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Quand le rapporteur public du Conseil d’Etat tombe de sa chaise en découvrant la nature quasi pornographique du site anti-homophobie promu par l’Education nationale
©Reuters

Heure de colle

Après la polémique de l'association agrémentée par l'Education Nationale SOS Homophobie, place au scandale de Ligne Azur qui continue à faire la tournée des écoles même après une campagne polémique à caractère presque pornographique. Ces faits posent la question de la légitimité de l'intervention à l'école des associations militantes.

Henri de Beauregard

Henri de Beauregard

Henri de Beauregard est avocat au barreau de Paris, agréé près la Cour Pénale Internationale.

Titulaire d’une maîtrise en droit public, et diplômé d’études supérieures en sciences politiques. Il conseille de plusieurs syndicats professionnels (Syndication National des Discothèques et Lieux de loisirs, APIIH…), il assiste aussi de nombreuses associations (Equipes d’Action contre le Proxénétisme, Associations familiales…), des élus (locaux et nationaux), et de nombreux chefs d’entreprises. Il est intervenu dans plusieurs dossiers à fort retentissement.  

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Atlantico : Mercredi 24 septembre, le rapporteur du Conseil d'Etat a épinglé l'Education nationale estimant que celle-ci avait fait preuve de légèreté en incitant à relayer la campagne du site anti-homophobie Ligne Azur. Le rapporteur a jugé certains contenus "pour le moins critiquables", et qui allaient à l'encontre des "principes de neutralité de l'école et de la liberté de conscience". Donnant ainsi raison à la confédération nationale des associations familiales catholiques qui avait déposé un recours devant le Conseil d'Etat. Que dire de l'avis du rapporteur au regard des faits reprochés à l'Education nationale ?

Henri De Beauregard : Je me réjouis qu'il s'associe aux moyens que nous avons développés. Dans le langage administratif et feutré du Conseil d'Etat, conclure, comme il l’a fait, que l'on « peut s'interroger sur la légèreté du ministre qui a recommandé ce site auprès de jeunes de 11 ans », c’est une critique assez sévère. Les principes de neutralité et de liberté de conscience des élèves et professeurs sont des principes cardinaux dans l'Education Nationale. Ils ont une vocation atemporelle. Il est rassurant d’entendre qu’ils doivent l’emportent sur l’idéologie d’un moment. Dans le futur, il y aura peut-être d'autres majorités. Si elles veulent faire entrer d'autres idéologues à l'école, ce sera tout aussi critiquable. L'idéologie ne doit pas avoir droit de cité à l’école.

Si le Conseil d'Etat suit l'avis du rapporteur, quelles pourraient être les conséquences d'une telle décision ? L'association pourrait-elle continuer à intervenir en milieu scolaire ?

La crainte serait que le ministère reproduise le schéma de l'affaire SOS Homophobie :il y a deux ans, la même confédération nationale avait agi pour faire annuler l'agrément que l'Education nationale avait donné à SOS Homophobie. Le tribunal administratif de Paris avait annulé cet agrément sur le principe de la liberté de conscience et de l'atteinte à la neutralité et laïcité du service public. En effet, le matériel pédagogique de SOS Homophobie comportait des éléments qui rendaient la religion responsable de l'homophobie ou du mal-être des homosexuels. Une semaine après cette décision du tribunal de Paris, Vincent Peillon a fait un communiqué pour déclarer qu'en dépit de la décision de justice, il avait toute confiance en l'association, qu’elle corrigerait deux ou trois éléments dans son matériel pédagogique, et qu’il redonnerait l'agrément, ce qu’il a fait. On a corrigé la façade, mais j’ai la faiblesse de penser que le contenu des interventions, lui, est resté inchangé. Pire, depuis lors, l’association a cessé de publier ses supports pédagogiques en ligne, de sorte que les associations familiales ou de parents, qui ne peuvent être dans chaque classe, n’ont plus aucun moyen de contrôler ce qui se dit pendant ces interventions. Bien-sûr, ces associations affichent souvent des chartes pleines de bonnes intentions proclamant leur attachement pour la neutralité, mais il ne suffit pas de le dire pour l’être… Quand on démontre au ministère que ces associations sont des associations militantes, il est répondu qu’elles séparent leur action politique de leurs interventions scolaires : rassurez-vous, braves gens, ces personnes sont militantes la nuit mais le jour, avec vos enfants, elles sont parfaitement neutres.. Qui peut croire une pareille fable ?

Pour Ligne Azur, il ne faudrait pas que le scénario soit le même : corriger deux ou trois éléments de façade et recommencer à promouvoir ou à faire intervenir cette association dans les écoles.

