Opposition à la britannique, insolence à la française ou résignation à l’italienne : qui est le plus efficace dans sa fronde anti-Bruxelles ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Quel est le pays le plus efficace dans sa fronde anti-Bruxelles ?
Quel est le pays le plus efficace dans sa fronde anti-Bruxelles ?
©Reuters

Enfants terribles

Des semaines de tensions mais une validation in fine des budgets nationaux par la Commission européenne. Pour y arriver, les chefs d’État des trois grandes puissances de l'Union européenne en délicatesse budgétaire n'ont toutefois pas adopté la même stratégie face à Bruxelles. Des manœuvres à la mesure de leurs moyens et des circonstances de leurs intérêts nationaux.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : La Commission européenne n'a identifié mardi 28 octobre aucun "dérapage sérieux" dans les projets de budget des 18 pays de la zone euro, et ne va demander à aucun Etat membre de revoir sa copie, notamment la France et l'Italie qui étaient sur la sellette. La Commission a-t-elle cédé ou les efforts budgétaires présentés par ces deux pays étaient-ils en réalité acceptables par les autorités bruxelloises ?

Christophe Bouillaud : Ce choix de la Commission, s’il se confirme dans les semaines qui viennent, me semble d’abord indiquer qu’elle est en train de prendre conscience que son logiciel d’analyse économique n’est pas le meilleur. Il ne semble pas en effet que, vu les budgets présentés en Italie et surtout en France, ce choix soit très cohérent avec ce qui avait pourtant été l’esprit ultra- "austéritaire" qui a présidé au renforcement du Pacte de stabilité et de croissance en 2011-12. Du coup, en changeant de fait sa grille de lecture des mécanismes économiques, sans doute à la lumière de la conjoncture économique européenne et des risques désormais trop bien compris d’un ajustement budgétaire en période de récession ou de très faible croissance, la Commission ne voit pas de "dérapage sérieux" là où l’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle perçoive des manquements graves aux textes dont elle a pourtant la garde. Au-delà de ce début d’aggiornamento intellectuel,  la Commission d’évidence a cédé à la peur de rentrer dans un conflit à l’issue incertaine avec la France. Cela donnera raison à tous ceux qui ne voient en elle qu’un "tigre de papier", qui ne fait que refléter les rapports de force conjoncturels entre Etats. On peut fustiger la Grèce ou le Portugal, mais pas la France, la "Grande Nation". Certains sont "plus égaux que d’autres".

La France a tout de même persisté sur le plan national à rappeler son attachement à sa souveraineté concernant la gestion de son budget, et ce alors même qu'elle est signataire des textes qui confèrent ce pouvoir à Bruxelles... Cette stratégie du double discours a-t-elle permis de minimiser les exigences de Bruxelles d'un côté et de se dédouaner des réformes engagées sur la scène nationale de l'autre ?

Il me semble que c’est surtout la stratégie de menace possible d’une crise grave à la fois en France et  entre la France et l’Europe qui a payé. Paris a utilisé en quelque sorte le Front National et l’euroscepticisme montant en France comme un épouvantail, tout comme il a utilisé sa propre faiblesse parlementaire. Le Président du Conseil italien Matteo Renzi a bien dit lui-même pour appuyer la vision française qu’il préférait quelque déficit supplémentaire en France, plutôt que "Marine Le Pen au pouvoir". Cet argument, aussi exagéré soit-il, a dû aussi être utilisé par les autorités françaises pour montrer à la Commission qu’elle ne devait pas aller trop loin  dans ses demandes d’austérité, sinon "le fascisme passerait". De même, en menaçant d’une crise parlementaire en cas de demandes austéritaires supplémentaires de la part de la Commission, le gouvernement a bien joué de ses faiblesses. Cela ne va pas nous grandir auprès de certains pays européens, mais c’est du réalisme politique : l’opinion publique française est trop hostile au pouvoir en place pour qu’il puisse la braquer encore plus. Cela n’empêche pas par ailleurs le gouvernement de poursuivre en douceur dans ses "réformes structurelles", il lui reste encore quelques longs mois avant  mai 2017.

Était-ce nécessaire, sachant que la France a fini par céder quasi totalement aux exigences de Bruxelles en trouvant 3,6 milliards d'euros d'économies supplémentaires ?

