Mais pourquoi êtes-vous resté(e) ? La pire des questions à poser aux victimes de violence domestique <!-- --> | Atlantico.fr
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Chaque année, en France, plus de 216 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur ancien ou actuel partenaire.
Chaque année, en France, plus de 216 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur ancien ou actuel partenaire.
©Reuters

Sans appel

A l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le gouvernement fixe les nouvelles priorités de son 4ème plan interministériel (2014-2016) en ce 25 novembre : la mise en place d'outils de formation déclinés pour toutes les professions concernées et l'accès à un logement. Bien mais insuffisant comme réponse à l'incompréhension généralisée des traumatismes occasionnés.

Nathalie Tomasini

Nathalie Tomasini

Nathalie Tomasini est avocate au Barreau de Paris, spécialisée sur les questions de violence au sein de la cellule familiale : harcèlement moral et violence psychologique. Elle est co-auteur de l'ouvrage "Acquittée" d'Alexandra LANGE, édité en 2012 chez Michel Lafon.

Elle est associée du cabinet BONAGGIUNTA-TOMASINI & ASSOCIES, aide aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

 

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Janine Bonaggiunta

Janine Bonaggiunta

Janine Bonaggiunta est avocate au barreau de Paris et enseignante à l'école de formation des avocats de Paris (EFB). Spécialisée dans les affaires de violences conjugales, elle est co-auteur de l'ouvrage "Acquittée" d'Alexandra LANGE, édité en 2012 chez Michel Lafon.

Elle est associée du cabinet BONAGGIUNTA-TOMASINI & ASSOCIES, aide aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

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Atlantico : Chaque année, en France, plus de 216 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur ancien ou actuel partenaire. 86 000 femmes indiquent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol. Seules 10% d’entre elles toutefois déposent plainte. Comment l'expliquer ?

Nathalie Tomasini : Plusieurs raisons à cela. Dans un premier temps, avant de déposer plainte, elles ont toujours l'espoir que leur conjoint ou concubin (l'homme violent) redevienne ce qu'il était : un prince charmant. Elles ont également peur du retour de bâton, soit le sentiment de s'exposer à une très probable poussée de violence encore plus extrême. Enfin, elles ont peur de se retrouver à la rue et de tomber dans une précarité économique. Cette peur est d'autant plus forte lorsqu'elles ont des enfants.

Enormément de ces femmes sont en effet captives de leur conjoint, sous son emprise sociale et économique. D'ailleurs ces femmes sont souvent coupées de toute autonomie, désocialisées et privées de situation professionnelle. Elles sont prisonnières d'une "toile d'araignée" en quelque sorte, tissée par le bourreau.

Il y a celles qui rebroussent chemin car elles sont mal accueillies par les officiers de police judiciaire (OPJ) dans les commissariats. Bien souvent d'ailleurs, l'argument du conflit de couple susceptible de s'arranger est avancé. Dans une logique opposée, il leur est reproché de ne pas s'être déclarée avant. Pour résumer, soit il est trop tôt, soit trop tard. Il n'y a ni empathie, ni bienveillance. Cela n'est évidemment pas la règle générale. Reste que 40 % de nos clientes font état deces situations.

Enfin, notons la difficulté des OPJ qui instruisent à charge et à décharge, et qui par définition n'accueillent pas les victimes comme elles souhaiteraient être accueillies : avec une forme de bienveillance et le sentiment d'être crues, et non suspectes. C'est ainsi qu'elles sont amenées à rebrousser chemin dès le stade du dépôt de plainte. Il y a un effet repoussoir, et ce malgré les plans de sensibilisation. Tout cela n'est pas concrètement optimal. 

Dans pareils cas de figure, la question "Pourquoi êtes-vous restée ?" est celle qui revient quasi systématiquement... Pourquoi est-ce la pire des questions à poser ? Comme précédemment évoqué, cela témoigne-t-il du peu de cas accordé aux victimes ? 

Janine Bonaggiunta : Cette question est révélatrice d'une confusion largement entretenue par les services de police, les services de santé et associations dédiées. Il faut en effet faire la distinction entre violences conjugales et conflits. Dans le premier cas, le rapport de domination de l'agresseur est total, comme sa prise de pouvoir sur sa victime. A partir du moment où cette question est posée, c'est que la différence entre violence et conflit conjugal n'est pas comprise.

En effet, si les violences conjugales étaient comprises, il ne serait plus possible d'évacuer le climat de peur et de tensions permanentes auquel sont soumises les victimes. Ces femmes sont souvent isolées, manquent d'autonomie et culpabilisent pour la plupart. Rappelons que les bourreaux en l'occurence ne reculent devant rien, allant jusqu'à faire porter la responsabilité de leur violence à leur femme de manière plus ou moins directe, parce qu'elle n'est pas une bonne femme d'intérieure ou bonne mère par exemple.

Ces femmes ne sont pas prises en considération dans leur statut de victime. Le manque de formation sur la prise en considération et l'idenfication des violences faites aux femmes est patent. A partir du moment où un travail de formation des personnels de police autour de la reconnaissance de cette violence est opéré, il est alors permis d'aider les victimes d'entreprendre le long chemin vers la libération. La plupart du temps d'ailleurs, la victime elle-même nie l'existence de cette violence. Elles ont enfoui cette violence en elles.

Angoisse, peur, sclérose, culpabilisation... Qu'est-ce qu'on ne comprend pas d'autre chez les victimes de violences domestiques ou conjugales (et qu'il nous faut plus que jamais prendre en considération) ?

