralisation comme principe cardinal, il y a une forme d'hypocrisie à s'étonner de l'affaiblissement du pouvoir central.

Quelles sont les particularités générales d'un pouvoir d'action qui échappe en partie aux représentants légitimes ? Quelles sont ses limites ?

Olivier Rouquan : Le retrait de l’Etat central ne signifie pas que les relais le remplaçant n’ont pas de légitimité : les collectivités locales disposent d’assemblées élues au suffrage universel, tout comme l’Union européenne. Il est cependant vrai que l’échelon privilégié de la légitimité dans la longue durée reste la Nation et donc en France, l’Etat. Peut-être ce sentiment d’appartenir à la même communauté est-il en train de faiblir ?

Quoiqu’il en soit, l’enjeu des transferts de compétences et de moyens est la protection de populations. On le voit avec les inondations, mais aussi pour les autres risques environnementaux, l’alimentation, les risques de santé, les risques sociaux, l’insécurité au sens physique et matériel que ressentent les individus. L’émiettement des échelons de pouvoir politique ou la dilution des pouvoirs entre public et privé, peut contrevenir à la sécurité des moins pourvus en capitaux économiques et sociaux.

En France l’Etat central, au nom de l’intérêt général, et parce qu’il parvenait à représenter l’autorité y compris vis-à-vis des groupes économiques, pouvait arbitrer au nom de la protection du plus grand nombre et prescrire, interdire (non sans lacune). C’est de moins en moins le cas : ainsi, les services du contrôle de légalité des préfectures sont de moins en moins en capacité de faire valoir l’intérêt du collectif Nation, par rapport à ceux des collectivités locales (notamment dans le domaine sensible du développement durable). Certains passent leur temps à s’en réjouir. Qui sait ?

Eric Verhaeghe : Je m'en voudrais de répondre "hors sol" à cette question, car je crois que les conséquences ne sont pas les mêmes dans des pays jeunes et très théoriques comme l'Allemagne, où le fédéralisme est la seule forme de gouvernement acceptable, et dans des pays anciens comme la France, qui ont forgé leur unité et qui ont proclamé leur volonté d'avoir un destin unique depuis plusieurs siècles. En France, l'émiettement du pouvoir central ruine l'intérêt général et assure le triomphe des intérêts particuliers. La décision publique ou collective en France est devenue le fait de barons locaux, de féodaux, de corporations, qui actionnent les leviers qu'ils ont entre leurs mains selon leur vision à court terme et souvent extrêmement étroite. La France s'est bâtie sur une grande ambition, et elle s'affaisse sur une myriade de petites vérités locales et éphémères portées par des seconds couteaux.

L’État a pour lui la légitimité démocratique de représentants élus, et une opinion publique qui se méfie de l'Europe et rejette les corps intermédiaires, comme en témoigne les sondages de confiance sur le sujet. Comment et pourquoi les gouvernements successifs se sont-ils laissés déposséder de la sorte ? Et pourquoi sont-ils également peu enclins à faire usage parfois de celui qui leur reste ?

Olivier Rouquan : En fait, l’Etat impartial est un mythe; en fonction des périodes, de la diversité et de la culture (dont la formation) des élites politiques et administratives dirigeantes, les sommets de l’Etat parviennent plus ou moins à résister aux pressions économiques et sociales. C’est de moins en moins le cas.

Les marchés n’expliquent pas tout. Certes les élites administratives aujourd’hui veulent rapidement rejoindre de grandes multinationales et la finance. Mais la porosité entre les mondes n’est pas nouvelle.

Le facteur culturel, le délitement de l’esprit collectif (on le voit notamment dans les partis), le délitement du sens de la solidarité (on le voit à l’assemblée), l’individualisme forcené caractérisent la culture des puissants. Des travaux existent sur les élites, mais leurs valeurs mériteraient d'être davantage décortiquées. En France, le relatif monolithisme de leur recrutement ajoute à l’effet démultiplicateur d'une tendance, lorsqu’elle domine: cependant, dans la durée moyenne, le pays a mieux résisté que d’autres au démantèlement des services publics. Il semble néanmoins désormais qu’il ne soit plus en situation de laisser du temps au temps.

Je veux insister sur un point : le modèle de l’Etat stratège (grandes orientations) et régulateur (codécision et contrôle) peut être légitimité à condition d’avoir un contrôle faisant autorité : or désormais, l’Etat central et l'Union européenne sont souvent en défaut de performance à cet égard, on le voit dans l’enjeu alimentaire par exemple.

