Comment les maires sont devenus le seul contre-pouvoir qui tienne la route en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls et François Barouin.
Manuel Valls et François Barouin.
©Reuters

SOS écharpe

Alors que François Hollande a annoncé vouloir favoriser les référendums locaux à l'avenir, et que Manuel Valls a participé au Congrès annuel des maires de France, le maire apparaît aujourd'hui comme une solution au sentiment d'éloignement des processus de décision grâce à sa lisibilité et à son accessibilité.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Manuel Valls a donné un discours devant 4000 maires réunis au sein de l'AMF, et François Hollande a d'ores et déjà annoncé vouloir appuyer la démocratie participative locale, une mesure a priori populaire. L'élu local reste, de loin, celui qui a la meilleure estime des citoyens et qui fait office de rempart face à certaines dérives ou à un éloignement excessif des processus de décision. Pourquoi la commune réussit-elle là où les autres ont échoué ? 

Jean-Luc Boeuf : Un peu d'Histoire tout d'abord. Il y a un peu plus de cent ans, à l'aube du XX ème siècle, le président de la République réunit à Paris l'ensemble des maires, à l'occasion de l'exposition universelle de 1900. Plus de 22000 sur les 38000 maires que comptait la France à l'époque firent le déplacement parisien ! Aujourd'hui, le maire demeure ce référent parce que, chaque jour, il représente celui vers lequel on peut se tourner, quels que soient sa condition, son âge, sa situation. Alors que nos sociétés sont ouvertes, désenchantées et désacralisées, chacun perçoit bien, quelle que soit la taille de la commune dans laquelle il réside, que le maire est cette personne à son écoute, à l'occasion des drames personnels, professionnels. Un incendie ? Des licenciements ? Un drame de la route ? Le maire est encore et toujours là. Alors que les pouvoirs publics ont déserté les territoires, que les entreprises voient leurs liens se distendre, le maire reste quasiment le seul interlocuteur pérenne. Alors cessons de comparer le nombre de nos communes avec le reste de l'Union européenne ! Notre pays est un vieux pays, avec ses racines, et dans lesquelles le maire figure au tout premier plan.

Eric Verhaeghe : D'abord et évidemment parce que la commune est un lieu de proximité, et l'attente fondamentale du citoyen est bien celle de pouvoir discuter directement et de façon proche avec son élu. Le principal objet de dépit, dans notre démocratie, est l'éloignement du citoyen vis-à-vis du processus de décision. Et l'éloignement vient vite: dès la naissance de l'intercommunalité, s'établit une distance entre le citoyen et le décideur local. Cette distance est accrue par le processus très peu démocratique en vigueur dans les intercommunalités. Le suffrage n'y est pas direct et le citoyen ne sait plus qui détient les mandats intercommunaux, ni quelles en sont les compétences. Au fond, la réussite de la commune, c'est sa simplicité, son accessibilité, sa lisibilité.

Roland Hureaux : Il faut se méfier des idées reçues. Le maire : seul élu ayant une bonne cote, dit-on - et disent les sondages. Oui, mais dans sa ville ou son village, on n'en dit généralement pas du bien tous les jours. Qu'il soit bon ou mauvais, cependant, le fait qu'on le voie crée un attachement affectif. Des gens de Villeneuve-sur-Lot m'ont dit que si Jérôme Cahuzac s'était représenté aux municipales, il serait repassé. Dans son domaine propre, qui lui laisse une vraie marge de manoeuvre, le maire  peut, plus que d'autres, faire prévaloir le bon sens. Je ne vois pas en revanche comment il peut protéger ses concitoyens de la folie bureaucratique qui règne à d'autres niveaux et devant laquelle il se trouve, comme nous tous,  impuissant, voire désemparé.

Je pense aussi qu'il ne faut pas idéaliser le maire. Un peu partout se sont mises en place des bureaucraties municipales. Certains maires médiocres ou peu inspirés sont à leur botte ou à celle de tous les consultants spécialisés qui prolifèrent aujourd'hui autour du pouvoir municipal. La différence du maire avec les autres élus, c'est qu'il peut se faire prendre à partie pour telle ou telle décision, au bistrot ou  dans la rue.   Les moins bons réagissent en technocrates : " voyez mes services, ou " c'est comme cela, je n'y peux rien".  Certains essayent d'aller au-delà mais le citoyen est quand-même content d'avoir pu parler à quelqu'un.

