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Comment Barack Obama joue avec le feu en négociant le soutien de l'Iran contre l’Etat islamique
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Mauvaise pioche

Obama a secrètement envoyé une lettre à Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique d'Iran, afin de s'accorder sur une entente dans la lutte contre l'Etat islamique d'Irak et du Levant.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Récemment, un article du Wall Street journal a révélé qu'Obama avait secrètement envoyé une lettre à Ali Khamenei, guide suprême de la révolution islamique d'Iran, afin de s'accorder sur une entente dans la lutte contre l'Etat islamique d'Irak et du Levant. Dans quelle mesure est-ce que les intérêts des deux pays se rejoignent-ils ? Et en quoi est-ce que les États-Unis ne peut pas s'appuyer sur son allié local historique, l'Arabie saoudite ?

Alain Rodier : La situation est éminemment complexe au Proche-Orient du fait de la divergence -et parfois la convergence- des intérêts de chacun ajouté au fait que Washington a eu, dans le passé, une politique étrangère remplies de contradictions (certes, les Américains sont loin d'être les seuls dans ce domaine) : invasion de l'Irak en 2003 sous de faux prétextes mais pour abattre Saddam Hussein ; 2011 évacuation du pays alors que le "travail n'est pas fait" (par opposition à ce que déclarait le président Bush : "job is done"); soutien politique à l'insurrection syrienne sans lui apporter l'aide matérielle dont elle a besoin ; 2013 décision de frappes aériennes des forces de Bachar el-Assad annulées au dernier moment, etc. Ces retournements et changements d'alliances (voir le cas égyptien) laissent perplexe tout observateur tant soit peu averti.

En Irak, Washington, qui ne voulait plus y revenir pour remplir la promesse du président Obama de retirer les boys des théâtres extérieurs, ont été obligés d'intervenir quand l'Etat Islamique d'Irak et du Levant (Daesh) a égorgé deux otages américains. L'offensive de ce mouvement radical sunnite qui avait été menée depuis décembre 2013 pour prendre la province d'al-Anbar, ne les avait pas fait bouger d'un pouce. Les massacres de centaines de prisonniers et de civils irakiens non plus. Il a alors fallu gérer au plus pressé : contenir l'avancée de Daesh vers le Kurdistan irakien et Bagdad. Et c'est là que c'est posé le problème de qui défendrait immédiatement la capitale, les régions chiites du sud-est et le Kurdistan puisque l'armée - elle-même - avait cessé d'exister en tant qu'entité opérationnelle !

Les Iraniens se sont présentés en "sauveurs", encadrant et approvisionnant les milices chiites qui, sous les injonctions de leurs mollahs, sont montées au front pour faire face à l'offensive de Daesh et de ses alliés des tribus sunnites qui avaient été humiliées par le pouvoir chiite en place à Baghdad. Sur le terrain, le major général Qassem Suleimani, le tout puissant chef de la force Al-Qods des pasdaran (le "Service Action" iranien), est venu en personne coordonner les opérations. Il a amené avec lui des pasdaran et des miliciens Basidji, des avions der la composante aérienne des pasdaran, et a établi un état-major à Bagdad. Il est fort possible que les officiers des pasdaran aient croisé les premiers conseillers américains qui débarquaient en Irak, certes avec un certain retard. Bien avant les Occidentaux, les pasdaran ont aussi apporté aux Kurdes irakiens une aide significative. En fait, Téhéran s'est retrouvé en pointe dans la manœuvre destinée à bloquer les avancées de Daesh. Les Américains n'avaient alors plus le choix : il fallait s'entendre avec Téhéran pour coordonner un minimum les opérations afin d'éviter des erreurs tragiques. Au passage, il est à noter que certaines milices chiites n'ont pas fait dans la dentelle. C'est le problème des guerre civiles: il n'y a aucune loi pour les encadrer et pour tenter de limiter au maximum les horreurs. Certains décideurs civils et leurs puissants inspirateurs "intellectuels" devraient s'en rappeler : la guerre est une horreur, la guerre civile est une abomination. 

Dans ce cas de figure, l'Arabie saoudite n'avait aucun rôle à jouer en dehors du fait de reprendre rapidement ses billes qui s'étaient "égarées" du côté des rebelles islamiques radicaux qui commençaient aussi à représenter une menace pour la famille royale.   

En quoi la proximité religieuse entre les iraniens d'une part, et le gouvernement irakien d'inspiration chiite de l'autre, permet-il d'avoir une meilleure lecture des ressorts de ce conflit ? Pour quelles raisons l'Iran voudrait-il lutter contre l'EIIL ?