Alain Wallon : Je pense que le pouvoir français est timoré et se sent humilié par les obstacles qu'il doit affronter devant ses autres partenaires sur son déficit public. L'Allemagne d'ailleurs a une attitude extrêmement rigoureuse qui enfonce un peu la France, alors que les deux pays sont pourtant loin d'avoir les mêmes tendances politiques au pouvoir. Il n'y a donc pas beaucoup de fenêtres de tir visibles et pourtant elles existent. Mais nous ne sommes plus capables d'assumer que nous pouvons être dans la prospective à long terme, nous restons cantonnés à un horizon de trois ou quatre ans. Ce n'est sûrement pas la bonne orientation face à l'Union européenne pour pouvoir peser.

Eric Verhaeghe : Je distingue l'Etat et la République. L'Etat n'a pas de légitimité démocratique. Il est un agrégat de fonctionnaires qui devraient obéir au doigt et à l'oeil au pouvoir législatif et à son émanation, l'exécutif. La vraie question est donc de savoir pourquoi le pouvoir exécutif est si affaibli. Il me semble que votre question est indissociable du sujet qui mine la France depuis 30 ans : la décentralisation. En 1981, François Mitterrand a fait un choix que je peux comprendre circonstanciellement : se dressait face à lui un appareil d'Etat qui lui était majoritairement hostile. Il a donc décidé de décentraliser avec la conviction que les collectivités locales reviendraient majoritairement à la gauche, ce qui fut globalement le cas avec le temps. L'inconvénient de ce choix est d'avoir contrevenu à l'esprit français d'une grande vision collective, unitaire, qui asseyait l'autorité du pouvoir central. Regardez la gestion des collectivités aujourd'hui, regardez leur endettement, et vous comprendrez en quoi la décentralisation porte en elle une grande part de nos problèmes actuels.

La France fait partie de l'Union européenne, elle s'est donc engagée, notamment via des traités, à respecter ce dont elle essaie de se libérer aujourd'hui. Quels peuvent être les moyens de récupérer un pouvoir d'action sans se mettre à dos toute l'Europe (et sans en sortir) ?

Nicolas Goetzmann : En abordant le problème différemment. L’Europe n’est pas une entité hors sol qui échapperait à tout contrôle. L’Europe est censée être l’émanation de la volonté de ses membres, et la France doit être son membre le plus influent, avec l’Allemagne. Par conséquent, chaque critique émise par l’exécutif à l’encontre de "l’Europe" est une autocritique ayant pour effet de mettre en évidence sa propre inaptitude à changer les choses. Afin d’être constructif, il ne suffit donc pas de pointer ce qui ne va pas, mais il s’agit de proposer une alternative.

Ensuite, il faut être réaliste. C’est-à-dire que l’intérêt général européen existe tout autant que le peuple européen, il ne s’agit que d’un concept et non d’une réalité. La carte et le territoire. Sur la carte, cela ressemble à quelque-chose de très joli, mais sur le territoire, c’est très différent. Car cette réalité, ce sont 28 intérêts nationaux qui s’opposent, et non pas une volonté commune vers un "monde meilleur". Il s’agit donc de mener des stratégies d’influence et de jeux de pouvoir, parfois rudes. C’est donc sur ces points que la France doit faire des efforts.

Eric Verhaeghe : Cette question est plutôt amusante, parce que la réponse est évidente, mais politiquement incorrecte. La France a aujourd'hui beaucoup d'attributs de la puissance : un marché de 60 millions de consommateurs, une armée qui est la plus puissante d'Europe, une superficie qui, avec ses eaux continentales, fait d'elle l'un des principaux acteurs mondiaux. Avec ces arguments, il faut savoir montrer les muscles et expliquer sereinement à ses voisins que la farce a assez duré. Face à nous, l'Allemagne est un nain de jardin. L'Allemagne n'a par exemple pas d'armée. En revanche, l'Allemagne maintient la fiction d'une amitié franco-allemande qui neutralise le rapport de force militaire entre nous. C'est absurde. Rappelons que l'amitié entre la France et l'Allemagne rhénane est une donnée historique ancienne. La Bavière, le Palatinat, et même la Rhénanie, sont des alliés historiques de la France. En revanche l'Allemagne de l'Est, c'est-à-dire la Prusse dont Berlin est la capitale, n'a jamais été notre alliée et ne s'est jamais comportée en tant que telle.D'ailleurs, depuis la réunification allemande, l'Europe dysfonctionne. L'erreur commise en 1989 fut d'accepter la Prusse dans la construction communautaire.

