La naissance d’une étoile : Narendra Modi, le porte-voix des pauvres qui s’était affranchi du gauchisme <!-- --> | Atlantico.fr
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Narendra Modi.
Narendra Modi.
©Reuters

Les Misérables

Le Premier ministre de l'Inde Narendra Modi élu en mai dernier défend des positions favorables aux classes les plus pauvres de son pays, comme Lula en son temps pour le Brésil.

Lucas Léger

Lucas Léger

Lucas Léger est chargé de mission à l'IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscales. Il a notamment beaucoup travaillé sur la fiscalité verte, ainsi que les emplois verts.

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Atlantico : L'ascension de Narendra Modi au sommet de la politique indienne a eu lieu en mai, lors de sa victoire écrasante et de son accession au poste de Premier ministre du pays. Il a notamment défendu des positions favorables aux classes indiennes les plus pauvres. Est-il pour autant un véritable chef de file dans la lutte contre la pauvreté, comme Lula en son temps pour le Brésil ?

Lucas Léger : Il est difficile d’anticiper les résultats de son parti après seulement un peu plus de cent jours au pouvoir. Néanmoins, son discours se démarquait déjà de ses concurrents lors de la campagne, qu’il a largement gagnée. Son manifeste présageait déjà d’un programme axé sur la lutte contre la pauvreté s’il était élu. Ainsi, "notre gouvernement sera un gouvernement représentant les plus démunis, les marginaux et les laissés pour compte. Chaque Indien a un droit sur tout ce que l’Inde possède comme richesses et ressources. Dès lors, chacun sera libre de rêver son avenir, pour que demain, il y ait autant de rêves que ce pays compte d’âmes. Nous ne nous contenterons pas de donner à chacun de nos concitoyens la possibilité de s’envisager un avenir, nous ferons en sorte que tous puissent enfin concrétiser leurs rêves. (…) La fin de l’extrême pauvreté et de la malnutrition seront les priorités de notre gouvernement."

Les similitudes avec Lula sont notables. Et ses premières actions depuis son accession au pouvoir semblent le confirmer. Modi a l’intention de renforcer le système de sécurité sociale, ce qui n’est pas sans rappeler le programme BolsaFamilia, lancé au Brésil. Pour réussir cette transition, Modi compte rationaliser les transferts sociaux et les subventions en s’appuyant sur des transferts financiers plutôt que des avantages en nature ou des prix administrés, qui ont par le passé fragilisé l’économie indienne et freiné son développement.

Cependant, le programme économique de Modi se démarque de celui de Lula, qui était beaucoup moins enclin à favoriser le développement du marché et de l’entreprise privée, ce qui avait déclenché l’ire des marchés financiers et la chute du Real peu après son élection. Dans son programme, Modi embrasse une certaine relance de l’économie par une politique de l’offre : discipline budgétaire, éloge de l’épargne et plus grande ouverture aux capitaux étrangers. Il a par ailleurs déjà lancé un vaste programme de modernisation de la fonction publique et vient d’abolir le commissariat au plan, vieille relique socialiste de l’ère Nehru. Cependant, bien que Lula fût longtemps opposé à la privatisation des entreprises nationales, cela ne l’a pas empêché, une fois élu, de libéraliser certains secteurs de l’économie brésilienne. Il faudra donc voir ce que propose concrètement Modi.

Au Madison square garden de New York, il a pourtant défendu des thématiques comme la diffusion de la démocratie, la lutte contre le terrorisme, la protection de l'environnement, et en encourageant les aspirations des peuples et pas seulement en Inde, mais partout dans le monde... 

Il s’agit en grande partie de rhétorique et ce n’est pas la première fois que Modi fait des propositions populistes. Sa réforme PradhanMantri Jan DhanYojana, consistant à ouvrir un compte bancaire aux plus démunis en est la preuve. Si l’accès aux services bancaires est fondamental dans une économie moderne, il ne suffit de parader devant les caméras et déclarer que tous ont désormais un compte (et ce qui est aujourd’hui encore loin d’être le cas) pour transformer l’économie indienne en un paradis de la microfinance et de l’entreprenariat.

