Tout un Conseil sur le climat et un simple déjeuner sur la zone euro : ce drôle de sens des priorités qui prévaut en Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil européen des 23 et 24 octobre consacrera l'essentiel de son temps à l'obtention d'une décision finale en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030.
Le Conseil européen des 23 et 24 octobre consacrera l'essentiel de son temps à l'obtention d'une décision finale en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030.
©Reuters

Supranational en berne

Le Conseil européen des 23 et 24 octobre consacrera l'essentiel de son temps à l'obtention d'une décision finale en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030, et un "lunch" à la zone euro... Un curieux sens des priorités et un déficit d'Europe entretenu par les États, qui sont à l'origine du désamour des peuples pour l'UE.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Sylvie Goulard

Sylvie Goulard

Sylvie Goulard est députée européenne, membre du groupe ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe) au Parlement européen, et membre du Groupe Eiffel Europe (www.groupe-eiffel.eu)

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Atlantico : Le Conseil européen des 23 et 24 octobre prendra une décision finale sur le nouveau cadre d'action en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030. La priorité est-elle réellement de consacrer l'essentiel de ce sommet au climat ?

Bruno Cautrès : La commissaire européenne à l'action pour le climat, Connie Hedegaard, qui quittera ses fonctions à la fin du mois a indiqué qu’elle souhaitait fortement voir les européens adopter le "paquet Energie-Climat 2030" lors du prochain Conseil européen. Il est vrai qu’il s’agit d’un ensemble de mesures et de décisions qui, si elles étaient adoptées, représenterait un cadre fondamental d’action sur le changement climatique pour les années à venir. Mais remarquons que les principales mesures concernées (réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990, porter la part des énergies renouvelables à 27% et améliorer l'efficacité énergétique de 30%), continuent de faire l’objet de désaccords et de négociations le Conseil et la Commission.

Par ailleurs, le contexte économique et budgétaire de l’Europe place ce Conseil et cette priorité dans une situation paradoxale : les européens attendent surtout des réponses économiques ; allons-nous sortir de la récession qui touche de nombreux pays, l’Europe peut-elle aider et à quoi sert-elle au plan économique ? De même, les européens ont le sentiment que l’on ne sait plus où va l’Europe, quelle est la grande direction, où sont les frontières ? Cela ne veut pas dire que l’Union européenne a tort de vouloir de grands projets en matière environnementale ou sur l’énergie ; ces sujets préoccupent les européens et apparaissent régulièrement dans les enquêtes Eurobaromètre comme des sujets sur lesquels les européens veulent plus de décision européenne. La question du prix de l’énergie qui a de vraies conséquences sur les inégalités et la pauvreté en Europe doit également être clairement abordée.

Sylvie Goulard : Comme tous les sujets de long terme, ce n'est jamais le moment ! Les derniers chiffres sur la progression du changement climatique doivent nous inciter à agir rapidement. Mais libre à nous de trouver plus urgent que les questions globales et de long terme. Cette question devrait être prise au sérieux, de manière plus calme. 

De temps à autre certains politiques s'emparent de la question, formulent des promesses qui tombent dans l'oubli. Nos ambitions doivent être résolues, s'inscrire dans la durée et être prévisibles pour nos entreprises. Les objectifs doivent d'ailleurs intégrer la question de la compétitivité. Les vraies questions derrière le changement climatique sont le changement de nos modes de production, de déplacement, de logement, etc. De nombreux volets sont impliqués. C'est un sujet majeur qui nous lie avec les générations futures. A nous de le mettre en oeuvre en prenant en considération nos exigences de compétitivité.

Reste les précédents européens autour des questions climatiques : un manque de coordination, de concertation et de mise en action ; sans oublier la France qui vient d'en finir avec l'écotaxe et le grenelle de l'environnement, qui peine à engager la transition énergétique. Et pourtant, le Conseil européen s'apesantit sur le climat et ne consacrera qu'un "lunch" à la question de la zone euro. Tout un symbole. L'Europe n'est-elle plus qu'un Don Quichotte qui se lance dans des batailles perdues d'avance, plutôt que d'affronter les vrais problèmes ?

Bruno Cautrès : Le sens des priorités de politique publique est un exercice délicat et pas seulement pour l’Europe. Les gouvernements nationaux ont également du mal avec cela. Le Conseil va sans aucun doute se saisir des dernières données, à la baisse, des prévisions de croissance en Europe et dans plusieurs pays membres de la zone euro. Or, il est vrai qu’il faudrait s’atteler à la gouvernance de la zone euro. Celle-ci ne dispose pas d’une organisation, pour défendre cette zone, pour davantage de coordination en son sein, malgré l’existence de l’Eurogroupe. La coordination budgétaire, dont on voit bien s’affirmer progressivement des éléments, devrait faire d’importants progrès de manière à corriger le fait d’avoir créé une monnaie unique sans se doter de tous les instruments de sa gouvernance

L'Europe est-elle condamnée à son mal historique, attendre d'être au bord du gouffre pour avancer ? Ou imploser ?