Alain Wallon : Il faudrait pouvoir être capable d'être incontournable auprès des autres chefs d'Etat et d'avoir de bonnes relations avec les commissaires travaillant sur les secteurs qui intéressent la France et où elle souhaite être leader. Mais il manque la volonté politique en France pour de telles ambitions.

Olivier Rouquan : François Hollande fait tout ce qu’il peut. Il tente de faire entendre la voix d’une politique moins axée sur la compétitivité à court terme. Il est finalement écouté mais avec deux ans de retard par la nouvelle Commission (investissements de 300 Mds€). L’intégration européenne oblige d’autant plus, que l’influence française au cœur de l’administration bruxelloise va decrescendo depuis le rejet du PCE en 2005. Les résultats des dernières élections européennes nous marginalisent encore plus !

Le Président actuel eût sans doute dû prendre son bâton de pèlerin dès 2012 pour convaincre les chefs de Gouvernement de la zone sud et même de forcer l’Allemagne à négocier. Mais les relais à la Commission étaient faibles. La dynamique ne s’est pas mise en route rapidement. Elle commence tout juste à donner quelques résultats. Pour la croissance et l’emploi, c’est tard... Sortir de l’Union n’est pas envisageable à court terme. Se replacer en situation d’en imposer aux partenaires est la seule voie : cela prend du temps.

La France doit notamment faire face dans ses oppositions européennes à une Allemagne face à laquelle elle a du mal à faire valoir ses intérêts, ou du moins ses choix. Comment la France, qui traitait d'égal à égal dans le cadre du couple franco-allemand s'est-elle retrouvée dans cette position face à une Allemagne loin d'être soutenue par l'ensemble du reste de l'Europe ?

Nicolas Goetzmann : Le développement progressif de l’économie allemande au cours des dix dernières années, passant du rôle de l’homme malade à celui de l’homme fort de l’Europe, a logiquement conduit le pays à tenir une position hégémonique sur le continent. Mais cette situation de fait est aujourd’hui totalement faussée par l’action de François Hollande.

Le Président prétend vouloir réformer l’Europe mais il n’a jamais fait quoi que ce soit en ce sens. Il ne s’agit donc pas d’une perte de pouvoir français, mais d’une inaction volontaire française qui est en train de devenir la jurisprudence Hollande. Avant 2012, on accusait volontiers le "Merkozy". Désormais, Angela Merkel est seule. Non pas parce qu’elle aurait écrasé Hollande en chemin, mais parce que ce dernier n’a jamais exercé son pouvoir. Il s’agit sans doute de sa défaillance la plus visible, cette impossibilité à exercer le pouvoir, c’est-à-dire une capacité à être influent, en Europe. Il est tout à fait possible de critiquer l’action de Nicolas Sarkozy, mais au moins, il était présent. Et c’est ce vide laissé par le Président français qui participe à cette impression d’Europe sans visage, ou d’Europe allemande. C’est un match de tennis où le concurrent ne vient pas sur le terrain, voilà à quoi ressemble l’Europe d’aujourd’hui. Alors qu’elle s’est justement construite sur cette opposition permanente.

Alain Wallon : L'Allemagne n'est effectivement pas vue par tous comme un leader naturel. Il est toujours possible, non pas de minoriser le rôle de l'Allemagne, mais de le ramener à un rôle un peu mieux défini. Mais encore faut-il que cette attitude soit une force de proposition et pas seulement le moyen de fermer les yeux sur ce que nous faisons ! Ce n'est pas comme cela que la France reprendra la place qu'elle occupait dans le couple franco-allemand du temps de Mitterrand / Kohl ou de de Gaulle / Adenauer. La France est un pays fondateur, elle a un rôle fondamental et elle doit le rappeler par des actes, mais pas en renvoyant constamment à des souvenirs historiques. Et malheureusement, la France ne donne pas l'impression de pouvoir être une avant-garde pour les autres pays européens.

