Les investissements massifs des géants d’Internet dans la santé (et le contrôle de la vie) préparent-ils la nouvelle révolution industrielle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La santé, nouveau terrain de jeu des géants du numérique.
La santé, nouveau terrain de jeu des géants du numérique.
©Reuters

Les temps changent

Google, Apple et Facebook, spécialistes de la collecte de données, s'engagent désormais sur le terrain de la santé. Alors que ces deux derniers proposaient récemment de congeler les ovocytes de leurs employées pour remettre à plus tard leurs projets de grossesse, les géants du web ont mis en marche une nouvelle révolution industrielle.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Rafik Smati

Rafik Smati

Rafik Smati est Président du parti politique Objectif France. Entrepreneur, Il a publié  « French Paradise » (juin 2014), « Révolution Y : la génération qui va redessiner l'Europe » (2013),  « Eloge de la vitesse : la revanche de la génération texto » (2011),  « Vers un capitalisme féminin » (2010).

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Atlantico : Google et Apple investissent massivement le champs de la santé, de la génétique à la collecte de données. Une troisième révolution industrielle est-elle en marche ?

Rafik Smati : Les changements majeurs en économie ne sont jamais portés par des entreprises ou des acteurs du sytème concerné par le changement. Exemple, ce sont pas les major de la musique qui ont révolutionné la distribution de musique, c'est Apple qui est aujourd'hui devenu le premier distributeur mondial. Les révolutions sont impulsées par des acteurs périphériques. L'explication est simple, les acteurs du coeur d'un système sont paralysés par le conservatisme. Ils ont plus à perdre qu'à gagner, et en ce sens ont du mal à faire preuve d'innovation. 

Lire également dans Atlantico : Derrière la proposition de Facebook et Apple de congeler les ovocytes de leurs employées, une rationalisation barbare des choix de vie

Google n'est pas qu'un moteur de recherche. Son moteur économique repose dans une très large mesure sur les adwords, mais ce n'est plus que de l'alimentaire en quelque sorte. Le projet industriel poursuivi par les deux fondateurs de Google répond au pari fou de ces derniers de "tuer la mort". La stratégie de Google corp, c'est de combattre la mort, et pas seulement de développer leur moteur de recherche. Google investit aussi massivement dans le domaine de l'énergie, dans des centrales éoliennes et solaires aux Etat-Unis, mais aussi et surtout beaucoup dans la génétique, notamment avec la société 23andMe qui propose un séquençage de votre génome pour 99 dollars. Ainsi vous pouvez avoir un premier aperçu des maladies chroniques que vous pourriez développer. Potentiellement, évidemment.

La maîtrise du gène n'est pas acquise aujourd'hui, on peut identifier les gènes défaillants mais pas les réparer, mais ce n'est qu'une question de temps. Demain, pourquoi ne pas imaginer un refresh génétique.

Ils investissent dans beaucoup d'autres start-ups de nano et biotechnologies,bref les secteurs de l'intelligence artificielle et des sciences du cerveau au coeur de la nouvelle révolution industrielle qui est en germe.

Nous sommes, pour résumer, à l'aube d'une troisième révolution industrielle, caractérisée par une conjonction d'innovations dans des secteurs spécifiques : le numérique, les bio et nanotechnologies, l'intelligence artificielle, la robotique et les sciences du cerveau. Tous ces secteurs connaissent une rupture créatrice. Harvard démontre d'ailleurs que 47% des métiers d'aujourd'hui vont disparaître dans un futur proche. Les enjeux politiques et économiques que cela soulève sont passionnants. Il va falloir accompagner ce changement, l'épouser, alors qu'à première vue ce changement pourrait être considéré comme une menace.

Frédéric Fréry : C'est très clair chez Apple avec la sortie de l'Apple watch ou suite aux applications santé de la dernière version de l'Iphone. C'est un positionnement assumé.