Pourquoi les autres députés "locaux" (comme les conseillers généraux, ou même les députés qui bien que n'étant pas élus locaux sont souvent abusivement considérés comme tels) n'ont-ils plus les moyens de jouer le rôle de contre-pouvoir ?

Eric Verhaeghe : Les conseillers généraux ne me semblent pas avoir les mêmes difficultés que les députés. Dans le cas du conseil général, il y a d'abord un problème de compétence. Le champ d'action du conseil général est très restreint. Dans la pratique, il vaut surtout pour le domaine social, qui est devenu une sorte de spécialité départementale dont les autres collectivités ne sont guère envieuses. Le rôle d'un conseiller général est donc de peu de poids sur la vie quotidienne.

Dans le cas du député, le sujet est un peu différent. De plus en plus, les députés sont devenus des représentants de leur circonscription, des lobbyistes officiels chargés de défendre leurs intérêts particuliers auprès du gouvernement. Cette évolution de la République pose problème. A la base, le député est un législateur: il exprime l'intérêt général. Avec le temps, il se réduit au rôle de simple solliciteur auprès du gouvernement pour des intérêts locaux. Notre Parlement n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut. Comment en vouloir aux Français s'ils ne croient plus en ce simulacre?

Roland Hureaux : Je ne crois pas que ceux dont vous parlez n'aient jamais été des contre-pouvoirs. Mais il est vrai que les logiques technocratiques sont de plus en plus strictes et de plus en plus contraignantes, en matière d'urbanisme par exemple. Pour ce qui est des élus nationaux, les contraintes européennes et la prolifération des autorités indépendantes (CSA, CRE pour l'énergie, ART pour les communications, Comités d'éthique etc.) auxquels ils ont abandonné leurs pouvoirs, leur lient de plus en plus les mains. 

Médias, syndicats, corps intermédiaires, organes de contrôle, les sondages indiquent tous qu'ils subissent un niveau de défiance élevé. Quels sont aujourd'hui les contre-pouvoirs qui faillissent à leurs missions ?

Eric Verhaeghe : Votre question est un peu compliquée, parce qu'elle laisse sous-entendre que, avec un peu plus de contre-pouvoirs, ces corps en question pourraient retrouver de la confiance. Je ne suis précisément pas sûr de cette logique. De mon point de vue, une grande partie de la défiance qu'inspire ces corps vient de leur capacité de bloquer les réformes nécessaires, par des jeux de pouvoir éloignés de l'intérêt général. Quand la presse passe son temps à dénigrer au lieu d'informer, elle est incontestablement en tête de ce jeu perdant. Mais les syndicats corporatistes ne sont pas forcément loin de ce classement.

Il me semble que la bonne question serait de savoir quelle devrait être l'action de ces corps pour retrouver de la confiance. Peut-être que la seule réponse possible à cette question est négative: rien! en réalité, les Français n'aiment pas les corps intermédiaires et se trouvent très bien avec un corps législatif qui décide de tout ce qui concerne les affaires publiques. Pour le reste, les Français aiment leur liberté.

Roland Hureaux : A peu près tous les pouvoirs et contre-pouvoirs sont disqualifiés, en particulier la justice (le 3e pouvoir !) et la presse (le 4e). La Cour des comptes n'a pas mauvaise réputation mais elle a la partie facile, n'ayant qu'à critiquer,  et elle  a le sens de la communication. Pour la connaître de près, je pense qu'elle pourrait cependant faire mieux.

Le fond du problème  est double :

- la perte d'indépendance de nos décideurs au bénéfice l'instance internationales, pas seulement européennes : à quoi sert un député que l'on a élu pour commander et qui ne fait qu'obéir ?

- l'imprégnation générale par des idéologies, non pas globales, mais sectorielles, comme à l'éducation nationale, si puissantes que personne n'ose s'y opposer et qui s'imposent d'un bout à l'autre de la chaîne de commandement si j'ose dire, presse incluse.

