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L’Europe gagnerait à sortir d’une logique de sanctions anti Poutine.
L’Europe gagnerait à sortir d’une logique de sanctions anti Poutine.
©Reuters

Crime et Châtiment

Le choix de l’Europe et des pays occidentaux de se concentrer sur des sanctions économiques envers la Russie n’est pas stratégique.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Les Etats membres de l’Union européenne sont unanimes sur le fait que les sanctions contre la Russie doivent s’intensifier et avoir un impact significatif sur le Président Poutine, d’autant plus à l’approche du lancement du projet d’Union eurasiatique (UEA). En réalité, le choix de l’Europe et des pays occidentaux de se concentrer sur l’économie n’est pas stratégique. Il est la seule option dont dispose une Europe dont la défense repose depuis plus d’un demi-siècle sur l’OTAN et qui n’impressionne plus le Kremlin depuis 2008, moment de la Guerre en Géorgie. Qui plus est, les difficultés à influencer Moscou témoignent du basculement des intérêts de la diplomatie américaine vers le Pacifique, les Etats-Unis n’ayant plus aucune envie de s’engager sur le continent avec les Européens en raison de l’importance prépondérante que prend la Chine.

Pour résumer la situation, nous avons une Europe qui arrive à rassembler, mais pas à s’imposer, les Etats-Unis qui soutiennent de manière rhétorique les Européens et la Chine, neutre et impassible, qui est la grande gagnante dans la mesure où la Russie se tourne de plus en plus vers l’Asie pour éviter les effets négatifs des sanctions occidentales.

C’est dans ce contexte qu’il est sérieusement temps de s’interroger sur ce que peuvent véritablement mettre en œuvre l’Europe et l’OTAN pour sortir de l’impasse, au risque de se couper d’un partenaire économique car la Russie est le premier fournisseur de gaz du continent, mais aussi un client dans sa proche périphérie.

L’idée de base est objectivement de trouver un moyen d’influencer Moscou tout en évitant d’avoir à utiliser uniquement l’argument économique auprès d’une Russie qui semble se soucier de l’idéologie et de son retour sur la scène internationale, plus que de son portefeuille. Comme chacun sait, l’Europe n’a pas d’armée et de projet pour en créer une depuis le retrait du projet de Communauté Européenne de la Défense du Président français De Gaulle en 1954. Il n’est donc pas envisageable d’impressionner la Russie avec l’argument militaire, du moins pas tant que l’Europe n’aura pas l’idée de se pencher sur une stratégie militaire commune et une mutualisation des efforts militaires. Ensuite, on sait que l’Europe dispose d’un Soft power (politique d’influence) conséquente, c’est la raison pour laquelle l’ASEAN s’inspire actuellement de son modèle ou bien encore, paradoxalement, Vladimir Poutine pour la création de l’Union eurasiatique, qui n’est ni plus ni moins qu’une version légèrement modifié de l’Union européenne. Il est communément admis de dire que le soft power de l’Europe est conséquent, mais les spécialistes américains comme Joseph S. Nye ou Ian Manners ont tendance à oublier qu’une puissance autocratique peut également disposer d’un soft power et ne pas être réceptif à celui qui émane d’une puissance occidentale. On peut ainsi dire que faire reposer la stratégie européenne sur l’attraction qu’exerce son modèle n’est pas pertinent ou du moins n’est plus suffisant depuis les évènements en Ukraine et dans le Caucase. Il faut donc trouver un moyen d’influencer la Russie, mais en repensant totalement la stratégie de l’Union européenne qui jusqu’à présent ne semble pas impressionner et s’avère même contreproductive dans le mesure où, pour les Russes, elle est un aveu de faiblesse militaire.

Entendons-nous, il n’est pas ici question de dire que l’Union européenne n’a aucun moyen d’influence ou de la critiquer à une période où nous en avons plus que jamais besoin, mais d’accepter de reconnaître ses limites pour agir et repenser le modèle européen, surtout depuis la crise en Ukraine.