Cette décision est la deuxième du même genre. Sur 4 associations agréées par le Ministère, 2 ont vu leur matériel soumis à la justice et nous allons vers 2 annulations. Ces annulations ne font pas « devenir » neutres des associations qui ne le sont pas. A travers elles, c’est donc bien la question de l'opportunité même de l’intervention d’associations militantes dans le temps scolaire, sur des sujets sociétaux, ou sur ce que les enfants ont de plus intime, qui est posée.

Les parents de France veulent-ils que leurs enfants, à 11 ans, se voient expliquer par un militant, contre toute réalité biologique, que les homosexuels peuvent avoir des enfants ou qu’ils soient instruits de ce qu’est le tribadisme ? Acceptent-ils que leurs enfants soient incités à aller voir des pages internet qui vantent la sexualité de groupe, expliquent comment une lesbienne peut s’inséminer de manière artisanale ou proposent des petits mots croisés à base de bondage, de laisse, de plug…

J'ai la faiblesse de penser que ceux qui ne jugeaient pas choquant de tenir ce type de discours aux enfants avant la décision du Conseil d'Etat ne le jugeront pas davantage après… Il faut donc s’interroger, au-delà de tel ou tel contenu sur l’opportunité de ces interventions et sur les associations en qui l’Education Nationale place sa confiance…

Ligne Azur a reçu l'agrément de l'Education Nationale en 2009. Ce site est relayé auprès des établissements scolaires et en 2013, une circulaire de Vincent Peillon incitait à relayer la campagne de ce site. Comment un site publiant des articles contraire aux principes de neutralité de l'école et de liberté de conscience a-t-il pu recevoir l'agrément de l'Education Nationale ?

Il faut reprendre les éléments de l'affaire. On dit que Ligne Azur est recommandée depuis 2009, c'est en partie vrai. Messieurs Darcos et Chatel avaient déjà suggéré en début d'année aux recteurs de relayer la campagne de communication de la ligne Azur. Cependant, pour ma part, je ne sais pas quel était le contenu de la campagne et du site entre 2009 à 2012. Même si, je l’ai dit, c’est le principe même de ces interventions qui doit être questionné, il m’est difficile de dire si la ligne Azur incluait les mêmes dérives ou non. De surcroit, les lettres envoyées par MM DARCOS et CHATEL étaient moins directives. Là, la lettre de Vincent Peillon est très ferme, il incite à relayer avec une « la plus grande énergie » la campagne de Ligne Azur. Cette demande était rédigée au présent de l'indicatif, ce qui, dans le langage administratif traduit une obligation. Quant aux raisons qui ont guidé ces décisions, je pense que Messieurs Darcos et Chatel ont acheté une forme de "paix" envers un lobby qui les pressaient, car il lorgne depuis longtemps sur l’école. Ils ont probablement voulu donner des gages pour être tranquilles et ne pas être taxé d’homophobie. La menace d’être ainsi taxé est une arme redoutable… Je suppose aussi que les Ministres ne s’étaient pas plongés personnellement dans le contenu des sites…

Mais aujourd'hui, dans le cas de M. Peillon, c’est différent. La décision est parfaitement délibérée clairement idéologique. Elle a été prise en plein débat sur ces questions. Dans les suites immédiates de la décision consistant à relayer ce site dans les écoles, les Associations Familiales Catholiques ont écrit au Ministre pour l’alerter et ont rendu cette lettre publique. Tout ce que le rapporteur public a repris était dans cette lettre. C’est donc tout à fait consciemment que Monsieur Peillon a pris et maintenu cette décision. Pire, quelques mois plus tard, il a agréé l’association qui édite le site Ligne Azur comme « partenaire de l’éducation », lui permettant d’intervenir dans les collèges et Lycées. Le contentieux contre la décision de relayer la campagne était alors déjà devant le Conseil d’Etat et tout ce qui a été repris par le rapporteur public était dans le recours : incitation à des comportements contraires à la loi, promotion de l’échangisme, du sado-masochisme, discours politique en faveur de la PMA… Le ministre savait donc parfaitement tout cela, lorsqu’il a, délibérément, décidé d’agréer cette association.

A quel niveau le dysfonctionnement a-t-il eu lieu ?

A l'époque, Vincent Peillon avait voulu montrer les dents contre l’enseignement privé, qui pouvait devenir une poche de débat sur la loi relative au mariage et à l’adoption par les personnes de même sexe. C’est dans ce contexte qu’il a rédigé une lettre très ferme pour demander aux recteurs de surveiller la manière dont ces questions seraient évoquées dans les établissements privés sous contrat. Dans la foulée, pour renforcer son propos, il a incité à relayer la campagne Ligne Azur. C'était une forme de pied de nez, de provocation idéologique. Maintenant, il faut l’assumer. Chacun peut prendre la mesure du scandale. Un ministre de la République a demandé à voir promu auprès d’enfants de 11 ans un site qui présentait des infractions sous un jour favorable, vantait le sado-masochisme et la sexualité de groupe… Dans beaucoup de pays, cela susciterait un véritable scandale, une commission d’enquête…

L'association SOS homophobie avait déjà été épinglée pour des propos allant à l'encontre de la liberté de conscience et a portant conservé son agrément auprès de l'Education nationale. Que penser de la sélection des intervenants extérieurs en milieu en scolaire ?