Ceux qui gouvernent la cité doivent être libres pour pouvoir servir les intérêts des citoyens. S'ils ne le sont pas, les gens le sentent et les méprisent.

Dans quelle mesure la "consanguinité" de ces élites et par conséquence son manque de prise avec le réel participe-t-elle de ce phénomène ?

Eric Verhaeghe : Là encore, je poserais la question un peu différemment. Le problème me semble surtout de savoir si l'on peut imaginer qu'un régime s'appuyant sur des corps intermédiaires peut, en France, ne pas produire rapidement de la consanguinité. Historiquement, il me semble que l'on rencontre peu de cas où la France a pu construire un régime qui ne produise pas ce genre d'effet pervers au bout de trois ou quatre décennies. La Troisième République en a beaucoup souffert. La Cinquième République en souffre énormément. Le plus étonnant est d'ailleurs que les gens de droite se montrent beaucoup plus critiques que les gens de gauche sur le sujet. Lorsque Sarkozy a voulu propulser son fils à la tête de l'EPAD, il a profondément rompu avec une partie de son électorat, alors que le népotisme est un fait répandu à gauche, comme l'a montré l'affaire ARIF, et suscite moins de répulsion dans les rangs de la base.

J'ai toujours été persuadé que la France oscillait en permanence entre un goût pour l'aristocratie héréditaire, et une envie de rupture révolutionnaire.

Roland Hureaux : Depuis les origines de l'histoire, les élites ont été consanguines comme vous dites, ce qui ne les empêchait pas d'avoir du bon sens et du courage. Si vous voulez dire qu'en allant  chercher  des homi novi comme on disait à Rome, des chefs  d'entreprise par exemple, ça sera mieux, vous vous trompez. Ces nouveaux venus sont souvent plus technocrates que les technocrates! Il y a cependant une part de vrai dans ce que vous dites : dans les cercles parisiens dirigeants où se retrouvent des politiques, des hauts-fonctionnaires, mais aussi de grands journalistes, règnent des préjugés très enracinés et faux qu'il est très difficile de changer. Par exemple que les petites communes étaient source de gaspillage et d'inefficacité ou que les länder allemands sont, eux,  source d'efficacité. Ces préjugés sont à l'origine de réformes désastreuses. C'est l'orgueil et la suffisance de ces gens, leur esprit panurgique  aussi,  qui les rend inaccessibles  à des arguments allant en sens inverse.

Quelles en sont les autres raisons ?

Eric Verhaeghe : Historiquement, les Français aiment les lois. Ils n'aiment pas les autres normes. Le fait de déléguer du pouvoir à des corps intermédiaires n'a jamais été un choix qui s'est imposé au coeur des citoyens. La décentralisation a beaucoup plu aux élus locaux, mais elle continue à susciter un fort scepticisme chez les contribuables, qui ne comprennent rien à la complexité administrative si coûteuse et si inefficace. On proposerait aujourd'hui aux Français une recentralisation de fait qu'ils applaudiraient largement.

Roland Hureaux : Peut-être le recul d'un héritage culturel, issu aussi bien du christianisme que des Lumières,  qui valorisait l'esprit de résistance, fut-ce sur des posions isolées. Faute de cela, prévalent le conformisme, l'acceptation, la résignation, le manque de courage : tout le monde voit  que le roi est nu mais personne n'ose le dire ! Et dans le même ordre d'idées, il y a la corruption. 

Les communes aussi subissent des travers que l'on peut reprocher aux autres : lutte de pouvoir, potabilisation des élus... Ils ne sont à l'abri ni des affaires judiciaires, ni de la volatilité des électorats. Quelles réponses les maires apportent-ils à ces obstacles pour garder une cote de popularité élevée ? 

