Expiration du délai sur le nucléaire iranien : pourquoi Téhéran pourrait avoir intérêt à encore gagner du temps<!-- --> | Atlantico.fr
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Hassan Rouhani, le président iranien.
Hassan Rouhani, le président iranien.
©Reuters

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Les 5+1 (France, États-Unis, Grande-Bretagne, Chine, Russie, Allemagne) et l'Iran se retrouvent lundi 24 novembre à Vienne pour les dernières heures d'une négociation sur le dossier du nucléaire iranien.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Il est clair que la dynamique des négociations entre l’Iran et les 5+1 dépend avant tout des discussions entre les Etats-Unis et l’Iran. Du côté américain, les facteurs qui expliquent la volonté d’aboutir à un accord sont nombreux. Obama et ses conseillers considèrent que les autres options (sanctions, menaces de guerres, politique de regime change) pour régler cette crise ne marchent pas. Seules des négociations peuvent permettre de sortir de cette crise. Par ailleurs, il y a également la volonté des autorités américaines de mettre fin à un conflit de plus de 30 ans avec l’Iran. Cette volonté de normalisation est liée au fait que l’Iran et les Etats-Unis pourraient coopérer pour essayer de régler un certain nombre de crises régionales (Syrie, Afghanistan, etc.). Parmi ces crises, il y a évidemment la question de la lutte contre l’Etat Islamique. Parallèlement, il y a évidemment des intérêts économiques énormes puisque les entreprises américaines, pour la plupart d’entre elles, ont été écartées du marché iranien. Une normalisation des relations entre l’Iran et les Etats-Unis préparerait le retour de ces entreprises (Boeing, General Motors, Exxon, etc.) sur le marché iranien. Enfin, il y a l’intérêt personnel de Barack Obama qui deviendrait le président américain qui a mis fin à un conflit de plus de 30 ans.

La Russie a, depuis la signature de l’accord de Genève en novembre 2013, été sur la même ligne que les autres membres des 5 +1, c’est-à-dire qu’il y a eu un effort de cohésion entre les 5+1 pour maintenir une ligne de conduite défendant l’idée que l’Iran avait le droit d’enrichir de l’uranium à condition que son programme nucléaire reste civil. En fait, la Russie a joué un rôle d’intermédiaire entre l’Iran et les occidentaux sur ce dossier. Les Russes ont toujours été opposés à l’idée que l’Iran puisse avoir la bombe atomique mais ont défendu les droits de l’Iran à un programme nucléaire civil. Les Russes ont d’ailleurs entrepris une coopération avec l’Iran dans le domaine du nucléaire civil puisqu’ils ont fini la construction de la centrale nucléaire de Busher et viennent d’obtenir un contrat pour la construction de deux centrales nucléaires supplémentaires. Une coopération entre l’Iran et la Russie a d’ailleurs été évoquée pour produire du combustible à base d’uranium enrichi pour alimenter ces centrales et cette coopération pourrait être un des éléments retenus dans l’accord final actuellement négocié : ceci permettrait d’accorder le droit à l’Iran de fabriquer sous contrôle le combustible (à base d’uranium enrichi) dont ils ont besoin pour leurs centrales nucléaires. Par ailleurs, les autorités russes ont voté les sanctions de l’ONU qui demandaient à l’Iran de suspendre l’enrichissement de l’uranium mais se sont également opposées à des sanctions supplémentaires bilatérales contre l’Iran telles qu’elles ont été mises en place par l’UE et les Etats-Unis. La signature d’un accord sur le nucléaire avec l’Iran ne changerait pas grand-chose sur le plan stratégique puisque les Russes considèrent déjà que leurs relations avec l’Iran sont importantes compte tenu de la lutte qu’ils mènent en Russie même contre les groupes extrémistes d’inspiration salafiste. Néanmoins, leur contribution à cet accord en tant "qu'allié" pourrait permettre un approfondissement de leur partenariat économique. Ils viennent d’obtenir ce contrat pour la construction de deux centrales nucléaires. Par ailleurs, ils sont un partenaire important de l’Iran en matière de vente d’équipements militaires.