SOS Homophobie, à ma connaissance, c’est quelques dizaines, peut-être centaines, de personnes et un budget constitué majoritairement de subventions, notamment de la mairie de Paris. La représentativité de cette association me parait faible, y compris dans la communauté homosexuelle, et il est assez surprenant que les pouvoirs publics lui prêtent une telle légitimité.

Pour intervenir devant des enfants, je pense qu’il faut des associations éprouvées, anciennes, représentatives, qui ont donné des gages, et disposent de suffisamment d’adhérents pour vivre d’elles-mêmes. La sélection ne peut pas se faire sur des critères idéologiques, sur l’intérêt électoral du ministre en place, ou sa crainte d’être taxé de telle ou telle phobie. On ne peut agréer des associations sans cautions pédagogiques, sans information sur le niveau de formation des intervenants...surtout si elles ont vocation à intervenir sur des sujets si intimes que la sexualité. Intervenir, devant des enfants, sur des sujets qui touchent à ce point à la construction de leur personnalité, doit être réservé à des professionnels formés, disposant de compétences minimales en psychologie. Il faut aussi que le discours tenu aux enfants soit rigoureux intellectuellement. Or là, sous prétexte de faire réfléchir les élèves, on court-circuite leur réflexion, en surjouant sur l’affect. Ainsi l’intervention est souvent constituée de petits scénarios pour mettre les élèves en situation. Le problème est que ces histoires sont totalement manichéennes et qu’elles font appel à l’affect, du genre :" Ton meilleur ami a sa maman qu'il aime beaucoup et elle aussi. Tu découvres que sa maman vit avec une femme. Est-ce que tu penses qu’elle ne devrait pas avoir le droit d’être sa maman? » ou « Ton meilleur ami annonce qu'il est homosexuel, il se fait frapper par trois méchants qui sortent de la messe. Qu'en penses-tu ? ». Je caricature, bien sûr, on n’est parfois pas si loin. En jouant ainsi sur l’affect, sur l’émotivité, on ne suscite ni débat ni réflexion, on les empêche.

Comment se prémunir de ce genre dérives sans pour autant priver les enfants des potentiels apports d'intervenants extérieurs ?  

Il faut bannir tout ce qui est de l'ordre de l'idéologie, du débat politique. Ca vaut pour la PMA comme pour le droit de vote des étrangers, le gaz de schiste ou l’euthanasie.
Faire intervenir la Croix Rouge pour donner des cours de secourisme ne pose aucun problème. Dans la liste des associations agréées, un grand nombre d'entre elles ne sont pas polémiques et sont très instructives. C’était d’ailleurs pour des associations de ce type que l’agrément avait été conçu. A partir du moment où il s’agit de débats de polémique politiques, cela doit être exclu de l'école. Pour une raison simple, c’est que l’on risque de rompre le lien de confiance indispensable entre les parents et l’école.
Il faut aussi fixer des critères de sélection plus sérieux comme le nombre d'adhérents, les projets éducatifs, leur mode de fonctionnement, les études publiées...

Quant au contenu, la règle devrait être : l’information, oui, la conviction, non. Que l’on envoie des juges ou des policiers pour expliquer aux élèves qu'injurier une personne c’est une infraction et qu’il existe une circonstance aggravante liée à l’homosexualité de la victime, bien-sur ! Que des professionnels, juristes ou avocats, viennent à l’occasion des cours d’éducation civique informer sur le dispositif légal, sur ce que c’est que de vivre ensemble, sur l’égale dignité de tous les êtres humains, et l’indispensable respect des minorités, Oui, cent fois oui ! Mais on ne doit pas tenir de discours « proactif », c’est-à-dire parler aux enfants en les considérant, non pour ce qu’ils sont au moment T, mais pour les électeurs qu’ils deviendront. Vincent Peillon a dit vouloir utiliser l’école pour changer les mentalités. C’est là qu’intervient le problème. L’école, ça ne sert pas à cela. L’école, ça sert à apprendre et à grandir afin que, grands, les citoyens puissent former leur propre jugement. Ca ne sert pas à se faire inculquer à toute force les convictions idéologiques du moment, ou à tenir des discours sociétaux dans le dos voire au mépris des parents.

On prête à Jules Ferry, le mot suivant, adressé aux enseignants : Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire.

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