Burn out : ce qui se passe vraiment derrière un phénomène de plus en plus fréquent<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, 3 millions de salariés seraient menacés par le burn out, autrement appelé "syndrome d'épuisement professionnel".
En France, 3 millions de salariés seraient menacés par le burn out, autrement appelé "syndrome d'épuisement professionnel".
©Pixabay

Limite "nervous breakdown"

En France, 3 millions de salariés seraient menacés par le burn out, autrement appelé "syndrome d'épuisement professionnel". Les responsables ? Le culte de la performance, l'accélération du temps sous l'effet des technologies, et le trop plein d'affect que l'on met dans son activité professionnelle.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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François Baumann

François Baumann

François Baumann est médecin généraliste, fondateur de la Société de Formation Thérapeutique du médecin Généraliste (SFTG). Intéressé par toutes les dimensions des Sciences Humaines et Sociales qui participent à une meilleure santé des hommes, il a publié de nombreux ouvrages sur ces thèmes. Il est également enseignant à l'Université Paris V et membre du comité Scientifique International de l'UNESCO (département de Bioéthique).

Il est auteur de Burn Out : quand le travail rend malade, L'après burn-out et Le Bore-out, quand l'ennui au travail rend malade aux éditions Josette Lyon. 

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Atlantico : Près de 3 millions de salariés, soit 12.6 % de la population active, sont menacés par le burn out selon une étude menée par le cabinet Technologia, spécialisé dans la souffrance au travail. Le burn out se caractérise d'après les spécialistes par un sentiment de vide intérieur proche de la dépression : Comment cela se traduit-il concrètement ?

François Baumann : Le burnout se traduit par 3 symptômes, qui apparaissaient successivement :

  • Un épuisement émotionnel, tout d’abord. Les gens éprouvent des difficultés psychiques à entrer en relation avec les autres.
  • Puis vient une "déshumanisation" de la relation. Un certain cynisme vis-à-vis des autres s’impose, ces derniers ayant plutôt tendance à être considérés comme des objets. D’où une certaine sècheresse, que je compare à celle des "lonesome cowboy", sans sentiments apparents.
  • Ces deux  symptômes successifs aboutissent à un troisième, qui est celui de l’échec personnel, autrement appelé diminution de l’accomplissement personnel. Les personnes se désinvestissent de tout, elles n’ont subitement plus du tout envie de travailler.

Xavier Camby : Le burn-out est un épuisement professionnel. C'est un épuisement psychique mais non-physique. Celui qui en souffre conserve toute son énergie physiologique, mais n'a plus de ressort psychologique. Il peut faire un marathon ou une randonnée en montagne, mais n'a plus la force d'animer une réunion d'équipe. 

Le burn-out est devenu un nom générique pour désigner indifféremment tous les troubles de comportements liés au travail : par exemple le bore-out, qui est un écoeurement professionnel (vous n'êtes pas fatigué mais violemment dégouté) ou encore le syndrome d'imposteur (plus complexe et plus diffus, mais ravageur). 

L'ignorance est telle qu'il règne la plus grande confusion quant à l'identification précise de ces maladies professionnelles. Puis-je d'ailleurs ici saluer les initiatives courageuses et bénéfiques de Technologia pour les faire reconnaître comme telles ? Car il s'agit effectivement de maladies liées au travail : aucun burn-out, à ma connaissance, n'a été identifié en faisant son jardin ou en bricolant dans son garage !

Quelles sont les différences avec la dépression classique ?

François Baumann : Même si je traite aussi bien la dépression que le burnout, les deux sont sans rapport. La dépression et la mélancolie sont des maladies psychiatriques qui apparaissent sans raison apparente. En ce qui concerne le burnout, c’est le travail qui génère cet état. C’est une dépression avec une cause. Des gens peuvent être heureux ailleurs, mais rejettent leur travail. C’est plutôt l’aboutissement d’un stress chronique.

Xavier Camby : La dépression est une pathologie grave et générale, emportant vie privée et publique. Rien à voir donc, même si la médecine américaine ou européenne semble ne pas vouloir faire cette distinction ! Dans l'immense majorité des cas, on arrête un patient en burn-out en lui prescrivant des anxiolytiques ou anti-dépresseurs et une psychanalyse. C'est vain : au lieu d'adresser les causes, on tente de soigner les symptômes avec les premiers - quitte à priver le patient de son potentiel émotionnel. Et puis on rejette le problème dans la sphère privée, alors qu'il s'agit d'un problème professionnel. Puis-je le dire ? Il y a en Europe et aux USA presque 2 fois plus de burn-out dans les hôpitaux que dans les entreprises ! Ce qui tend à prouver que la médecine normative et positiviste, malgré des effets de manche, semble dépourvue de compétence pour prévenir, soigner et guérir le phénomène du burn-out !

