Témoin d’une agression ? Mode d’emploi sans faux bons sentiments<!-- --> | Atlantico.fr
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85 % des Parisiennes pensent que personne ne viendrait les aider en cas d’agression dans le métro.
85 % des Parisiennes pensent que personne ne viendrait les aider en cas d’agression dans le métro.
©Reuters

Action... réaction ?

Selon une étude menée par l’institut Yougov pour la fondation Thomson Reuters, 85 % des Parisiennes pensent que personne ne viendrait les aider en cas d’agression dans le métro. S'il est aisé de s'en offusquer, cela revient tout de même à faire l'impasse sur les dimensions humaines et juridiques d'une telle situation, autrement plus complexes.

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Jean-Michel  Scharr

Jean-Michel Scharr

Jean-Michel Scharr est avocat à la Cour, spécialisé en droit des victimes et droit des personnes.

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Gérard Lopez

Gérard Lopez

Psychiatre et président fondateur de l'association de l'Institut de Victimologie.

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Thibault de Montbrial

Thibault de Montbrial est Avocat au Barreau de Paris, Président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure.

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Atlantico : Alors qu’on reproche régulièrement la non-intervention des personnes lorsqu’elles sont témoins d’agression comme récemment dans le métro près de Lille, en quoi peut-on dire qu’il est pourtant compliqué pour ces témoins de réagir lorsqu’elles sont confrontées à cette situation ? Comment expliquer d’un point de vue psychologique que les personnes préfèrent souvent ne pas intervenir alors qu’elles assistent parfois à un déferlement de violence sous leurs yeux ?

Patrice Ribeiro : Etre réellement confronté à une agression et intervenir est plus compliqué car on sort de son confort habituel. Le métro est un milieu confiné donc les gens n’appréhendent pas l’espace de la même manière que l’extérieur. Il n’est pas possible de se mouvoir et de pouvoir s’enfuir. De nombreuses études prouvent que plus il y a de monde autour de nous plus il peut se créer une pression de la conformité et une soumission. Personne n’ose prendre l’initiative d’agir. Autrement dit, plus il y a de monde moins l’individu est enclin à intervenir. Vous n’intervenez pas car les autres n’interviennent pas. Du coup tout le monde s’abstient de le faire, ce qui est un cercle vicieux. Par ailleurs on constate souvent que les gens qui interviennent se retrouvent seuls avec des gens armés de couteaux par exemple. Du coup, certaines personnes s’interdisent d’intervenir par crainte de se retrouver seul dans l’engrenage de la violence. Et ce d’autant plus que la Justice donne tort à celui qui va intervenir et donne au contraire raison aux voyousEn ce qui concerne les agressions dans la rue il est parfois difficile de faire la différence entre une véritable agression et un différend conjugal. Parfois les gens s’abstiennent d’intervenir car c’est du domaine de la vie privée alors qu’ils en ont l’obligation légale.

En règle générale c’est la surprise qui prévaut dans les infractions mais aussi le choc et la violence. Le seul moyen de faire cesser une agression est d’être encore plus violent que l’agresseur pour le surprendre car il ne s’attend pas à une violence plus forte. Il faut aussi dire qu’il est très difficile de savoir comment les choses vont évoluer lorsqu’on intervient sur une situation violente.

Gérard Lopez : Ce n’est pas que l’individualisme : c’est aussi pour des raisons biologiques. Les témoins ont parfois un énorme stress qui les envahit. Les personnes peuvent se retrouver pétrifiées, on appelle ça un état de dissociation. Elles ont les jambes qui flageolent, le cœur qui bat vite et sont inhibées. Tout le monde n’est pas égal devant la réaction face au stress. A un niveau minimum on a du stress : l’organisme est envahi par l’adrénaline et d’autres hormones comme le cortisol. Par conséquent soit on réagit soit on fuit. A un stade supérieur quand il y a trop de secrétions d’hormones les gens sont incapables de réagir car ils sont en état de conscience modifiée.

En revanche quand quelqu’un le fait c’est ensuite plus simple. Parfois, personne ne réagit mais une fois que l’agresseur est à terre tout le monde veut le lyncher. C’est un phénomène bien décrit en psychologie : le phénomène mimétique. Quand il y a une crise bien souvent au début personne n’est capable de réagir mais si un leader un peu charismatique le fait il y a alors un emballement mimétique.

Il faut aussi dire que réagir n’est pas anodin car la personne qui le fait risque d’être blessée. Les témoins pèsent le pour et le contre avant d’intervenir. Si quelqu’un veut faire un mauvais coup il pèse le pour et le contre et fait la balance entre risques et profits. Si l’agresseur est intelligent il s’attaquera à une personne pas très forte comme une femme ou une personne âgée et il va faire attention à ce qu’il n'y ait personne dans le coin. 