En réalité, les grands chantiers sont devant lui et il va falloir qu’il prouve qu’il est capable de les mener à bien s’il veut avoir une quelconque influence internationale. Le Brésil avait certes des défis économiques et sociaux à relever, mais les problèmes internes ne semblent pas aussi nombreux qu’en Inde : une croissance économique en berne qui ne permet pas de créer suffisamment d’emplois, un manque flagrant d’infrastructures, un système éducatif qui ralentit la mobilité sociale, la condition des femmes qui est désastreuse, des conflits récurrents entre minorités, et surtout une corruption installée qui nuit au bon fonctionnement de la démocratie et de l’état de droit. Sur ce dernier point, les hommes politiques et représentants officiels du précédent gouvernement ont reconnus avoir reçu des pots-de-vin de l’ordre de 4 à 12 milliards de dollars sur une décennie. Les mauvais scores de l’Inde dans les différents classements internationaux (comme Doing Business ou Worldwide Governance Index) sont là pour le rappeler.

Peut-il jouir d'une aura internationale, encore une fois au même titre que Lula ? Et porter les intérêts des pays non occidentaux souvent ignorés ?

Il s’agit pour Modi de régler les problèmes internes avant de pouvoir prétendre aux honneurs de la communauté internationale. S’il a un assez bon bilan et une certaine aura dans la province qu’il a dirigée, répliquer les politiques qu’il a menées à l’échelle de l’Inde est une autre affaire. Pour ce faire, il faudra que Modi modère ses élans nationalistes et fasse preuve d’ouverture, notamment vis-à-vis de la communauté musulmane. Les émeutes de 2002 dans la province du Gujarat, lorsqu’il en était le gouverneur, avait fait plus de 1 000 morts. Cela ne plaide pas en sa faveur, alors même que les tensions entre musulmans et hindis sont toujours aussi présentes. En outre, la complexité et le manque d’unité de l’Inde ne lui rendront pas la tâche facile.

Il a d'ailleurs été très critique à l'égard des pays occidentaux, " Des milliards vivent sur ​​le bord de la pauvreté et que voulez-vous ? Les pays à peine capables de survivre à une tempête économique mondiale ?", suggérant par là la nécessité d'une réforme du Conseil de sécurité de l'ONU. Sa critique a également porté sur la Chine et son économie. Sans être cartomancien, a-t-il les compétences économiques et le charisme politique pour faire du 21e siècle, le siècle indien (et non chinois) ?

La rupture avec la Chine est déjà ancienne. C’est bien pour marquer sa différence que l’Inde se targue d’être la "plus grande démocratie du monde", avec ses 1,25 milliards citoyens. Et les tensions entre les deux pays ont longtemps fait craindre un conflit. Néanmoins, sur le plan économique, la Chine a déjà une longueur d’avance. Sur le plan social, l’objectif du gouvernement précédent était de mettre en place une "société harmonieuse". Ainsi, Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao tentaient de préserver la paix sociale, notamment en augmentant les salaires et en instaurant une sécurité sociale. Par ailleurs, la transition vers une société urbaine a déjà eu lieu en Chine. Le régime chinois et sa politique sociale ne peuvent bien évidemment pas être érigés en exemple, mais en comparaison avec l’Inde, la Chine a également opéré un tournant, mené tambour battant par son régime autoritaire.

Par ailleurs, le style autoritaire de Modi et sa tendance à centraliser le pouvoir, malgré son appel à la coalition au lendemain de son élection, le rapproche plus du style chinois que du démocrate. Il devra s’écarter de cet atavisme s’il veut réunir les peuples des pays en développement autour de lui. Un miracle économique et démocratique ne s’improvise pas.

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