Bruno Cautrès : Malgré la situation difficile dans laquelle se trouve l’Union européenne aujourd’hui, il ne faut pas dramatiser le tableau. L’UE ne va pas ni imploser ni exploser. Et il est vrai qu’elle avance par crises et en étant souvent obligée de réagir aux crises dans un climat d’urgence. Dans le même temps, il existe un travail de régulation européenne dans de nombreux domaines et qui ne fait pas la une des journaux. Des avancées démocratiques ont eu lieu, la protection des citoyens et des consommateurs, s’est améliorée par exemple. Une fois cela dit, tout ne va pas du tout quand même ! Le gouvernement de la zone euro est un point sur lequel il faudrait faire des progrès considérables. Ce point devrait être la ligne de mire de l’Union européenne aujourd’hui ; il est vrai que les pouvoirs des institutions transnationales européennes (notamment le Conseil et la Commission) se sont renforcés pendant la crise depuis 2008, mais de grands progrès restent aussi à faire en ce domaine.

Sur le mode de fonctionnement de l’Union européenne, il ne faut pas non plus oublier que l’UE est une création politique à la fois originale (elle est venue se superposer aux Etats membres et dans le même temps existe en parallèle à leurs pouvoirs de souveraineté) et à près tout récente. Le Traité de Maastricht date d’il n’y a qu’un peu plus de 20 ans ! Il est donc assez normal que les avancées se fassent souvent dans un mélange de crise et de recherche du compromis. Si l’on regarde du côté des Etats membres, il n’est pas évident qu’ils sachent davantage anticiper malgré tous les instruments de politique publique dont ils disposent. La réforme se fait également souvent sous la pression et sous l’effet d’une crise. Les institutions fonctionnent souvent sur le modèle d’un équilibre ponctué de crises et d’intense activité législative au moment des crises, pour revenir ensuite au calme, parfois plat.

Sylvie Goulard : Ce qui est certain, c'est que le défaut que vous soulignez se résume à l'absence d'Europe, lorsque chefs d'Etat et de gouvernement (avec des logiques nationales) se réunissent de manière épisodique en croyant qu'il peut en ressortir quelque chose. Le plus important, une fois les décisions arrêtées, reste la mise en oeuvre dans le temps. 

La déception est perceptible, elle est fondée. Mais elle ne vient pas de l'Europe, mais du manque d'Europe. Je le répète. Mais si l'impulsion est donnée, qu'elle permet d'aboutir à une décision et de la mettre en oeuvre dans la durée, nous sommes de nouveau dans des logiques communautaires vertueuses.  

Fonds de sauvetage bancaire, plan de relance de l'investissement à 300 milliards d'euros, révision des lois autour du déficit public, mandat de la BCE, retour de la croissance et de l'emploi, etc. Les sujets économiques autour de la zone euro ne manquaient pourtant pas... Ce manque de réalisme et de perspective est-il aussi en partie responsable du désamour européen des peuples et du délitement de l'Europe politique ?

Sylvie Goulard : Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle nous devrions nous imposer des champs au détriment d'autres. Sur la question des 300 milliards, ni d'où va venir l'argent ni à quoi il va servir. Libre à nous d'imaginer qu'une partie de cet argent soit utilisé pour favoriser de manière décisive les économies d'énergie dans le logement et la reconversion des transports par exemple. Ces deux sujets sont liés au climat, créent des emploi de proximité et permettraient à l'Europe de mieux se positionner sur le plan environnemental.

Des plans d'investissement très précis pourraient être dressés. Pour sortir de la crise, il faut donner une direction. Ce qui manque toujours, c'est une orientation. Le problème n'est pas que conjoncturel, notre modèle économique est à bout de souffle, les sociétés vieillissent et la planète est surexploitée. Notre modèle de production doit relever le défi de la croissance durable et de proximité. L'isolation thermique, les transports collectifs des villes créent des emplois non délocalisables. Ce qui n'est pas le cas des grandes infrastructures. En Europe, les lignes de TGV sont peu profitables, des aéroports connaissent peu de trafic. Gare à investir intelligemment, et malheureusement les politiques font souvent passer les considérations locales avant les choix rationnels d'intérêt général. A nous de passer d'une logique de grands chantiers titanesques en faveur de projets profitables à tous.

Je pense très sincèrement que l'Europe n'a pas à se mêler de tous les sujets. Mais le fait qu'elle ne s'occupe pas d'un certain nombre de sujets très sérieux dont elle prétend s'occuper mais qui en réalité sont l'apanage de l'intergouvernementalisme est un problème majeur. En d'autres termes, les Etats reprochent à l'Europe de ne pas faire ce qu'ils ne veulent pas qu'elle fasse. Par exemple, les Etats lui reprochent de ne pas être assez active en matière de politique étrangère ou de défense. En matière économique et sociale, les Etats ne se sont pas donnés les moyens d'aller au-delà d'une coordination qui s'est focalisée sur les chiffres du déficit et de la dette. Or, ce n'est pas de la macroéconomie en faveur de la croissance et de l'investissement. A l'échelle de la zone euro, il nous faut aller plus loin, disposer de moyens. Je respecte le désamour des Européens pour l'Europe en ces termes, mais pas celui des groupuscules en faveur d'une renationalisation.

