Rosetta, Philae, la comète et… les succès de l’Europe : ces domaines où l’Union a vraiment fait la force <!-- --> | Atlantico.fr
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La sonde Rosetta est enfin parvenue à destination, et a pu larguer sans encombre le module Philae sur la comète "Tchouri".
La sonde Rosetta est enfin parvenue à destination, et a pu larguer sans encombre le module Philae sur la comète "Tchouri".
©REUTERS/ESA/NASA/Handout

Success story

Après 500 millions de kilomètres parcourus, la sonde Rosetta est enfin parvenue à destination, et a pu larguer sans encombre le module Philae sur la comète "Tchouri". Une preuve parmi beaucoup d'autres de l'efficacité de la coopération européenne dans les domaines de la science et de l'industrie.

Jean-Dominique Giuliani

Jean-Dominique Giuliani

Jean-Dominique Giuliani est Président de la Fondation Robert Schuman.

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Aurélien Barrau

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau est professeur à l’Université Joseph Fourier, membre de l’Institut Universitaire de France et chercheur au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie du CNRS.

Il a publié en mars 2013 Big Bang et au-delà - Balade en cosmologie (Ed. Dunod) qui explique, dans un langage clair et accessible, les dernières découvertes en cosmologie, et des Univers multiples paru chez Dunod en 2014.

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Florent Detroy

Florent Detroy

"Florent Detroy est journaliste économique, spécialisé notamment sur les questions énergétiques, environnementales et industrielles. Voir son site."
 
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Pierre  Sparaco

Pierre Sparaco

Pierre Sparaco est journaliste aéronautique depuis le début des années soixante. Il est également président de la section Arts, Histoire et Lettres de l’Académie nationale de l’Air et de l’Espace.

Après de nombreuses années consacrées au bimensuel français Aviation Magazine, il a rejoint en 1992 l'hebdomadaire américain Aviation Week & Space Technology.

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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : La mission Rosetta a récemment démontré que la collaboration européenne pouvait permettre de mener avec succès de grandes opérations. Quels sont les éléments qui expliquent le succès de l'Europe en la matière ?

Jean-Dominique Giuliani : Il y a un terreau d'excellence en matière de recherche, très réparti sur les territoires européens. Lorsque l'on recherche des traductions concrètes, on peut les trouver dans des exploits individuels, comme pour le Rafale de Dassault, mais aussi dans des actionns communes. L'exemple d'Airbus, de la mission Rosetta nous viennent spontanément à l'esprit, mais il y a d'autres domaines, comme ceux de la recherche, le domaine médical avec un programme ambitieux sur le cerveau, le vieillissement. Mais on peut aussi présager de futures découvertes, notamment dans les différents groupes de recherche de molécules pharmaceutiques contre Alzheimer, ou encore les cancers. L'environnement aussi jouit de programmes soutenus par  des fonds européens, comme l'avion du futur qui tente de mutualiser les différentes recherches en aéronautique pour réduire de 75% les émissions de CO2. L'énergie solaire peut compter sur le poids et la solidité de grands groupes européens, et qui nous permettent d'innover en ce sens pour demeurer à la pointe de la technologie. Les matériaux composites européens sont utilisés dans les conceptions de très nombreuses structures aéronautiques, dans le monde entier et particulièrement par Boeing. Une foultitude de savoirs technologiques s'épanouit donc sur ce terreau.

En revanche, ce qui pêche souvent en Europe, c'est la déclinaison industrielle des découvertes, leur caractère "appliqué", du fait des modes de financement très divers que l'on rencontre en Europe et parfois de l'absence de mutualisation des efforts.

Les programmes européens s'efforcent de financer les recherches en coopération dans les domaines de pointe et de favoriser la mise en commun d'efforts.

Ce qui manque aussi ici c'est la puissance de frappe de fonds publics mobilisés aux Etats-Unis ou en Chine pour les recherches dans le domaine de la défense. En Europe elles sont financées principalement par l'industrie privée, aux USA par l'Etat fédéral (DARPA DOD) dans la durée et en amont. Or ces recherches aboutissent souvent à des déclinaisons dans l'économie tout entière (commandes de vol numériques, numérisation : Dassault-Systèmes n°1 mondial de la CAO).

L'addition de traditions culturelles, académiques et éducatives, directement inspirées philosophiquement de l'esprit des Lumières avec les réalisations industrielles (révolution industrielles) qui place l'Europe ou les Européens parmi le continent ayant inventé le plus de choses depuis les débuts de l'humanité : la machine à vapeur, l'électricité, la voiture, l'avion, l'hélicoptère, etc. Cela forme un terreau particulièrement favorable et ouvert à l'innovation.

Bien sûr les Etats-Unis ont pris le leadership dans l'industrialisation de certaines techniques, parfois inventées en Europe (Internet, portable), d'autres aussi (Chine) développent de vigoureux efforts de recherche fondamentale, mais l'Europe reste en tête pour l'accumulation des inventions majeures.