Les 3,6 milliards d’économies supplémentaires, qui ne correspondent essentiellement qu’à une série d’artifices comptables, sont uniquement une manière pour Paris de permettre à la Commission de ne pas perdre entièrement la face, tout en ne changeant rien en pratique aux dépenses et aux recettes qui touchent les Français au quotidien.  

L'Italie de son côté s’est engagée à de vastes réformes structurelles, quitte à fragiliser le délicat équilibre socio-économique de son pays, et ce même si Matteo Renzi n'a pas manqué d'humour en menaçant la Commission de faire fuir sa lettre de révision sur le budget 2015. Ce positionnement de quasi soumission absolue était-il nécessaire pour redresser le pays ? Affaiblit-il la position de l'Italie sur la scène européenne ?

Attention, au contraire, Matteo Renzi s’est joué de la Commission européenne en publiant la lettre de la Commission sur le site du Ministère concerné. Il a provoqué l’énervement de J. M. Barroso. M. Renzi s’est aussi moqué des exigences financières de la Commission en y voyant au fond qu’une demande facile à satisfaire au point où on en est. De fait, il n’y a pas du tout de soumission italienne à la Commission. Même le Président de la République, G. Napolitano, un europhile convaincu, a critiqué récemment l’abus d’austérité, impulsé par l’Europe dans les années précédentes. La Commission européenne n’a en fait plus guère de prestige économique en Italie, contrairement à la BCE dirigée par un Italien qui a sauvé la zone Euro pour l’instant. Par ailleurs, les réformes structurelles que Matteo Renzi s’est engagé à faire correspondent  à ses propres convictions et à celles de la partie du Parti démocrate (PD) qui le suit. Tout cela n’affaiblit nullement le gouvernement de M. Renzi sur la scène européenne, bien au contraire. Il y avait longtemps qu’un gouvernement italien n’y avait pas été aussi fort.

En Europe mais en-dehors de la zone euro, l'Angleterre est une grande adepte de l'opt-in /out et ne cache pas sa relation privilégiée avec les États-Unis... Et le Premier ministre britannique n'a pas hésité à rejeter la rallonge de plus de deux milliards d'euros au budget européen 2014 qui lui était réclamé par la Commission. Que dire du positionnement anglais consistant à prendre de l'Europe ce qui lui semble profitable et rejeter le reste ?

Les Britanniques ne font que pratiquer que ce qu’ils pratiquent depuis les années 1980. C’est l’idée terrible et délétère du "juste retour". Je donne tant à l’Europe, et j’en reçois tant. Est-ce que le bilan est en ma faveur ou non ? C’est un positionnement qui ne voit absolument pas l’idée de solidarité européenne et celle d’intérêt général européen comme importantes, mais qui ne considère que son intérêt national compris de manière étroite. Cette vision n’est pas compatible avec la "fédération en devenir" qu’est l’Europe, elle sape à la racine toute dynamique intégrationniste.

Pour conclure, de l'Angleterre, l'Italie ou de la France, qui poursuit la stratégie la plus efficace sur la scène européenne ? Quelle est celle qui assure le meilleur rayonnement, face à l'inflexible Allemagne notamment ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir ce qu’on attend d’une stratégie européenne d’un pays : défendre ses intérêts nationaux ou défendre une vision de l’Europe présente et à venir ? J’aurais tendance à dire que les trois pays défendent à la mesure de leurs moyens et des circonstances leurs intérêts nationaux, mais que l’Italie et la France ont eu le tort de vouloir être dans la zone Euro. Par ailleurs, contrairement à l’Italie, la France n’a ni une population ni une classe politique convaincues par l’idée européenne. La situation britannique nous conviendrait en fait bien mieux, mais nous sommes dans l’Euro et il faut faire avec, d’où la palinodie autour de la surveillance européenne du budget français.

Pour ce qui est de la vision européenne, la Grande-Bretagne anti-fédéraliste et l’Italie fédéraliste sont cohérentes, la France est toujours dans l’hésitation entre ces deux visions, ce qui n’aide pas du tout à entraîner les autres derrière soi ou à apparaître sérieux et cohérent. 

Propos recueillis parFranck Michel / sur Twitter

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