Ce constat est d’autant plus évident si l’on analyse les réactions russes face aux sanctions européennes. Sanctionner en bloquant les fonds russes à l’étranger n’a pour seule conséquence que d’inciter les russes à les garder chez eux, ce qui n’est pas bénéfique. Qui plus est, ne pas livrer de matériel militaire (c’est le cas des Mistral) n’a pour seule conséquence que de rapprocher les Russes des Chinois qui investissent et développent ensemble des nouveaux équipements, ce qui limite les perspectives d’exportation du savoir-faire européen en Asie et constitue un avantage stratégique pour la Russie et son complexe militaro-industriel. Il semble important de rappeler que limiter les échanges entre les Etats, d’un point de vue historique, n’a jamais été bénéfique. A titre d’exemple, les embargos en Iran n’ont pour effet que de nuire à la population et de déstabiliser la région, même si ces derniers ont un sens au moment où on les décide. D’une manière générale, c’est en augmentant le nombre et la qualité des relations que l’on stimule le dialogue. Ainsi, non seulement les embargos russes et contre la Russie coupent Moscou du reste du monde occidental et l’incitent à ne pas réfléchir sur son rôle en tant que puissance "normale", mais en plus ont des répercussions négatives pour les Européens et les empêchent de se concentrer sur les priorités à l’international. Ne serait-il pas plus judicieux de discuter de la situation critique au Moyen-Orient, avec l’Etat Islamique ou de la montée du terrorisme en Afrique Subsaharienne, plutôt que des effets négatifs de l’embargo sur les pommes polonaises et les légumes finlandais ? On peut avancer l’idée que la Russie n’est pas gagnante, mais l’Europe ne l’est tristement pas non plus et les Ukrainiens sont les grands perdants et les premiers à souffrir de cette politique, tout comme les Moldaves, les Géorgiens, les Arméniens et tous les pays qui attendent une aide extérieure pour relancer leurs économies.

Les options pour relancer la diplomatie Europe - Russie

Alors que pourrait bien faire l’Union européenne pour relancer le dialogue avec la Russie et la pousser à aller dans son sens, tout en évitant d’utiliser les embargos ?

Premièrement, il faut arriver à comprendre la mentalité russe qui est radicalement différente de celle que l’on retrouve dans de nombreux pays occidentaux. A l’image du Président Vladimir Poutine, de nombreux citoyens russes se représentent leur pays comme une civilisation entre Europe et Asie. Ce sentiment les pousse à se considérer comme différents des Européens et des Asiatiques et les amène à s’isoler du reste du monde. La Russie impériale, tout comme l’URSS, s’étaient coupées du monde et la Russie contemporaine a une tendance naturelle à vivre dans ce schéma d’isolement, qui n’est pas mal perçu par la population. A cette représentation, s’ajoute le fait que l’esprit impérial est encore palpable. L’Europe n’est donc pas en face d’un Etat qui vise à la coopération et la conciliation, mais se représente comme devant exporter ses idéaux, tout comme les Européens au XIXème siècle.

Dans cette optique, et d’une manière assez paradoxale, l’Europe doit s’afficher comme grande puissance mondiale pour engager un dialogue constructif avec la Russie. Fort de l’esprit impérial, les russes éprouvent un respect pour les puissances qu’ils jugent égales ou supérieures à eux-mêmes, mais pas pour celles qu’ils jugent moindres. C’est la raison qui fait que le Président Poutine apprécie la Chine, respecte les Etats-Unis, non sans une certaine méfiance vis-à-vis de ces derniers, mais pas l’Europe, qu’il considère comme désunie et incohérente car sans attribut impériaux. C’est donc en s’affichant comme puissance unie et mondiale, en renforçant l’Union européenne, que les Russes commenceront à l’apprécier et à entamer un dialogue constructif avec elle. On est donc bien loin du schéma d’utilisation du soft power européen qui, dans le cas ci-présent, est inefficient.

Parallèlement, il serait incohérent pour l’Europe d’augmenter les sanctions ou d’atténuer les effets des précédentes. Il faudrait relancer les coopérations sur des projets communs et ensuite envisager de retirer progressivement les sanctions pour que Moscou fasse de même. Les Européens et Russes partagent la même opinion sur l’Etat Islamique, il y a ici une coopération évidente à mettre en œuvre. Il serait possible de lancer des actions communes dans le secteur de la recherche, notamment spatiale, non sans oublier que les Russes apprécient les universités occidentales et l’Europe comme lieu de voyage. Le rapprochement progressif devrait se faire sur ces bases et la question de l’obtention des visas, qui jusque-là a été un instrument de pression, pourrait rapprocher les deux cultures.

En augmentant la coopération dans des domaines clés et en renforçant l’Europe pour qu’elle apparaisse comme une grande puissance, la Russie pourrait aller dans son sens et tenter d’être plus conciliante, malgré les différences. Il ne faut pas oublier que Moscou se représente déjà l’Europe comme étant une civilisation à part, elle pourrait donc accepter les divergences sous condition qu’elle ait l’impression d’être en face d’un partenaire de taille égale. Pour résumer d’une manière assez simple, l’Europe doit cesser de tenter d’user de son soft power et commencer à travailler sur son smart power, c’est-à-dire la combinaison entre attraction et puissance coercitive, si elle veut relancer le dialogue et devenir un acteur dans le monde de demain, pas seulement avec la Russie, mais aussi avec les Etats-Unis et la Chine.

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