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Sucre : la méthode secrète des industriels pour créer l’envie chez le consommateur
©Flickr

Bonnes feuilles

L’Américain Michael Moss, prix Pulitzer 2010 et journaliste d’investigation au New York Times, nous livre une enquête explosive sur la nourriture industrielle et ses corrélations avec l’accroissement de l’obésité. Extrait de "Sucre sel et matières grasses", publié chez Calmann-Levy (2/2).

Michael Moss

Michael Moss

Michael Moss, a été journaliste au Wall Street Journal et au New York Newsday. Depuis 2000, il est journaliste d’investigation pour le New York Times et a été récompensé par un Prix Pulitzer en 2010 pour son enquête sur les dangers de la viande contaminée.

 

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Howard Moskowitz ne s’occupe cependant pas du packaging et des campagnes de pub de ses gros clients, il joue avec la triade magique du sel, du sucre et des matières grasses. Depuis plus de trente ans, il contribue en coulisse à des sauvetages désespérés et transforme des chevaux boiteux en cracks. Campbell Soup, General Foods, Kraft et PepsiCo ont appelé Moskowitz à la rescousse quand leurs ventes chutaient ou que leurs rivaux prenaient de l’avance. Et son but dans chaque cas a été de trouver le point de félicité, cherchant la bonne quantité de chaque ingrédient pour générer l’envie la plus forte possible. Trop de ceci ou pas assez de cela ne risquent pas de gâcher le goût ou la texture d’un produit, mais les défauts se répercuteront sur les ventes, et le moindre dérapage peut mettre nombre d’employés au chômage. La spécialité de Moskowitz s’appelle l’optimisation, et il énumère ses exploits sans fausse modestie : « J’ai optimisé des soupes, des pizzas, des sauces salade et des cornichons. Dans ce domaine, je suis de ceux qui font la différence. »

Moskowitz s’y connaît en matières grasses, et il a récemment conseillé les industriels pour perfectionner leur utilisation du sel. Mais il n’est jamais meilleur que quand il travaille sur le sucre, ingrédient sans pareil pour attirer le consommateur. Il ne se contente pas d’inventer de nouveaux produits sucrés, il les conçoit grâce aux mathématiques dans un but précis : donner l’envie la plus irrésistible. « Les gens disent : “J’ai envie de chocolat”, m’expliqua-t-il, mais pourquoi a-t-on envie de chocolat ou de chips ? Et comment créer l’envie chez le consommateur ? »

Conceptuellement, sa technique est assez simple. Les produits alimentaires ont beaucoup d’attributs qui les rendent attractifs, parmi lesquels la couleur, l’odeur, le packaging et le goût. Dans le cadre de l’optimisation, les ingénieurs altèrent légèrement ces variables et produisent des dizaines et des dizaines de versions à peine différentes les unes des autres. Ce ne sont pas de nouveaux produits qu’ils cherchent à vendre, ceux-ci sont créés dans le seul but de trouver la variable la plus parfaite, grâce à des tests. Des consommateurs ordinaires sont payés pour passer des journées assis dans une pièce où ils touchent, sentent, boivent, touillent et goûtent. Leurs avis sont saisis dans un ordinateur, et c’est là que les connaissances de Moskowitz en matière de statistiques entrent en jeu. Les données sont triées selon une méthode nommée analyse conjointe qui détermine quelles caractéristiques d’un produit seront les plus séduisantes pour les consommateurs. Moskowitz se représente son ordinateur sous la forme de silos dans lesquels chaque attribut est stocké. Mais il ne s’agit pas seulement de comparer la couleur numéro 23 et la numéro 24. Dans les projets les plus complexes, la couleur numéro 23 est comparée au sirop 11 et à l’emballage 6, et ainsi de suite. Même dans des métiers où le seul sujet d’intérêt est le goût et où les variables sont limitées, l’ordinateur va recracher une infinité de graphiques et de courbes. « Je mélange les ingrédients grâce à cette méthode expérimentale. Les modèles mathématiques relient les ingrédients aux perceptions sensorielles qu’ils créent, je peux ainsi composer un nouveau produit selon une approche d’ingénieur. »

Après quatre mois d’analyse de variations potentielles chez Dr Pepper, Moskowitz et son équipe proposèrent leur nouveau goût. Le groupe, qui avait essayé de concurrencer Coca et Pepsi depuis des années, avait enfin trouvé le gros coup qu’il cherchait. Le soda au goût de cerise et de vanille (d’où le nom Cherry Vanilla Dr Pepper) sortit en magasin en 2004. Le succès fut tel que la maison mère, Cadbury Schweppes, ne put s’empêcher de vendre la marque en 2008, avec les jus Snapple et 7-Up. Le Dr Pepper Snapple Group a depuis été estimé à 11 milliards de dollars, un chiffre auquel les travaux de Moskowitz ne sont pas étrangers.

Ce projet était extraordinaire à un autre point de vue. L’entreprise ne cherchait pas à attirer de nouveaux consommateurs mais à faire en sorte que ses clients achètent son produit en plus grande quantité, qu’il s’agisse du goût original ou du Cherry Vanilla. Ainsi, la campagne menée par l’équipe de Moskowitz avait pour cible le coeur des fans de cette boisson. Ils proposèrent soixante et une formules, faisant chaque fois varier légèrement la concentration en sucre et recrutèrent des volontaires dans tout le pays pour une série de 3 904 tests. Quand ce fut fait, Moskowitz lança ses opérations, cherchant ce que l’agroalimentaire aime par-dessus tout, l’élément décisif de la pulsion alimentaire : le point de félicité.

Extrait de "Sucre sel et matières grasses", de Michael Moss, publié chez Calmann-Levy, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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