La nomination des commissaires européens en cours de validation : le dessous des cartes d’une opération politique complexe<!-- --> | Atlantico.fr
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Validation des commissaires européens : le dessous des cartes.
Validation des commissaires européens : le dessous des cartes.
©Reuters

En sous-main

Les auditions des commissaires européens devant les parlementaires viennent de se terminer et Pierre Moscovici n'est pas le seul à avoir été chahuté. Un grand oral dont l'importance plus grande qu'il n'y parait.

François Beaudonnet

François Beaudonnet

Après avoir été en poste à Bruxelles, François Beaudonnet est désormais correspondant à Rome pour France 2. 

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Atlantico : Alors que les auditions des futurs commissaires européens devant les parlementaires européens viennent de se terminer, en quoi consiste ce rituel de passage qui est le processus de validation ? Comment se déroule-t-il ?

François Beaudonnet : Chaque commissaire européen n'est pas entendu par l’ensemble du Parlement mais par les députés concernés par le secteur d’activité que va traiter le commissaire. Par exemple, pour Moscovici, il s'agissait des députés qui traitent d’économie. Ça dure trois heures et ils sont soumis à un certain nombre de questions, plusieurs dizaines. Elles leur sont envoyées à l’avance, pour qu’ils puissent les préparer. Ils donnent d’abord des réponses écrites, et après se joue le jeu de l’audition. C’est un grand oral.

Les commissaires européens sont choisis par les gouvernements. L’idée de ces auditions, c’est de faire un filtre et d’éviter que le copinage national envoie à Bruxelles des gens qui n’ont rien à y faire. Des gens pas compétents, des gens avec des conflits d’intérêt – comme on le voit avec Canete, qui avait des actions dans des compagnies pétrolières et se retrouverait commissaire à l’énergie. L’idée est donc de faire un tamis et éventuellement écarter certains commissaires.

Démocratiquement, c’est un bon exercice qui n’existe nulle part en Europe au niveau national. En France, par exemple, les ministres ne passent pas devant le Parlement. Et après, on découvre des Thévenoud… Là, ces auditions ont pour but de vérifier les compétences, le côté européen, les problèmes personnels (conflits d’intérêts, propos polémiques, etc.).

Par ailleurs, ces auditions sont menées par des élus, alors que les commissaires européens ne sont élus par personne. Le Parlement est la seule institution européenne issue d’une élection, sur le papier ces auditions sont donc une très belle chose.

Plusieurs auditions ont été mouvementées comme celle du commissaire européen Gunther Oettinger, candidat au poste de l’Economie numérique, celle de Lord Hill, pressenti pour le maroquin des services financiers, celle de l’espagnol Miguel Arias Canete, promis pour l’énergie et le climat ou encore celle de Pierre Moscovici, candidat au poste de commissaire européen à l’économie. Comment expliquer que ces auditions se soient révélées compliquées pour eux ?

La première des raisons, c’est que Jean-Claude Juncker a choisi la méthode du contre-emploi. Il a mis un Britannique aux marchés financiers, un Français au déficit, un Grec à l’immigration, etc. Pour Oettinger, c’est moins étonnant car le numérique est important pour l’Allemagne, mais le problème c’est qu’il n’y connait rien au sujet, ce qui est un peu gênant.

Forcément, cette méthode du contre-emploi crée des tensions. Pour Moscovici, il est évident – même sans considération politique – qu’on peut se poser la question d’un Français à ce poste, car la France est le mauvais élève de l’Europe en matière budgétaire. C’est comme si le cancre de la classe passait du jour au lendemain sur l’estrade, derrière le bureau du professeur.

Une deuxième raison qui explique ces difficultés, c’est que le Parlement européen ne maîtrise pas très bien cette technique des auditions. Il y a une bataille entre les deux partis principaux, le PPE (les conservateurs) et le PSE (les sociaux-démocrates), qui se sont enfermés dans une logique « œil pour œil, dent pour dent » : « si tu me fais tomber Canete, je te fais tomber Moscovici ». C’est une mauvaise utilisation du système des auditions. Le Parlement se retrouve enfermée dans un truc dont on ne sait pas comment il va finir.

Effectivement, Alain Lamassoure a déclaré qu'il existe un « pacte de coalition » entre le PPE et les sociaux-démocrates et que si ces derniers le rompent, le PPE « demandera le scalp » de Pierre Moscovici...