Bruno Cautrès : En partie seulement. Il s’agit d’un problème très complexe. D’un côté, l’Union européenne a plus que jamais besoin d’avancées dans le domaine de l’intégration économique, budgétaire ou fiscale. D’un autre côté, les opinions ne sont pas nécessairement très rassurées et favorables à ces avancées. Et les gouvernements eux-mêmes sont souvent ambigus ; à cet égard, il est intéressant de remarquer les éléments de langage nouveaux du côté de l’actuel pouvoir en France ; tant Manuel Valls qu’Emmanuel Macron communiquent sur l’idée que ce n’est ni Bruxelles ni Berlin qui commandent à la France de se réformer mais que nous le faisons pour nous-mêmes. Il s’agit d’une pédagogie intéressante car en Europe on a beaucoup souffert d’un discours accusant Bruxelles d’imposer de l’extérieur des choix économiques.

Mais plus fondamentalement, les raisons du "désamour" des européens pour l’Europe sont multiples : les progrès de l’intégration européenne ont progressivement fait réaliser à certaines franges des populations ce qu’elles pouvaient redouter de perdre en termes de protection sociale nationale par exemple. Ces progrès ont également entraîné une vraie prise de conscience de la dimension historique et irréversible de l’Union européenne ; pour certains citoyens c’est pour le mieux, pour d’autres c’est pour le pire. Et surtout, les progrès de l’intégration européenne depuis trente ans se sont réalisés au même moment où deux évolutions politiques majeures ont eu lieu : la fin de l’empire soviétique et la réalité de l’économie de marché globalisée. Ces évolutions sont venues percuter la recherche de sens sur l’Europe : où sont ces frontières ? de quelle manière permet-t elle l’affirmation d’un "modèle européen" de développement économique et social ? où est son "ennemi" extérieur ? qui est "in", qui est "out" ?

Comment l'Europe politique peut-elle renouer avec le peuple pour servir son idéal ? En court-circuitant les instances technocratiques du type de la Commission et en accordant davantage de pouvoir au Parlement (celui d'initer la loi) ?

Sylvie Goulard : Pas du tout. Le problème est celui de la légitimation démocratique des décisions qui suppose l'intervention d'un Parlement, mais pas d'entrer dans les schémas parlementaires classiques. Au niveau étatique par exemple, le Parlement est rarement à l'initiative des lois. Le gouvernement la contrôle ou les parlementaires de la majorité en accord avec le gouvernement déposent des lois, de la même manière que la Commission écoute les rapports d'initiatives du Parlement.

La vraie difficulté réside au sein du Conseil européen. Cette instance agit comme une instance européenne mais regroupe les autorités suprêmes étatiques avec lesquelles le Parlement européen n'entretien pas un dialogue suffisant. Le Parlement dialogue et contrôle la Commission, mais pas le Conseil européen. Il nous faut légitimer les décisions à plusieurs niveaux, mais en ce moment le niveau national est malade. Si les choses vont mal en Europe, c'est parce que les Etats manquent d'engagement européen au niveau national.

Les Etats sont schizophrènes : d'un côté, ils avancent en pro européens sur la scène européenne, décident collectivement, mais s'assurent de l'indépendance étatique au niveau national. Par exemple, sur la question du Budget de la France, nombreux sont les ministres qui ont rappelé que la France était seule à décider, alors que juridiquement ce n'est plus vrai. Et je rappelle que cela, personne ne l'a imposé à la France, elle a pris ses engagement en signant les traités successifs, le pacte de croissance, etc. Ces décisons ont été prises collectivement. La pédagogie du collectif doit être entendue par les Français, et c'est la seule chose qui nous permet d'influer sur les décisions des autres, et de l'Allemagne en particulier. Jouer collectivement pour que tout le monde en profite, c'est notre seule chance.

Bruno Cautrès : Il semble indispensable d’accroître encore davantage les mécanismes de prise de parole et de contrôle démocratique des citoyens sur leur gouvernements nationaux et sur leur politique européenne ainsi que vis-à-vis de l’Union européenne elle-même. Il ne s’agit pas du rêve utopiste d’une démocratie "directe", mais il s’agit au contraire de réinventer les instruments de la démocratie représentative et d’introduire des éléments issus de toutes les réflexions sur la dimension plus participative de la démocratie. Ce chantier ne fait que débuter et ne se terminera que dans quelques décennies….

Propos recueillis parFranck Michel

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