C'est logique en même temps, puisque la matière première des géants d'Internet, ce sont les données sur les individus, leur santé, leur comportement, ce qu'ils mangent, boivent, etc. Cela a une valeur très importante sur le plan de la santé, mais également pour les organismes d'assurance, notamment aux Etat-Unis où des instituts privés (équivalent des mutuelles chez nous) ont créé des parcours de santé. Tout ce qui est susceptible de fournir des informations sur le comportement des individus, c'est une mine d'or. 

Ainsi, il est permis d'extraire des statistiques, voire des connaissances plus précises sur l'état de santé des populations. Amazon dispose de moins de données, si ce n'est ce qu'on achète. Google et Apple, c'est très différent, beaucoup plus complet. Apple est même sur le point de franchir un cap. Son Apple watch disposera de capteurs qui permettront de mesurer tout un tas de constantes vitales, mais aussi de les transformer pour mesurer le stress, etc. Le stockage de ces données nouvelles pourrait être un trésor de guerre. Reste à savoir comment évoluera la législation supposée encadrer le stockage et l'utilisation de ces données.

Google a par ailleurs un côté un peu étonnant sur l'obsession d'un de ses fondateurs à vaincre la mort, à laquelle se greffe l'ambition de deux créateurs. Mais cela n'est pas forcément orienté pro business, en tous les cas pour le moment. Ils financent leurs propres fantasmes, en quelque sorte.

A partir du moment où ils disposeront de suffisamment de données sur les individus et leur environnement, ils seront aptes à poser des diagnostics et rendront obsolète tout un pan de la santé, autour du diagnostic. Par exemple, Google est déjà apte à détecter les épidémies de santé avant même les organismes consacrés ou instituts de veilles sanitaires (car l'information prend du temps à remonter des hôpitaux ou des cabinets médicaux. Et tout cela en collectant simplement des données, sur les recherches effectuées par les internautes (sur les sirops pour la toux, les symptômes, etc.).

Les organismes de santé ou laboratoires pharmaceutiques doivent-ils réorienter leurs investissements pour épouser le changement ou sont-ils amenés à être intégrés à ces futurs mastodontes économiques ?

Rafik Smati : Les laboratoires de santé et pharmaceutiques ne seront pas ceux qui révolutionneront la génétique. C'est impossible. Ils sont encore penchés sur leurs études, et la découverte de nouvelles molécules. Mais c'est sans commune mesure avec ce dont il est question : transformer l'être humain pour le rendre éternel. C'est dans le cours de l'histoire.

Les bracelets connectés permettent déjà aujourd'hui de mesurer les constantes vitales, le sommeil, etc. Et nous n'en sommes qu'à un stade embryonnaire avec un nombre d'applications de santé qui vont être fabuleuses.

Dans l'année qui vient, le taux de glycémie en temps réel sera disponible.Dans 5 ans, ces outils-là seront capables de prévoir un infarctus avant même qu'il se produise. Ces innovations sont toutes portées par des acteurs à la périphérie du système.

Les cartes vont être redistribuées, la prévention va avoir un rôle de plus en plus important, et les bracelets connectés en sont le témoignage. forcément les diagnosticiens ou les laboratoires de santé ou pharmaceutiques en paieront le prix, mais c'est ainsi à chaque révolution industrielle. Jérémy Rifkin a théorisé ce que serait la troisième révolution industrielle au niveau énergétique. Il assure que l'énergie de demain ne sera plus centralisée, elle sera produite comme internet, partout. Chaque espace de territoire sera producteur d'énergie. Ils seront interconnectés. C'est très difficile pour EDF de se projetter dans un pareil avenir, alors qu'elle se pose la question du nucléaire, de la gestion des déchêts, etc.

Bref, cette révolution ne peut être portée que par de nouveaux acteurs qui ne subissent pas les problématiques présentes du secteur. Et Google encore une fois en fait partie.

Les google glass sont un produit qui préfigure ce que pourrait être l'interconnexion des réseaux neuronaux entre individus. Cela ne peut fonctionner que grâce à Google et sa puissance en termes de data qui est exceptionnelle. Imaginez des lunettes Sanofi, sans le big data de google, c'est un non sens.