Eric Verhaeghe : Premier sujet : l'Allemagne n'existe pas, sauf dans l'esprit des Prussiens et de l'élite parisienne. L'Allemagne avec laquelle nous avons imaginé l'Europe était l'Allemagne de l'Ouest, celle qui a bénéficié de l'influence latine et qui formait la Confédération du Rhin jusqu'en 1810. Elle est notre zone d'influence traditionnelle. Rien de surprenant si nous formions avec elle un couple équilibré. Avec la réunification, on a créé un membre de l'Union hypertrophié, dont le centre de gravité échappe à notre influence et dont l'héritage est beaucoup moins latin. Les Français méconnaissent à tort la logique prussienne qui gouverne l'Allemagne depuis 1991. C'est une logique impérialiste, égoïste, tournée vers l'Est de l'Europe, et incapable d'imaginer un projet européen équilibré. D'ailleurs l'Allemagne prussienne ne tolère le projet européen que si et seulement si il la sert à court terme. Je ne donne pas dix ans de survie à ce projet-là.

Deuxième sujet : les Français ne comprennent rien à l'histoire allemande. Le nom "Allemagne" est très hypocrite. Si l'Allemagne est fédérale, c'est d'abord parce que les Bavarois se sentent plus proches des Français ou des Suisses que des Berlinois. Cette donnée-là est ignorée en France, d'où le mythe d'une amitié franco-allemande qui n'a pas de sens. Les Prussiens ne sont pas nos amis et ne le seront jamais.

Olivier Rouquan : En fait, la France a moins de place parce qu’elle n’a pas fait entre 2002 et aujourd’hui ce qu’il fallait pour sélectionner des filières de haute valeur ajoutée et se positionner à son avantage dans la compétition mondiale. Elle a dilué ses moyens et vécu sur des acquis en ignorant à moitié les mouvements de fond dévastant les certitudes occidentales. La prise de conscience est trop tardive.

L’Etat n’a pas innové sur le plan des réformes, par couardise des dirigeants, routiniers, et couardise aussi des groupes d’intérêts de la société civile, tout aussi conservateurs, même s’ils dénoncent toujours l’égoïsme du voisin ! La société est bloquée comme l’écrivait il y a... 50 ans M. Crozier, au sens où la France ne sait pas pacifiquement s’adapter en continu aux réalités et en suscitant de forts compromis internes. Elle subit donc mais ne conduit pas le changement. Et croît le sentiment d’être dépossédé de sa souveraineté, parce qu’elle n’invente pas un modèle judicieux de réforme.

Concernant les corps intermédiaires et les collectivités, si l'Etat se laisse influencer par leur pouvoir, il aurait pourtant le potentiel de légiférer sur le cadre de leur existence, et du pouvoir à leur laisser.A quoi pourrait ressembler une ferme reprise en main par le pouvoir central de la question ?

Eric Verhaeghe : Il me semble qu'il y a sur ce sujet deux étapes indispensables.

La première est de refabriquer une vision commune de la France de demain et de se donner les moyens d'un aménagement intelligent et équilibré du territoire. C'est tout le contraire qui se passe aujourd'hui. Quand vous pensez que l'on a dépensé des dizaines de millions d'euros pour construire un aéroport à Brive-la-Gaillarde, alors qu'il y en a un à Tulle et un autre à Limoges, qui sont tous déficitaires et servent à transporter moins de 100.000 passagers à l'année, alors qu'à Paris le RER B et le RER D partagent les mêmes voies entre le Châtelet et la Gare du Nord, ce qui constitue une nuisance pour plus d'un million de personnes par jour, vous voyez bien qu'il y a un problème...

Deuxième étape : il faut réinventer la péréquation pour éviter que, lorsque nous aurons recentralisé les décisions et le pays, des décisions trop pénalisantes pour les territoires excentrés ne soient prises. Cela suppose sans doute une démarche par objectifs et par critères transparents.

Olivier Rouquan : l’Etat central et ses dirigeants doivent assumer le fait d’avoir un périmètre désormais réduit, mais qui doit rester stratégique (défense et sécurités - notamment environnementale -, renseignement, impôt, justice, solidarité, intérêts économiques majeurs). Il doit en conséquence clarifier les définition des orientations (stratège) et restructurer ses moyens de contrôle dans tous ses secteurs et imposer le respect des normes aux partenaires, parfois de façon la plus dure et tranchée (régulation). Sans quoi, son autorité continuera à se déliter. Cela passe contrairement à la mode en vogue, par une consolidation du corps préfectoral d’une part, et de celui des magistrats d’autre part, avec tous les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions.

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