Jean-Luc Boeuf : Comme toute entité ou petite société, une commune est un organisme qui vit et qui traverse donc des périodes de luttes internes, de régulations, de crises. Il appartient à celui qui incarne sa ville - le maire donc - de pouvoir les résoudre au mieux. La notabilisation des élus est aussi ancienne que les élections et les pouvoirs locaux ! Que l'on songe par exemple au pouvoir d'influence exercé par le prévôt des marchands, à Paris, des le XIIIeme siècle ! La question des affaires judiciaires - ou plutôt de leur médiatisation - est un phénomène plus récent, lié à la judiciarisation de nos sociétés, et pour tout dire à leur américanisation. Naguère, le pouvoir de régulation appartenait largement à l'Etat, depuis la caricature des candidatures officielles sous le Second Empire et aux candidats "soutenus" sous la III eme République. La meilleure réponse que les maires apportent tient à leur implication de tous les jours. Songeons que plus de 90% des fonctions d'élus sont exercées sans aucune indemnité. Songeons que les "bassins de recrutement" naturels des élus proviennent du milieu associatif et sportif, lieu par excellence de l'exercice du bénévolat. La popularité d'un maire ne se décrète pas ! Elle se constate - chaque jour - par les actions concrètes et pragmatiques dont peuvent se rendre compte ce que j'appelle le quarteron de la décentralisation. Qu'est-ce que le quarteron de la décentralisation ? C'est chacune et chacun d'entre nous, dans sa vie de tous les jours, selon que l'on soit contribuable, usager, électeur ou citoyen de notre ville.

Roland Hureaux : Nous l'avons évoqué : la proximité qui ne fait pas toujours prendre de meilleures décisions mais qui permet le contact, si j'ose dire charnel.

Quel est concrètement le pouvoir qu'a un maire aujourd'hui pour changer les choses dans sa commune, à l'époque du regroupement croissant en agglomérations ? 

Jean-Luc Boeuf : Le premier pouvoir qu'incarne le maire est celui de la disponibilité et de la visibilité. Il a été élu pour un mandat de six ans qui lui permet tout à la fois de sortir du "court termisme" et de gérer les actions quotidiennes. Pour changer les choses dans se ville, il faut au maire cette perception du quotidien, cette volonté de faire passer auprès de ses concitoyens les projets qu'il souhaite réaliser. Rien ne peut se faire naturellement sans l'adhésion de ses habitants. Le regroupement en agglomération induit naturellement des changements, notamment dans l'approche et la résolution de sujets liés à l'urbanisme, aux transports, aux gens du voyage. Mais il y a toujours un besoin de cet interlocuteur de proximité qu'est le maire, et en lequel les habitants d'une ville se reconnaissent.

Roland Hureaux : Le maire d'une ville moyenne est en général le président d'une communauté d'agglomération et à ce titre ces deux pouvoirs se conjuguent. En matière d'urbanisme ils sont très grands, à condition qu'il ne se laisse pas enfermer dans les vues des technocrates ou des bureaux d'études.

Les maires des petites communes ont, eux , perdu beaucoup de pouvoirs et je le déplore, d'autant que les structures intercommunales fonctionnent  presque toujours à l'unanimité et donc de manière  peu démocratique.

François Baroin est devenu le président de l'Association des maires de France. Dans quelle mesure cela pourrait lui être bénéfique d'un point de vue stratégique ? En quoi cela peut-il impacter ses positionnements nationaux (et notamment son soutien à Nicolas Sarkozy) ?

Comme président de l'AMF , il sera tenu à une certaine réserve. Aura-t-il plus de poids s'il soutient quelqu'un ? Peut-être mais plus par son prestige que par son influence directe.

Jean-Luc Boeuf : Il suffit de regarder quels élus ont occupé cette fonction depuis une quarantaine d'années pour se rendre compte de l'importance stratégique de ce mandat : Alain Poher, président du Sénat, Michel Giraud, président de l'Ile-de-France, Jean-Paul Delevoye ont été présidents de la puissante association des maires de France. Jacques Pélissard, de 2004 à 2014, a exercé cette magistrature d'influence o combien écoutée des pouvoirs publics. Le résultat est le rôle joué par l'AMF dans la façon d'infléchir les textes concernant les collectivités locales. À titre de illustration, Jacques Pélissard est l'inventeur en quelque sorte de la notion de "bloc communal", qui montre bien ce lien - toujours en construction - entre la commune et les intercommunalités, quelles que soient leur taille. Pour ce qui est de François Baroin, il est certain que son relatif jeune âge et l'expérience qu'il a acquise depuis près de 25 ans de vie politique en tant que maire, ministre, parlementaire, lui seront un tremplin vers d'autres fonctions dans les prochaines années.

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