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L'islam politique est-il en train 
de se convertir à la démocratie ?
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Dix ans après le 11 septembre, le "printemps arabe" semble avoir favorisé le développement de la démocratie dans le monde arabe. Pour autant, la récente mention de la charia comme base de la future constitution libyenne a troublé une partie des Occidentaux. Peut-on aujourd'hui parler de musulmans-démocrates comme on parle de chrétiens-démocrates ?

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : De la Tunisie à l'Égypte, en passant plus récemment par la Libye, le "printemps arabe" semble avoir favorisé le développement de la démocratie dans les pays de cette région du monde. Peut-on aujourd'hui prétendre qu'une "démocratie musulmane" est en train de se développer ?

Olivier Roy : Il n’existe pas de "démocratie musulmane", il y a des démocraties dans des sociétés musulmanes. C'est-à-dire qu'il n’y a pas de spécificité musulmane de la démocratie. En Turquie, par exemple, la société est musulmane et il y a une démocratie. Le parti au pouvoir aujourd’hui se réclame de valeurs religieuses, comme le ferait un parti chrétien démocrate en Europe occidentale. Il était d’ailleurs précédé par des partis de centre droit et de centre gauche qui eux ne se réclamaient pas de la religion.

La question importante est celle de l’acceptation de la démocratie par les partis religieux. Nous assistons aujourd'hui à une sorte de démocratisation de partis islamistes, qui se réclamaient jusqu’à récemment d’un État islamique et qui maintenant commence à penser le concept d’État islamique dans un contexte démocratique.

La pratique politique explique ce revirement. Les mouvements islamistes sont des mouvements qui datent des années 1960-70. Il y a toute une génération d’hommes politiques qui arrive à la conclusion que cela ne fonctionne pas. Cette situation peut se comparer à la pratique de certains partis communistes d’Europe occidentale : certains se sont disloqués, comme le Parti communiste italien, d’autres sont rentrés dans la démocratisation en marche arrière, comme le Parti communiste français. Il existe donc différentes tendances.

Nous nous trouvons actuellement dans un processus de restructuration des partis islamistes. Mais à l’intérieur même du monde arabe, des cas extrêmement différents cohabitent. Les Tunisiens ont fait une croix sur le concept d’État islamique : l'ancien Premier ministre tunisien Mohamed Ghannouchi a ainsi clairement affirmé que la charia n’était pas au programme du parti. Les frères musulmans égyptiens, dont le leadership tient toujours, ont gardé l’espoir d’installer un parti islamique à la tête du pays. Les Jordaniens eux sont rentrés dans une demande de démocratie parlementaire, comme les Marocains.

Qu'en est-il de la Libye ? Le Président du Conseil national de transition, Moustapha Abdeljalil, a déclaré que la principale source de la future constitution libyenne serait la charia. Celle-ci peut-elle faire bon ménage avec la démocratie ?

Mais qu'appelle-t-on la charia ? En Égypte, théoriquement, la charia est inscrite dans la constitution mais cela se traduit au final par rien de concret. Au Pakistan, la charia n’est pas négociable. La charia ne définit pas un système politique mais un système de normes juridiques. La question importante est celle du rôle du parlement. Qu’est-ce que la constitution définirait comme n’étant pas négociable par le parlement ? Qui décide de ce qu’est la charia ?

La charia n’est pas un code écrit noir sur blanc, c’est un processus d’interprétation. Si le Parlement décide, on peut considérer cela comme démocratique. Si c’est une espèce d’organe extérieur qui s’arroge le pouvoir de décider ce qui relève de la charia, comme en Iran, c’est bien-sûr très loin de nos principes démocratiques.

Comment expliquer que le monde arabe ait plus de mal a se démocratiser que les pays asiatiques musulmans ?

Les pays arabes ont une tradition d’État autoritaire, de régime à homme fort. Ils ont toujours voulu un leader fort, un uide. Dans les années 1960-70 s’est mise en place une culture politique autoritaire (Nasser, Boumediene, le Roi Hassan II, Saddam Hussein etc..). Tous ces pays étaient des régimes autoritaires avec un leader charismatique. On assiste aujourd’hui à la remise en cause de cette culture politique autoritaire. Je pense qu’elle s’est essoufflée grâce au passage des héritiers. Mohamed VI n’est pas Hassan II, Moubarak n’est pas Nasser, Bachar el-Assad n’est pas Hafez el-Assad.

Le renouvellement biologique des grands dictateurs des années 1960-70 a entrainé un affaiblissement de ces régimes, une plus grande corruption. Ces régimes qui étaient des régimes étatiques, à économie dirigée, ont réalisé presque tous une transition vers la privatisation dans les années 980, au profit des élites. Les classes populaires se sont appauvries et l’on a assisté à l’avènement d’une nouvelle génération de jeunes qui ne sont plus du tout dans ces idéologies "totalisantes" et ne sont plus dans un modèle patriarcale.

Le 11 Septembre 2001 peut-il avoir été l'élément déclencheur de cette tendance ?

Le 11 septembre a été un évènement occidental. Son impact sur le monde arabe est indirect. Al Qaïda n’a jamais été au centre de la vie politique du monde arabe. Les mouvements démocratiques et réformistes n’ont pas attendu le 11 septembre pour apparaitre. Des débats internes aux islamistes ont pris place dans les années 1990. Ghanouchi dans ces années-là prônait déjà la démocratie et l’utilisation de la société civile.

La réflexion a été, selon moi, déclenchée par ce qui s’est passé en Iran. La transformation de la dictature islamique en « simple dictature » et l’apparition d’un milieu réformiste au sein même des gens qui avaient fait la révolution ont clairement eu un impact dans tous les milieux islamistes du monde arabe.

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