En quoi peut-on dire que le contexte d’une agression joue aussi un rôle important en faveur ou non d’une intervention ?

Patrice Ribeiro : On ira plus facilement vers une personne un peu titubante que vers une bande de plusieurs jeunes habillés en chanteur de rap dont les membres font 1m90. A moins d’être un expert en combat à main nue, c’est dissuasif. La lecture des faits divers laisse à penser que certains profils de délinquants n’hésitent pas à avoir des armes sur eux et à s’en servir sans vergogne. On a finalement plus à perdre quand on est en face de gens qui n’ont pas grand-chose à perdre et qui bénéficieront de mansuétude judiciaire.

Quels conseils peut-on finalement donner aux témoins d’une agression ? En quoi est-il important de noter et de se souvenir des détails pour interpeller les agresseurs ?

Patrice Ribeiro : Il ne faut pas se laisser faire en se taisant. Les victimes et les témoins doivent crier par exemple "police". En hurlant cela va rendre plus difficile l’agression et mettre en difficulté l’agresseur qui avait au préalable pris l’ascendant par surprise, par force et par la rapidité de l’intervention.

Il ne faut intervenir que si l’on pense qu’on est en mesure de le faire. Tout dépend de la nature de l’agression et du nombre des agresseurs. C’est quelque chose que vous ressentez sur le moment. Si on peut intervenir on le fait car c’est une obligation et un devoir civique mais si on n’est pas en mesure de le faire on appelle les secours, surtout qu’aujourd’hui nous disposons des moyens téléphoniques pour le faire. Il n’y a pas de solution universelle mais il faut essayer de faire preuve de discernement et surtout ne pas s’abstenir.  Le témoignage humain est par ailleurs important pour identifier le ou les agresseurs mais cela peut aussi se faire avec un téléphone en filmant. 

Gérard Lopez : Le mieux est d’appeler la police et de prendre des photos pour identifier l’agresseur. Il faut aussi essayer de regarder où il a posé les mains. L’idéal serait de prendre une feuille de papier blanche et de la mettre où l’agresseur a déposé ses empreintes. Si vous n’êtes pas envahi par le stress le mieux est de regarder où l’agresseur se dirige ensuite. Il convient aussi de rappeler que la police scientifique ne se déplacera pas uniquement pour une petite agression dans le métro. 

Les risques judiciaires en cas d'intervention... Et de non intervention

Cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Voilà ce qu’encourt en théorie une personne reconnue coupable de non-assistance à personne en danger selon l’article 223-6 du code pénal. "Ce n’est toutefois jamais appliqué car il est très difficile de caractériser judiciairement l’infraction", note Patrice Ribeiro. "La personne accusée de non-assistance à personne en danger peut expliquer qu’elle ne se sentait pas capable d’intervenir car elle se sent par exemple trop fluette", précise-t-il. Comme l’observe le secrétaire général de Synergie officiers, l’obligation légale est d’intervenir en prévenant au minimum les secours en appelant le 17.

En cas d’agression, les témoins peuvent aussi intervenir physiquement. Mais attention, tout de même : "la défense doit être proportionnelle à l’attaque", rappelle l’avocat Jean Michel-Scharr. Pas question donc de blesser l’agresseur au risque de s’attirer les foudres d’une justice qui aurait tendance à se placer du côté des agresseurs plutôt que de celui des victimes, regrette Patrice Ribeiro. "La Justice va trouver des excuses idéologiques pour l’agresseur. En revanche, on va reprocher à la personne qui est intervenue pour défendre l’agressé de ne pas avoir fait preuve de discernement, de ne pas être un expert en arts martiaux et d’être intervenu de façon violente en laissant des séquelles à l’agresseur", déclare-t-il.  De quoi "se retrouver avec une épée de Damoclès sur la tête et la peur d’être placé en garde à vue", poursuit le responsable syndical policier "alors qu’ils n’ont fait que leur devoir de citoyen".

Alors qu’il avait tué son agresseur qui l’avait séquestré en 2009, un jeune homme habitant dans la Marne a ainsi été condamné à cinq ans de prison dont un an ferme en 2013. "On constate aujourd’hui que les témoins d’une agression se retrouvent devant une alternative impossible : l’abstention qui génère la non-assistance à personne en danger ou bien l’intervention qui expose à un double risque : des poursuites judiciaires pour violences, ou bien subir des blessures graves", estime Thibault de Montbrial. "Les règles d’application de la légitime défense pour autrui et pour soi-même sont totalement dépassées en France. Les critères sont totalement déconnectés de la réalité et des scènes de bagarre", déplore cet avocat.

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