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Les années 30 sont de retour en France : la finance ennemie
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Bonnes feuilles

Les haines et les peurs de notre temps ont un parfum de redite, celui des années 30, cette décennie tragique qui mena le monde à l'abîme. Économique, sociale, identitaire ou politique, les crises s'additionnent depuis le krach de 2008, comme au temps de la Grande Dépression de 1929. Mais qu'en est-il au fond ? Extrait de "Les années 30 sont de retour", de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély et Yvan Gastaut, publié chez Flammarion (1/2).

Claude  Askolovitch

Claude Askolovitch

Claude Askolovitch est journaliste à iTélé.

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Pascal Blanchard

Pascal Blanchard

Pascal Blanchard est historien, chercheur au Laboratoire communication et politique (CNRS), spécialiste de la colonisation et de l'immigration.

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Renaud Dély

Renaud Dély

Renaud Dély est journaliste au Nouvel Observateur.

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Yvan  Gastaut

Yvan Gastaut

Yvan Gastaut enseigne à l'unviversité de Nice.

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Il faut revenir à la grande césure des années 80, celles du métissage organisé des gauches et du capitalisme. Dans un premier temps, 1981 semblait une redite de 1936, la force des institutions de la Ve République en plus. Beaucoup de choses se paient, quand François Mitterrand s’installe en son palais. La gauche va retirer du pouvoir aux patrons – les lois Auroux – pour en donner aux syndicats. Elle porte la main sur l’équilibre des choses, en appliquant son programme de nationalisations.

La Banque de Paris et des Pays-Bas (devenue Paribas), celle qui, par Horace Finaly, avait soutenu Léon Blum, est à nouveau au coeur d’un scandale. Son patron, Pierre Moussa, pourtant un ancien inspecteur des Finances, refuse l’emprise de l’État. Il entreprend de vider la nationalisation de sa substance, et de transférer ses actifs étrangers. Pris la main dans le sac, il subit un procès en défaut de patriotisme et devient l’incarnation des patrons qui trahissent la Nation. La guerre a repris ?

Le patronat de l’après-guerre, sitôt apurée la honte du vichysme et le traumatisme de la Libération (épuration, nationalisations, calvaires humains des familles Berliet et Renault), s’était employé au « plus jamais ça » – « ça » étant le Front populaire. Dans les années 70, le CNPF a mis toutes ses forces – financières notamment – pour contrer le Programme commun de la gauche, signé en 1972, que le président du CNPF François Ceyrac qualifie alors « d’étatisme généralisé » et voit comme l’annonce d’un « bouleversement irréversible de toutes les structures de la société 1 ». En 1977, François Mitterrand dénonce le « milliard de nouveaux francs » engagé par le patronat contre la gauche. Quatre ans plus tard, en 1981, il l’emporte face à Valéry Giscard d’Estaing.

La baisse du temps de travail sans baisse de salaire charge les comptes des entreprises et indigne tout autant la base que les nationalisations à 100 % des banques et des grands groupes. C’est pourtant l’accommodement qui l’emporte. Au congrès de Valence, à l’automne 1981, le numéro 2 du PS, Jean Poperen, croit revivre les sabotages du Front populaire et dénonce « la campagne d’affolement » du patronat. En réalité, le patronat n’affole plus grand monde et – vite – choisit de séduire. En décembre, Yvon Gattaz est élu à la tête du CNPF. Ce patron éthique, fondateur d’une entreprise de taille moyenne, passionné de créations d’entreprise, a une mission historique : éviter précisément la radicalisation du patronat, qui travaille aussi bien la base des PME que certains dirigeants de la grande entreprise, et prendre langue avec le nouveau pouvoir. Il développe des liens avec François Mitterrand, auquel le lient l’imprégnation chrétienne et l’apaisement provincial.

François Mitterrand, homme de tant de vies, sait entendre le camp d’en face. Un autre homme s’en va voir le Président socialiste : le vrai maître du patronat de l’époque, Ambroise Roux, patron de la Compagnie générale d’électricité. Le 16 avril 1982, le Premier ministre Pierre Mauroy s’est engagé, dans une réunion de travail avec le CNPF : il ne baisse plus la durée du temps de travail et allège les charges patronales. En septembre, François Mitterrand, à son tour, évoque les charges dont il faut libérer les entreprises. Le 14 décembre, Yvon Gattaz réunit vingt-cinq mille patrons au Parc des expositions de Villepinte, pour des « états généraux des entreprises » qui sont aussi bien une démonstration de force qu’une main tendue au pouvoir. Le Nouvel Observateur, quelques jours plus tard, parle d’« armistice ». Yvon Gattaz propose un pacte, des mesures pour les entreprises en échange des embauches. « Un contrat Nation-entreprise, pourquoi pas ? » répond Jacques Delors, ministre de l’Économie et des Finances.

Quelle belle concorde aux années 80 naissantes, qui efface le souvenir de la guerre engagée dans les années 30 quand les deux cents familles égorgeaient les « Rouges », et réciproquement.

Trois décennies plus tard, le nouveau patron des patrons Pierre Gattaz, fils d’Yvon, à la tête du Medef, arborant un pin’s au revers de sa veste qui promet un million d’emplois en échange d’une baisse des charges propose au pouvoir socialiste un « pacte de confiance ». Il se voit repris au mot par François Hollande, qui instaure alors un « pacte de responsabilité », actant les termes de l’échange : baisse des charges en échange de « contreparties » en termes d’emploi et de relations sociales. Cette fois, il n’y a même pas eu de guerre avant l’armistice – quelques escarmouches, pour la forme, jouées avec application par chacun des intervenants.

Dans sa campagne présidentielle, François Hollande avait proclamé que la finance était son ennemie, et inventé une tranche d’imposition à 75 % pour les très hauts revenus, choquant en cela les plus sociaux-libéraux de ses partisans. Le Nouvel Observateur rapporte cette confidence du chef de l’État : « C’est incroyable. Je pensais que tous ces dirigeants venaient pour discuter compétitivité, croissance, stratégie industrielle. Mais non ! Tous ne m’ont parlé que d’une seule chose : les 75 %. » Mots contre mots. L’opinion enregistre ? Se dit-elle que la gauche est de retour et que les riches ne pensent qu’à eux-mêmes ?

En réalité, ceci n’est qu’une distraction. Les choses sérieuses arrivent aussitôt. Dès l’été 2012, François Hollande reçoit à déjeuner cette AFEP fondée jadis par Ambroise Roux, désormais présidée par Pierre Pringuet, PDG de Pernod-Ricard, un ancien conseiller de Michel Rocard ; on parle de l’entente obligée entre le gouvernement et les entreprises ; dans la foulée, il envoie son Premier ministre Jean-Marc Ayrault discourir à l’université d’été du Medef ; il lance le rapport Gallois, et instaure le crédit impôt-compétitivité ; il reprend à son compte l’argument patronal sur la baisse vitale des charges ; il choisit la politique de l’offre et, de ce mot, veut forger une identité, qu’il baptise sociale-démocrate – le mot est faux mais les observateurs s’en emparent, et commentent un tournant qui n’existe pas. François Hollande est dans une continuité.

Extrait de "Les années 30 sont de retour", de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély et Yvan Gastaut, publié chez Flammarion, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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