Janine Bonaggiunta : Il faut aussi prendre en considération le fait que les bourreaux n'hésitent pas à recourir au chantage affectif ou au chantage au suicide. Les enfants sont également des pièces maîtresses de ce jeu malsain, le concubin ou mari violent n'hésitant pas à menacer d'enlever les enfants. Dans le cas de mariages mixtes, cette menace est même poussée jusqu'à l'installation de l'enfant dans le pays d'origine du mari. Enfin, la menace plus directe de mort est également récurrente.

Ces cas de violences conjugales ou domestiques sont-ils le fait de classes sociales particulières ou observables dans tous les milieux sociaux ?

Nathalie Tomasini : La violence conjugale est présente partout, dans tous les milieux sociaux. Rien que pour nos clientes, elles proviennent à 52 % de milieux défavorisés, et pour 42 % de milieux favorisés, voire très favorisés. C'est du 50-50.

De la même manière, et c'est assez symptomatique, il est observé que dans les milieux ou zones géographiques méditerranéennes on observe beaucoup de violences conjugales, mais dans le Nord, qui présente un taux d'alcoolémie moyen important, les violences conjugales sont également fortement présentes. Les causes diffèrent sur le plan géographique, mais les tristes effets demeurent.

Quelles pistes permettraient d'améliorer la prise en charge de ces victimes et d'assurer un meilleur suivi judiciaire ?

Nathalie Tomasini : Ces femmes doivent être considérées psychologiquement et judiciairement de manière spécifique. Ce n'est pas le cas en France, même s'il existe un titre spécifique du Code civil qui leur consacré, avec des outils juridiques particuliers comme l'ordonnance de protection. Mais tout cela n'est pas suffisant. Elles ont besoin d'un droit dérogatoire au droit commun de la famille.

Au Canada, ils ont compris cela. La psychologie des victimes est importante et a des conséquences judiciaires et juridiques. Un arrêt a mis en exergue ce qu'on appelle le syndrome de femme battue. Ce dernier se définit par un ensemble de signes cliniques qui prive la personne de trouver une solution raisonnable pour se sortir de la situation de terreur de danger dans laquelle elle se trouve. En d'autres termes, si les femmes ne partent pas, alors que toute femme rationnelle serait partie depuis longtemps, c'est précisément parce qu'elles ne peuvent plus raisonner de manière rationnelle. La relation de dominant à dominé les a formatées, privées de tout raison. Elles ont la peur constante, quasi quotidienne, d'être tuée. A partir de là, elles sont dans un état de présomption de légitime défense constant. Au Canada, ils ont donc développé cette présomption de légitime défense, qui n'existe pas en France. Cela permet de penser que ces femmes battues sont la plupart du temps susceptibles d'être tuées tous les jours, et que si elles se défendent, elles sont forcément en cas de légitime défense. A l'accusation alors de prouver le contraire.

En France, il a été préféré de conserver le droit de la famille, avec des paradoxesqui ne permettent pas l'application aux femmes victimes de violences conjugales ou domestiques. Nous militons pour un droit (corpus législatif) et des tribunaux (des instances) spécifiques.

Justement, quels sont ces droits de la famille inapplicables dans le contexte particulier de violences conjugales ou domestiques, auxquels vous faites référence ?

Janine Bonaggiunta : Les problèmes sont nombreux. Par exemple, avec la loi du 27 juin 2014 à renforcer la co-parentalité après la séparation du couple. Sur le fond, c'est très bien, c'est un beau principe. Mais lorsqu'il y a violences conjugales, c'est compliqué puisque l'ancien couple doit s'entendre pour prendre des décisions aussi minimes soient elles.

Autre exemple, la place importante accordée à la médiation est une chose impossible dans le cas de violences conjugales puisqu'un rapport de domination a été instauré entre le bourreau et sa victime. Autant dire que l'auteur des violences va se sentir à l'aise durant ces séances, alors que la victime se sentira rabaissée. D'où un sentiment de double peine pour la victime, méconsidérée jusque par les institutions judiciaires.

La mise en place de la résidence alternée des enfants est un autre problème : les maris violents se font un plaisir de garder le lien avec leurs victimes pour leur faire subir des dévalorisations, des humiliations, etc. Tous ces droits sont autant d'armes supplémentaires pour le bourreau qui voudrait nuire à sa victime, et en rien une assurance du bien-être de l'enfant, alors que l'essentiel est là.

Et en amont, que faire sur le plan de la détection ou concernant la prévention ? En sachant qu'il est délicat de contraindre une victime de violences domestiques ou conjugales de porter plainte... 

Nathalie Tomasini : Il faut mettre en avant la nécessité pour les médecins de famille, les hôpitaux et autres d'aller plus en avant dans le questionnement, la mise en confiance de ces femmes qui ont besoin de parler à quelqu'un. Les professionnels de santé ont donc un rôle à jouer. Les sages-femmes ont un rôle particulier à jouer, puisque les premières violences se manifestent très régulièrement lors de la grossesse.

Ensuite, les témoins proches, amis, peuvent aider la victime à entendre la démarche du dépôt de plainte, voire d'orienter cette dernière vers des professionnels, associations ou avocats. Les voisins, qui peuvent être témoins de disputes conjugales, doivent nécessairement agir, ne serait-ce qu'en appelant les services de police. Mieux vaut prévenir que guérir. Et en France, il n'y a pas une sécurité des témoins, alors que cela est déjà en vigueur dans les pays anglo-saxons.

Nous défendons également une radicalisation des sanctions, qui restent trop faibles en France, aussi bien sur le volet peine de prison qu'indemnisation des victimes. Tant qu'on oeuvrera pas dans ce sens, aussi bien sur la prévention que la répression, ce fléau des violences faites aux femmes ne pourra être jugulé.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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