J’ai longuement discuté avec Alain Lamassoure, qui a une position plus nuancée. Il m’a dit que si Canete tombait sur un problème de conflit d’intérêt, ça n’aurait rien à voir avec Moscovici. Il me disait qu’ils feraient tomber un commissaire socialiste s’ils étaient attaqués sur un choix politique. En l’occurrence, si Canete tombait sur un problème de conflit d’intérêt, ça ne serait pas la même chose.

Maintenant, on a le sentiment que certains se sont lâchés. La question de la légitimité d’un Pierre Moscovici se pose, parce qu’il est est Français, ancien ministre de l’économie. Ce n’est pas le bon choix, c’est clair. Mais il y a eu aussi un peu de French bashing. C’est un peu étonnant d’ailleurs, car au niveau européen, il y a généralement moins cet affrontement droite/gauche. Là, j’ai l’impression de vivre au niveau européen ce que nous Français vivons au niveau national.

La candidature de l’ancien ministre de l’Economie français peut-elle vraiment être retoquée ? Quels sont les autres candidats qui pourraient connaître le même titre de déconvenues ?

Si on me demandait de parier, je dirais non, le risque est quasi nul. Mais on n’est pas à l’abri de surprises de dernière minute.

Le Parlement pourrait peut-être dire que Pierre Moscovici est compétent, a l’esprit européen, l’a prouvé dans ses engagements précédents, qu’il a des qualités, mais que ça pose problème qu’il soit à ce poste. Il pourrait donc être le commissaire européen français, mais avec un autre portefeuille. Mais ça serait un gros bouleversement, car ça entraînerait un jeu de chaises musicales.

Je pense, mais je peux me tromper, qu’on apprendra la semaine prochaine que tout « rentre dans l’ordre ». Peut-être que ça ne marchera pas pour Canete, mais je pense que Moscovici sera confirmé.

Quels risques Jean-Claude Juncker prendrait-il à passer outre un avis très défavorable du Parlement sur un candidat ?

Ce n’est pas possible. Si le Parlement lui écrit que Pierre Moscovici ne peut pas garder ce poste, Jean-Claude Juncker ne peut pas passer outre.

En fait, le Parlement se prononce sur l’ensemble de la Commission : il ne peut pas dire « lui on le veut bien, mais pas lui ». Ils doivent dire « on veut de la commission Juncker » ou non. Donc, s’il passe outre et garde Moscovici, c’est l’ensemble de sa commission qui sera retoquée. Il y a encore une étape le 22 octobre pour l’ensemble de la Commission devant le Parlement réuni en plénière. S’il ne tient pas compte de l’avis du Parlement, tout peut sauter.

Quels jeux politiques se trament en coulisses ? Jean-Claude Juncker les a-t-il pris en compte dans ses calculs ?

Je ne sais pas s’il pensait que ça allait se passer comme cela. Certains disent qu’il y a un côté machiavélique dans ses choix, que ça l’arrangerait bien que certains de ses commissaires soient désavoués par le Parlement pour qu’il puisse dire « ce n’est pas de ma faute ». Pour Moscovici, certains pensent qu’il a été donné en victime sacrificielle au Parlement, et tant pis pour la France.

Ce n’est pas une thèse farfelue, car la France voulait absolument ce poste, et ça ne lui a pas facilité la tâche.

Il faut savoir aussi qu’il suit cela de très près et qu’il a des discussions avec le Parlement, et argumente. Il n’attend pas simplement que le verdict.

Sait-on comment il a fait ses choix ? Voulait-il avoir un équilibre entre les pays, les partis ?

Il a présenté une commission européenne organisée tout à fait différemment par rapport à avant. Il y a maintenant sept vice-présidents, qu’il n’y avait pas avant. Il a voulu l’organiser ainsi pour éviter des décisions parrallèles et parfois contradictoires. Sous Barroso, la commission manquait de collégialité : des décisions se prenaient dans un domaine et étaient tout à fait contradictoires avec ce qui se prenait dans un autre.

Là, il a voulu plus de collégialité et a réorganisé différemment sa commission, en mettant les grands pays (France, Allemagne) à des postes clefs, mais sous la responsabilité de vice-présidents qui viennent en général de petits pays (par exemple, les Pays-Bas). On peut l’analyser en disant que c’est une bonne gestion de chef d’entreprise, ou bien se dire que c’est « diviser pour mieux régner ». La réalité est peut-être entre les deux : il y intérêt à ce que sa commission fonctionne. J’ai compris qu’il voulait une commission plus politique. Aujourd’hui, Barroso est partout, tout le temps. J’ai cru comprendre que par le biais des vice-présidents, qui vont le remplacer dans beaucoup d’interventions, la parole de Juncker sera plus rare et peut-être plus forte que l’était celle de son prédecesseur.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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