Avec un peu de mobilisation, elle peut le demeurer, voire rattraper son retard dans l'industrialisation des techniques (numérique par exemple).

Guillaume Klossa :Au lendemain de la guerre, les Européens étaient ravagés, l'Europe scindée entre ouest et est et une grande partie de l'élite intellectuelle, industrielle, scientifique ou artistique exilée en Amérique. C'est à ce moment que certains dans la sphère politique, intellectuelle ou scientifique se sont interrogés sur les moyens d'enrayer le déclin et la sortie de l'histoire du vieux continent. Ils se sont dits, au niveau national nous n'avons pas les leviers pour restaurer notre influence et notre économie, ce n'est qu'au niveau européen et de manière solidaires que nous y arriverons. L'idée est qu'il fallait entreprendre ensemble et de manière solidaire, c'était une vraie révolution mentale. Et elle a réussi. C'est à cette époque que les Européens ont été les plus créatifs dans tous les champs :

Dans le domaine scientifique,  le CERN, puis plus tard l'agence spatiale européenne ont été créées; Ce sont des succès considérables jusqu'à aujourd'hui. C'est là qu'Internet a été inventé, c'est le lieu  de la découverte du boson... les succès de l'agence spatiale européenne ne sont plus à démontrés.

Dans le domaine audiovisuel, les Européens ont créé un véritable espace public audiovisuel dont la pierre angulaire est une entreprise commune, l'Union européenne de radiotélévision dont je suis un des directeurs, créée en 1950, qui fournit aux chaînes de télévision de toute l'Europe et au-delà les fameux EVN, des sujets courts sur l'information internationale, que tous les journalistes d'information connaissent et qui enrichissent les journaux télévisés. L'UER, c'est aussi le fameux concours Eurovision de la chanson, 183 millions de téléspectateurs en 2014, qui fêtera sa soixantième édition en mai prochain à Vienne, c'est aussi le premier débat transnational et multilingue des candidats à la présidence de la Commission européenne, qui contribue à changer la donne démocratique en Europe...

Dans le domaine industriel, l'ambition des fondateurs du marché unique qui était de permettre à l'Europe de jouer dans la cour des grands dans les domaines automobiles et aéronautiques au XXIème siècle. C'est chose accomplie avec Renault-Nissan, Fiat-Chrysler, Daimler-Benz ou Airbus.

Dans le domaine politique, l'Union européenne a accomplie l'ambition d'Erasme, rassembler les Européens en mettant de côté les  divisions religieuses et recréant les conditions de l'unité politique du continent. Aujourd'hui un demi milliard d'hommes et de femmes de 28 nationalités partagent un même espace politique de manière pacifique et démocratique, c'est une première dans l'histoire de l'humanité.

Autre innovation, la CEDH a créé  l'espace de droits et de libertés le plus avancés de l'histoire. Je ne suis pas certain que nos concitoyens sont conscients de ces innovations surtout dans la période actuelle où la persistance et la gravité de la crise économique obscurcit l'horizon et favorise le repli sur soi.

Ces succès restent d'actualité et contribuent au rayonnement de l'Europe dans le monde mais il est vrai que tant que la crise européenne ne sera pas durablement enrayée, l'évidence des succès européens ne sera pas audible. Il est urgent de redonner un horizon positif à nos concitoyens et notamment les plus jeunes qui doivent avoir des perspectives professionnelles concrètes. Le plan d'investissement envisagé par Juncker est critique et doit être massif; il faudrait investir massivement dans les six technologies clefs d'avenir qui peuvent être à l'origine d'une nouvelle révolution industrielle et d'une nouvelle phase de croissance durable : nanotech, biotech, photonique, systèmes de production et matériaux avancés... Les Européens sont n°1 ou n°2 dans ces domaines en matière de recherche fondamentale, ils doivent se fixer comme cap de devenir les leaders en matière d'industrialisation de ces technologies. Nous devons continuer à investir dans la production culturelle et audiovisuelle, les contenus sont essentiels à la révolution digitale, mais il nous manque une vraie stratégie ambitieuse dans ce domaine. Il faut également travailler à une meilleure intégration des jeunes, cela passe par une démocratisation accrue d'Erasmus mais aussi par un plan de transition professionnelle centrée sur les jeunes générations.

Voilà quelques idées concrètes.

Des dizaines de programmes européens ont cours actuellement. Recherche, mathématiques, médecine, aéronautique ou encore innovation énergétique, l'Europe est en pointe dans bien des domaines, dont voici quelques exemples.

L'aéronautique

Pierre Sparaco : L'exemple omniprésent et qui vient spontanément à l'esprit est la réussite d'Airbus. En 1969, il y avait du côté français une volonté de reconquête du marché des avions civils, et la mise de fond apparaissait hors de portée des moyens français. C'est donc à ce moment que la nécessité du partenariat s'est imposée d'elle-même. Les Allemands ont donc proposé leur candidature dans une volonté un peu équivalente de revenir sur le plan aéronautique, et ont proposé les fonds qu'ils avaient, là où les Français ont apporté leur savoir-faire et leurs compétences. Un partenariat qui tombait sous le sens, donc. De la même manière qu'en 1962 Français et Anglais s'étaient entendus sur le concorde.

