Sortie de l’euro : quand les calculs et raisonnements du FN se heurtent à la réalité des mécanismes monétaires<!-- --> | Atlantico.fr
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Sortie de l’euro : les erreurs de calcul et de raisonnement du FN.
Sortie de l’euro : les erreurs de calcul et de raisonnement du FN.
©Reuters

Pas si vite

Réduction du déficit commercial par une dévaluation du "nouveau franc", "création monétaire" contre l'inflation... Petit tour des rappels de base sur les mécanismes économiques qui permettraient au Front national de ne pas proposer une stratégie dont les fondements reposent sur du sable.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Ce n’est un secret pour personne. Pour le Front National, l’arme absolue au service du retour de la croissance, c’est la sortie de l’euro. Ce retour à la monnaie nationale serait alors suivi d’une "dévaluation" de 20% du nouveau franc, ce qui permettrait ainsi de restaurer la balance commerciale du pays mais aussi sa croissance. Jusque-là, tout va bien, c’est le bon sens en action.

Sauf que. Le problème est que rien ne va. La stratégie formulée ne repose sur rien, et ce vide est parfaitement démontrable. Car si les critiques habituelles se contentent de hurler "au secours" face à la sortie de l’euro, c’est surtout l’étape suivante qui mérite le coup d’œil. Dont acte de la sortie de l’euro, pour l’exercice.

Selon le Front National, et comme Marine Le Pen a pu le répéter à plusieurs reprises, une dévaluation "politique" de la nouvelle monnaie permettrait de restaurer la balance commerciale du pays. Il s’agit toutefois d’une profonde méconnaissance du mécanisme monétaire. En effet, cet outil n’a pas vocation à permettre d’exporter plus, il a pour vocation de renforcer la demande intérieure. Et plus la demande intérieure augmente, plus les importations suivent le mouvement, et ce au détriment de la balance commerciale. Soit l’exact phénomène qui se produit aujourd’hui au Japon, au Royaume Uni et aux Etats Unis, qui ont tous trois une balance déficitaire suite à leurs différents programmes de relance monétaire. Une situation qui n’a rien de surprenant puisqu’il s’agit de la simple théorie, il suffit d’ouvrir un livre :

"Dans une économie ouverte, une augmentation de la demande intérieure a un effet plus faible sur le produit qu’en économie fermée, et un effet négatif sur la balance commerciale. Et plus une économie est ouverte, plus l’effet sur le produit sera faible et plus l’effet négatif sur la balance commerciale sera important". (Macroéconomie. Blanchard / Cohen.3e edition. Pearsons. P342).

Evidemment, cette erreur passe plutôt inaperçue puisqu’elle est très bien représentée sur l’ensemble du spectre politique. Là où le problème devient un peu plus sérieux, c’est lorsqu’on aborde la question de la croissance. Pour que celle-ci revienne, la théorie du front national suggère de soutenir le PIB du pays par la voie de la balance commerciale. Une vision soutenue par une équation comptable de base ; le PIB est la somme de la consommation, des dépenses de gouvernement, de l’investissement et du compte courant (c’est-à-dire de la balance commerciale). C’est-à-dire :

PIB = Consommation + Dépenses de Gouvernement + Investissement + Compte courant

La logique du Front national est de permettre une amélioration de la balance commerciale qui viendra s’ajouter en toute bonne logique aux chiffres du PIB. Tout ceci est bien joli, mais le Front National se heurte aux secrets bien gardés de la comptabilité nationale. En effet, c’est avec une grande tristesse qu’il convient d’annoncer que la section "investissement"  de l’équation présentée ci-dessus vient ruiner l’ensemble du raisonnement. Car en comptabilité nationale, l’Investissement est égal à l’épargne nationale MOINS le compte courant. Un grand vide. Ce que le compte courant ajoute au PIB en fin d’équation est retranché de la branche investissement pour un résultat nul, 0, rien. La balance commerciale est comptablement neutre sur le PIB. Il semble que cette situation ait échappé aux experts locaux.

Sortir de l’euro est une proposition qui peut se discuter. Mais ce qui est présenté comme une alternative par le Front National repose sur du sable. Encore une fois, la monnaie n’est pas un outil au service des exportations, la monnaie est un outil au service de la demande intérieure. L’ensemble de l’édifice construit s’écroule sur cette simple constatation.

Mais ce n’est pas fini. Marine Le Pen avait également pu indiquer son souhait de voir la Banque de France "faire de la création monétaire" :

"Notre  idée  est  d’en  faire  100  milliards  par  an,  45  milliards  pour  le  remboursement  des  intérêts de  la  dette  et  45 milliards  pour  le  remboursement  du  capital  de  la  dette. Cela limite beaucoup les conséquences d’une éventuelle inflation car on ne l’injecte pas dans l’économie réelle. Enfin il faut réserver les 10 milliards restants au déverrouillage des capacités d’emprunts des PME et PMI."

Si la notion de création monétaire peut parfaitement se justifier, car il s’agit bien de ce qui est mis en place par la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon et la Réserve fédérale des Etats Unis, le reste de la proposition est plus surprenant.

Car les Etats Unis, le Japon et  le Royaume Uni se gardent bien de décider de l’affectation des fonds créés par leur banque centrale. Et ce pour deux bonnes raisons. La première est que le système monétaire ne fonctionne pas de cette façon, la "création monétaire" n’a pas vocation à payer des factures, elle a vocation à faire gonfler la base monétaire qui est l’outil de travail d’une banque centrale. Si l’argent créé est affecté ailleurs, aucun effet n’est à attendre sur la demande intérieure. Et Marine Le Pen le dit elle-même "car on ne l’injecte pas dans l’économie réelle". Justement.

La seconde raison est la rupture de toute indépendance de la banque centrale. Il est sans doute nécessaire de critiquer la tour d’ivoire actuelle dans laquelle s’enferme la BCE. Mais soumettre le plus grand pouvoir économique d’une nation à un gouvernement qui souhaiterait s’en servir pour payer ses factures ne peut pas être sans conséquence sur le niveau de confiance apporté à la nouvelle monnaie créée.

Encore une fois, la création monétaire se justifie parfaitement au niveau économique, mais l’affectation des fonds qui est évoquée par le Front National n’a pas de précédent récent. En dehors d’un Hugo Chavez en grande forme lorsqu’il réclamait "un petit milliard de dollars" à sa banque centrale en 2003.

La sortie de l’euro est une proposition soutenue par des nombreux économistes, dont plusieurs prix Nobel, et mérite ainsi un débat réel et apaisé. Mais l’alternative proposée par le Front National est le fruit d’un amateurisme alarmant.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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