Les pays européens ont également joué un rôle important dans ces négociations ces derniers mois car il était important que la position des 5+1 reste cohérente. On peut toutefois regretter que la France n’ait pas joué un rôle plus actif. La France avait les moyens de jouer ce rôle. Cela aurait notamment permis aux Européens (et à la France) de renforcer notre place dans la région puisque l’Iran y est un acteur clé (ce que les américains ont compris …). Un rôle plus actif de la France dans ces négociations aurait été également un facteur qui aurait pu jouer favorablement sur les intérêts des entreprises françaises sur le marché iranien (même s’il ne s’agit pas de tout lier aux intérêts économiques). Il y a sans doute un mode de pensée néo-conservateur qui subsiste au Ministère des Affaires étrangères français …et qui est beaucoup moins affuté quand il s’agit de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis ou du Qatar …

Les Iraniens veulent un accord pour que soit reconnu officiellement leur droit à enrichir et à disposer d’un programme nucléaire civil. Par ailleurs, il est clair que cet accord est également un premier pas vers une amélioration des relations avec les Etats-Unis. La, priorité pour les deux pays est la lutte contre l’Etat Islamique mais on sait que leurs discussions pourraient porter sur d’autres dossiers (Afghanistan, Syrie, etc.). On peut penser que cette amélioration des relations avec les Etats-Unis est également un moyen pour l’Iran de s’affirmer comme puissance régionale. C’est néanmoins une erreur complète d’analyse (que l’on voit ici ou là) de considérer que l’Iran va redevenir le "gendarme du Golfe" comme au temps du Shah. Les temps ont changé … L’Iran est devenu un pays "mature" qui veut avant tout défendre ses intérêts. Il y a également des enjeux économiques. L’économie iranienne (notamment l’industrie) tourne au ralenti à cause des sanctions. La levée des sanctions permettrait à la croissance de repartir, d’attirer les investisseurs étrangers, de réduire le chômage, etc. Il y a également des enjeux politiques et sociétaux. Un accord renforcerait le camp des modérés en Iran. Ceci donnerait plus de marges de manœuvre à Rohani pour lancer les réformes visant à une plus grande ouverture politique. Enfin, une très large majorité de la société iranienne veut une normalisation des relations avec l’occident.

On sait que les deux grands sujets de désaccord entre l’Iran et les 5+1 concernent le nombre de centrifugeuses dont l’Iran pourra disposer à terme et le rythme de levée des sanctions. Sur le nombre de centrifugeuses, il y a quelques mois les points de vue de l’Iran et des occidentaux étaient très opposés. Il semble qu’il y ait eu un rapprochement des positions ces dernières semaines. Il faut que chaque camp fasse un compromis tout en obtenant un résultat qui soit présentable face aux "durs" aux Etats-Unis et en Iran. Ce n’est pas simple.

L’autre sujet de désaccord concerne le rythme de levée des sanctions. En cas d’accord, les Iraniens veulent que l’ensemble des sanctions soient levées. Les occidentaux répondent que cela prendra du temps notamment pour annuler certaines d’entre elles (celles votées aux Nations-Unies et par les Congrès et Sénat américain). Les négociateurs iraniens savent qu’ils ont des cartes en main qui intéressent les pays occidentaux (accès au marché iranien, perspective de coopération avec l’Iran pour résoudre les crises régionales) et dont ils peuvent jouer dans ces négociations. Ils savent également que l’on n’a jamais été aussi proche d’un accord et que cette opportunité ne se représentera pas de sitôt…

Manifestement, les Iraniens et les Américains veulent éviter un scénario où il y aurait un échec des négociations et où chacun repartirait de son côté. Dans ce cas, les tensions monteraient d’un cran : de nouvelles sanctions seraient votées contre l’Iran et l’Iran accélèrerait sont programme d’enrichissement de l’uranium… Les autres scénarios possibles sont de décider d’une période supplémentaire de négociations. Là encore, les détails seront importants. S’il s’agit de rallonger la période de négociations sans qu’aucun accord ne soit intervenu, cela sera plutôt un échec.

Par contre, si un accord cadre est annoncé et que, par ailleurs, il soit nécessaire de rallonger la période de négociations pour mettre au point des détails techniques, il y aura une perspective d’accord.

Enfin, il y a toujours le scénario d’un accord finalisé d’ici ce soir mais cela impliquerait de grandes avancées aujourd’hui même.

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