Si une chose est claire dans ce qui se déroule aujourd'hui au Proche-Orient, c'est que ce n'est pas une guerre des civilisations (Orient/Occident), mais entre chiites et sunnites.

Les chiites, beaucoup moins nombreux, ont un avantage : ils sont globalement "unis" avec le fameux "croissant chiite" allant de Téhéran en passant par Bagdad, Damas, le Liban (via le Hezbollah) et le Nord du Yémen (via les tribus Al-Houti). Il faut rappeler que les chiites sont considérés comme des "apostat" (des traitres) à l'islam par les sunnites en général, et Daesh tout particulièrement. Aucune négociation n'est possible, c'est la haine qui motive les dirigeants -et souvent les peuples dans ce cas précis-. A noter que si la haine sunnites-chiites est un fait acquis, cela est différent dans l'autre sens, Téhéran n'ayant rien trouvé à redire à s'allier les services du Hamas, du Jihad Islamique Palestinien et d'une petite partie d'Al-Qaida qui s'est réfugié sur son sol après l'invasion de l'Afghanistan à la fin 2001 par les Américains.  

Il n'y a pas la même cohérence du côté des sunnites qui sont éclatés entre l'Arabie saoudite et les Emirats du Golfe persique (Bahreïn posant un gros "souci" en raison de sa majorité chiite), les Frères musulmans réfugiés en Turquie et dans la clandestinité depuis qu'ils ont dû quitter l’Égypte et le Qatar (qui lui même a tenté de jouer en solo mais qui s'est fait taper sur les doigts par les Saoudiens et le maréchal président Sissi), Al-Qaida "canal historique" qui tente de reprendre de l'influence vis-à-vis de son ex-branche dissidente Daesh (tout en tentant de négocier une paix des braves pour se retourner tous moyens réunis contre ses ennemis juifs, occidentaux, iraniens et la famille Saoud).

Dans le domaine de la cohérence, celle-ci semble désormais absente chez les Occidentaux en Syrie, mais c'est une autre histoire qui mérite d'être développée ultérieurement.

Un accord sur le développement du nucléaire irakien est-il vraiment l'exigence de négociation pour les iraniens, alors que ceux-ci se sont récemment débarrassés d'uranium militaire, en le donnant à la Russie ? En quoi cette alliance pourrait-elle se retourner contre les Etats Unis ?

Les négociations du groupe 5+1 (membres du conseil de sécurité plus l'Allemagne) avec l'Iran ont la date butoir du 24 novembre. Les Israéliens sont très dubitatifs sur les intentions de Téhéran dans le domaine du nucléaire. Réalistes, ils continuent à mettre en place - sans publicité excessive mais en le faisant tout de même savoir- une force de dissuasion crédible avec trois composantes : missiles sol-sol, missiles air-sol et sous-marins dotés de missiles de croisière (avec un objectif d'en avoir au moins deux présents en permanence à la mer); toutes ses armes pouvant, bien évidement être équipée de têtes nucléaires.

Toutes le gesticulations techniques lancées par Téhéran ne parviennent pas à cacher la volonté de ses dirigeants - et pas seulement des mollahs - de posséder, au minimum, la capacité à fabriquer l'arme nucléaire dans de brefs délais. Le problème réside que les dirigeants iraniens n'ont pas renoncé à leur volonté de "rayer Israël de la carte". Leur grand allié (pour ne pas dire "créature") Hezbollah libanais, n'est jamais revenu sur son engagement à détruire l'Etat Hébreu. La dissuasion, cela marche entre dirigeants "raisonnables" mais, si un mystique parvient à avoir le pouvoir déclencher l'apocalypse, cela devient très problématique.

Selon un sondage, la communauté juive américaine serait très majoritairement favorable à un accord sur le nucléaire iranien en échange de leur engagement contre l'EIIL. Comment l'expliquer ? Quelle carte géopolitique est-elle en train de se dessiner ?

J'entretiens les plus vives méfiances vis-à-vis des sondages car l'opinion est versatile, et surtout, très mal informée des problématiques internationales (dans la mesure où elle s'y intéresse). On ne gouverne pas avec des sondages. Je ne me suis pas penché sur la vie politique intérieure US, mais il me semble que les Républicains de retour aux affaires sont plus sensibles aux thèses du gouvernement israélien qu'à celui des différents lobbies américains.

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