Comment en arrive-t-on à être frappé par ce phénomène, qui peut aussi concerner des personnes disposant d'une situation professionnelle confortable ?

François Baumann : Ce phénomène concerne essentiellement les personnes qui bénéficiant d’une position confortable. Il faut savoir qu’en termes de profils, sur cinq personnes, deux sont susceptibles de faire un burnout. Généralement ce sont des personnes travailleuses, qui recherchent la reconnaissance de l’autre, et se trompent de cible, car en cherchant cette reconnaissance elles s’épuisent elles-mêmes. Les Canadiens parlent de la "recherche de l’amour" des autres chez la victime du burnout. Cette dernière a tout mis dans son travail, ses ambitions, ses émotions, son affect. D’ailleurs c’est ce type de personne qui parle en permanence de ses problèmes de travail, qui les rumine à longueur de journée…

Xavier Camby : Le burn-out n'est pas un phénomène économique. Il est en dehors des clivages étroits du passé (riches/pauvres, nord/sud...). En revanche, il est directement lié à cette économie inhumaine qu'on nous invente outre-atlantique depuis 40 ans. J'ai vécu récemment 2 ans en Amérique du nord et je peux témoigner que ce n'est pas pour rien qu'ils en ont inventé le nom et que ces troubles se désignent en anglais ! Car c'est bien cette sinistre instrumentalisation de l'homme par la finance, avec toute ses dérives normatrices, procédurières et contraignantes, qui détruist, non seulement la croissance et l'innovation, mais tout autant et bien d'abord les personnes !

Quelle est l'ampleur de ce phénomène ?  

Xavier Camby : Le burn-out est hélas partout présent dans les économies dites "développées" où sévissent les "process" anglo-américains de "dé-management".

Mais il est particulièrement absent du Brésil, où la résilience est plus forte, parce qu'ils ont globalement gardé cette liberté de développer leurs propres schémas de développements économiques. 

Ce n'est pas dire qu'il s'agit d'un monde idéal, loin de là. Mais il y a matière à réflexion : le burn-out et le stress sont liés, très proches en fait même si d'essence psychique différente. Partout en Europe, le burn-out sévit. Mais pas plus en France, malgré son économie à la dérive, qu'en Allemagne ou en Suisse, malgré leurs performances économiques.

Comment expliquer que de plus en plus de personnes soient concernées par le burn-out ? En quoi peut-on dire que c'est la maladie du XXIe siècle ?

François Baumann : Le burnout frappe plus qu’avant. J’ai commencé à écrire sur le burnout aux alentours de 2010, et ce n’était que le début de l’observation du caractère grandissant de ce phénomène. On pensait que cela touchait seulement des anesthésistes, ou d'autres professionnels de la santé confrontés régulièrement à des situations humainement très difficiles, mais on s’est aperçu que le syndrome était en fait de plus en plus fréquent. La raison est à trouver dans l’accélération du temps de travail. Même si les machines nous aident, elles nous stressent aussi et nous poursuivent partout. Il y a 10 ou 15 ans, on n’était pas autant connecté. En plus de l’accélération du temps, l’individualisme est de plus en plus fort, les gens sont de plus en plus isolés, travaillent de chez eux… on y perd en convivialité. C’est un ensemble de facteurs qui se conjuguent : les gens se rencontrent assez peu, finalement, même dans les open space. De plus, la société est de plus en plus exigeante sur le travail, elle ne tolère pas l’erreur. C’est une société qui nous étrangle : en effet "stress" veut dire "étranglement", du latin strangulare.  Et plus on est compétent, plus on est étranglé.