Personne n'a jamais pu imaginer la capacité d'Airbus à prendre le positionnement mondial qu'on lui connaît actuellement, où l'on est passé d'une collaboration bilatérale à quadrilatérale avec les Britanniques et les Espagnols dans une moindre mesure, et qui lui a permis de se hisser au-delà du niveau américain.

L'Europe, en se hissant au niveau de Boeing, s'est constitué en duopôle encore impensable il y a une trentaine d'année.

D'autres réalisations moins spectaculaires mais tout aussi européennes concernent bien évidemment l'opération franco-italienne ATR (Avions de transport régional, ndlr), qui commercialise des avions civils dont la capacité va de 48 à 74 personnes.

Une des filiales d'Airbus qui peut illustrer cette coopération européenne est MBDA, qui conçoit des missiles. Une très belle réussite à l'échelle du marché mondial.

La recherche fondamentale en physique

Aurélien Barrau : J'aurai une appréciation en deux temps concernant le succès de la coopération de la recherche européenne. Il est vrai qu'un grand nombre de collaborations scientifiques à l'échelle européenne fonctionnent très bien, comme le CERN qui est sans doute le meilleur exemple puisqu'il existait avant même l'émergence de l'union européenne. Il constitue une sorte d’Europe avant l'heure. Nous pourrions aller jusqu'à dire que les scientifiques ont spontanément eu une longueur d'avance sur la politique. L'agence spatiale européenne est également un bel exemple, on le voit ces derniers jours avec Rosetta, mais aussi avec le satellite Planck dédié à l’étude de l’univers primordial. L'actualité est donc très riche au niveau de la recherche fondamentale européenne.

Mais l’autre raison, peut-être plus fondamentale, qui fait que cela fonctionne, c'est que l'actualité scientifique dépasse par essence les nationalités. Les collaborations se font au gré des intérêts scientifiques et des convergences intellectuelles sans aucune dimension patriotique ou nationaliste,. Les succès d'aujourd'hui vont plus loin qu'une simple réponse à une volonté politique. Les collaborations scientifiques en général, c’est-à-dire incluant d'autres nationalités qu'européennes donnent des résultats. Comme quoi il possible de voir des gens travailler beaucoup et réussir même en l’absence de bénéfices financiers à la clé ! Ce qui motive les scientifiques, ce n’est pas la fierté nationale mais la motivation de la découverte, pour l’humanité.

Il est vrai qu'il existe des spécificités européennes. Si l'on voulait en citer une, il faudrait dire qu'il y a plus de continuité que le système américain par exemple. Les programmes de recherche américains sont très dépendants des votes du Congrès, et ils peuvent donc être remis en cause de manière presque perpétuelle parce qu'ils sont très dépendants du pouvoir politique. L'Europe a sans doute une meilleure capacité de vision à long terme : les engagements des précédents gouvernements sont tenus, ce qui apporte une certaine crédibilité. Par exemple, le SSC américain, concurrent direct du LHC (Grand collisionneur de hadrons ndlr) a été suspendu alors que plusieurs milliards de dollars avaient déjà été engagés. Nous sommes relativement prémunis contre cela.

L'efficience énergétique, la dynamique suscitée pour les énergies vertes.

Florent Detroy : Depuis sa création, l'Union européenne s’est construit selon une méthode simple. Elle pose un cadre réglementaire et des objectifs, que les Etats sont chargés d’atteindre mais selon leur propre méthode. Il ne s’agit pas d’une politique industrielle commune donc. Mais cette méthode peut générer de la concurrence entre les pays européens, ce qui peut créer une dynamique. Ça a été le cas dans l'automobile par exemple, où les normes EURO en matière d'émission de particule des pots d'échappement ont incité les constructeurs présents sur le marché européens à innover pour se conformer à ces exigences. Les constructeurs européens sont ainsi en tête en ce qui concerne la faiblesse des émissions de particules grâce à la pression règlementaire de l’UE.

On pourrait également observer à l’avenir une dynamique, cette fois réellement commune, à propos des réseaux électriques, dont le renforcement et l’extension sont indispensables pour accueillir la production des énergies renouvelables. Investir dans les réseaux de l’UE, c’est contribuer à créer un vrai marché commun de l'énergie. Cette mise en commun devrait d’ailleurs donner le jour à terme à un régulateur européen des réseaux doté d’une réelle autorité sur les Etats membres, à l’image de la CRE en France.

Du point de vue industriel, si les réussites sont à considérer au cas par cas dans le domaine des énergies renouvelables, on peut considérer que l'Union européenne est encore dans le peloton de tête sur l'éolien off-shore. En France, les usines d'Alstom, EDF, GDF s'installent dans le Calvados et en Seine Maritime pour répondre aux appels d'offre de l’Etat français, et font la course en tête avec les concurrents allemands, américains et asiatiques.

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