Les géants d'Internet ont pris un temps d'avance énorme et disposent de fonds de réserve hors norme, plusieurs centaines de milliards de dollars pour Apple. Les laboratoires ne peuvent plus créer l'écosystème. Le mieux qu'ils puissent faire, c'est s'intégrer à des écosystèmes existants, et donc s'inféoder à eux. La santé de demain, ce ne sont pas les médicaments, mais le gène. Le changement de paradigme est gigantesque.

Frédéric Fréry : Une fois les données collectées, il est permis de passer outre certains organismes médicaux ou de santé, et répondre aux besoins médicaux des gens avant même que le diagnostic médical n'ait été posé. Wall Mart a également pris un temps d'avance sur le gouvernement américain après Katrina. Il était en capacité de répondre à la demande des produits de première nécessité.

Les industries pharmaceutiques ne sont pas directement visés puisqu'elles produisent les traitements et que dans tous les cas, en bout de chaîne, il faudra fabriquer et vendre le médicament. La révolution industrielle porte en revanche sur la compréhension du phénomène, son diagnotic et son anticipation. Et là, les géants d'Internet seront présents. Les compagnies d'Assurance aux Etats-Unis seront concurrentielles également. Après, sur l'aspect investissement dans la génétique, cela reste de la science fiction, en ne perdant pas de vue que l'un des fondateurs souffre d'une maladie génétique. Il met toute la puissance de feu de son entreprise dans son obsession.

Le message d'Apple est plus clair dans son positionnement : à la fois dans le paiement et la santé côté assurance, prévoyance et catégorisation des risques de santé présentés par les individus.

L'idée est de disposer de suffisamment de données, pour ne plus se poser la question du pourquoi, mais seulement du quoi. Si le Big data doit être résumé, c'est cela, on ne se pose plus les questions des causes, mais on identifie les évènements. Le succès de la montre d'Apple sera un premier test, et il n'est pas certain qu'elle plaise puisqu'elle est très orientée santé et certains se refuseront peut-être à être surveillés en permanence. 

Il y a deux choses sur lesquelles Apple était absent : les paiements et la santé, c'est désormais chose engagée.

Le passage du chimique au génétique a déjà été engagé par les laboratoires pharmaceutiques, donc la mue a déjà été opérée. Place au Big data et au diagnostic.

La France qui souffre d'une réglementation lourde en termes de protection des données individuelles peut-elle tirer son épingle du jeu ?

Frédéric Fréry : La pression de la CNIL en France, du respect des données individuelles limite très fortement l'épidémiologie. Il est en effet de plus en plus difficile de compiler des données. C'est d'autant plus difficile que des entreprises privées qui sont des émanations d'actionnaires et non d'organismes de la santé sont aptes à regrouper un nombre incroyablement plus volumineux de données.

Le minerai du 21eme siècle c'est le data, et la France fait tout ce qu'elle peut pour être la plus pauvre en la matière. C'est terrifiant. Sous des dehors de transparence et de libertés individuelles et de protections dela vie privée, la France se prive de données qui sont capturées par des entreprises étrangères, sur la santé qui plus est. Nos contraintes légales ne devraient pas empêcher nos scientifiques de travailler. 

Ethiques, philosophiques, politiques, démographiques, etc. Les problèmes et efferts pervers qui risquent de se poser sont nombreux...

Rafik Smati : Le rôle de l'Etat et de la politique seront d'accompagner le changement, de l'épouser ensuite, pas de le réfréner au nom du principe de prévention ou de précaution. De toute façon, le progrès est en marche, il est inéluctable. Il faut un encadrement plus qu'un ralentissement.

La puissance publique ne doit pas avoir de train de retard par rapport à la mutation sociale. Elle doit se remettre en phase, encourager le changement pour renouer avec la croissance. C'est une chance pour les puissances publiques, pas seulement une potentielle menace. La démocratie pourra toujours opérer comme le rempart aux dérives qui ne manqueront pas de survenir.

Propos recueillis par Franck Michel

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