Xavier Camby : Il est impossible de tenter ou vouloir expliquer ici le mécanisme du burn-out. Premièrement parce que je ne suis pas médecin et je sais la médecine française extraordinairement jalouse de ses prérogatives, protectionnisme en forme de pré carré dissimulé derrière une sempiternelle caution scientifique et positiviste. Cependant, tous hélas, du concierge à la caissière de supermarché, de professeur en neuro-science au chef d'équipe d'usine, de la sage-femme au dirigeant d'entreprise, peuvent se laisser envahir par les toxines contagieuses (mais non-volatiles) du burn-out. J'ai même rencontré des mères au foyer présentant les symptômes d'un profond burn-out, en dépit de l'amour de leur mari et de la merveilleuse compagnie de leurs enfants.

<--pagebreak-->Outre la crise économique, est-ce dû à la structure des organisations ? Quelles évolutions au sein du monde du travail permettent d'expliquer cette recrudescence ? 

Xavier Camby : Ces deux questions se recoupent. La crise économique est un peu comme un bouc émissaire tranquillement récurrent qui permet de dénier toute responsabilité ! En revanche je pense intiment - et peux le démontrer - que les 2 phénomènes sont liés. La financiarisation de l'économie autant que l'importation sans contrôle d'un management inhumain, déshumanisant, masqué derrière ses apparence rationnellement justes, mais émotionnellement dévastatrices, ruinent nos économies et détruisent l'énergie créatrices des personnes, quelles que soient leurs fonctions, responsabilités, richesses ou talents.

Il existe des solutions, et pour prévenir, et pour guérir ! Nous sommes heureusement de plus en plus nombreux à travailler à les mettre efficacement en oeuvre !

Alors que notre société est confrontée à la culture du résultat et de la performance, est-il possible d'inverser la tendance et d'enrayer le burn out à court terme? Sous quelles conditions pourrait-on stopper la dynamique actuelle ?

François Baumann : On pourrait espérer une révolution de la société, mais je n’y crois pas trop. Il faut une prise de consciences des patrons, des  conseils d’administration (qui ont une vision anonyme du personnel). Le management essaye d’aménager les horaires, mais cela reste un management du travail, et non des individus. Il faut rééduquer les gens qui travaillent pour qu’ils retrouvent du plaisir dans l’exécution de leurs missions professionnelles. Jusqu’ici la voie trouvée était le management, mais c’est une erreur : il faut repérer parmi les individus ceux qui ont des chances de faire un burnout, et leur trouver des centres d’intérêt qui les éloignent un peu de leur travail. Un patron sera toujours ravi de voir ses employés beaucoup travailler, mais il doit garder en tête que cela se paye humainement au bout de quelques mois ou années.

Comment les personnes touchées par le burn-out se reconstruisent-elles une fois guéries ? Quelle importance prend le fait de savoir prioriser ses besoins ?

François Baumann : Je consacre actuellement l’écriture d'un 3e ouvrage sur le thème du burnout à la question suivante : une fois qu’on en est sorti, que faire pour ne pas y retomber ? Sur ce point, il semblerait que ce soit comme pour la dépression, il faut savoir que plus on y est sujet, plus on a de chances de récidiver. Pour en sortir, il faut casser le cercle, adopter de bonnes résolutions : pas de travail à la maison, voire changer de travail, tenir compte de ses besoins personnels, c’est-à-dire tout ce qui fait la vie en dehors du travail : les enfants, les arts, le sport, etc. En tant que médecin j’essaie de raccrocher les gens à ce qu’ils aimaient faire avant. Ce sont aussi des gens qui ont besoin de parler d’eux, de leur recherche d’amour… cela n’aide pas à guérir mais au moins à aller vers autre chose. Ils répondent tout à fait à l’image de ces patrons partis en 1968 élever des chèvres dans le Larzac. Cela existe encore, c’est la solution extrême, et il n’est pas sûr que ce soit suffisant.

Même si je ne suis pas optimiste, il existe des moyens de se reconstruire. Autrement, le stade final du burnout, c’est le suicide. On l’a vu arriver par vagues, à la Poste, dans des banques… Ils ont pensé qu’en faire énormément au travail allait leur permettre de réussir, ils ont été déçus.

Le contraste brutal entre une situation de travail quasi permanent et une période d’inactivité prolongée peut-il générer également un burn out ?

François Baumann : Vous avez raison, dans ce cas de figure on a l’impression d’être mis dans un placard, de ne plus servir. On perd de sa valeur à ses propres yeux. Si on vivait par le travail et que d’un seul coup on ne nous en donne plus, cela peut causer le burnout. Mais il n’y a pas que le travail rémunéré qui est concerné, une mère au foyer peut elle aussi être sujette au burnout.

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