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Les syndicats français enterrent lentement le dialogue social d’entreprise.
Les syndicats français enterrent lentement le dialogue social d’entreprise.
©Reuters

Décisions unilatérales

Une récente étude mise à jour par la DARES laisse entrevoir une légère amélioration du dialogue social, à travers un taux de négociation plus important en 2010 qu'en 2004. Un regard plus attentif porté notamment sur les entreprises de moins de 50 salariés et les accords de branche voulus par les représentants des salariés n'amènent cependant pas à la même conclusion.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Au moment où les partenaires sociaux ouvrent une négociation sur la modernisation du dialogue social, qui débouchera sans doute sur "l’assouplissement" des seuils sociaux, la DARES met à jour son intéressante étude sur le dialogue social d’entreprise. On ne saurait trop en recommander la lecture, puisqu’elle jette les bases de quelques comparaisons entre la situation de 2004 et celle de 2010. Entre ces deux dates, la crise économique a frappé. Il ne s’agit probablement pas du seul déterminant qui explique le lent recul du dialogue social d’entreprise, mais il est plausible qu’il ait joué un rôle important dans des évolutions qui posent question.

Des apparences trompeuses

Constat n°1 à l’issue de cette étude: le taux de négociation a légèrement augmenté entre 2004 et 2010 dans les établissements de plus de 20 salariés. Mais cette tendance générale cache de vraies disparités:

Le tableau montre que 70% des salariés (dans les + 20, et 66% dans les moins de 20) sont en 2010 couverts par une négociation salariale (ce qui ne signifie pas un accord). Ils étaient seulement 68% en 2004. L’évolution est donc positive.

Si l’on regarde plus finement les résultats par taille, on s’aperçoit que la tendance s’est inversée dans les entreprises de moins de 50 salariés, qui sont passées d’un taux de couverture de 38% à un taux de 34% seulement. Ce chiffre n’est évidemment pas bon, et il permet de mesurer l’impact de la crise sur les PME: le dialogue social s’y est tendu, parfois rompu, sous l’effet des difficultés nouvelles.

Cette rupture mérite qu’on s’y arrête. Quand les partenaires sociaux discuteront seuils sociaux et représentation dans les PME et les TPE, c’est sur cette toile de fond que les discussions auront lieu, et c’est ce sujet-là qui devra être évoqué.

Le dialogue social de branche, un obstacle

Formellement, les raisons données par les employeurs pour contourner la négociation salariale d’entreprise sont assez intéressantes à décomposer.

Dans tous les cas de figure, l’invocation d’un accord de branche pour expliquer l’absence de négociation d’entreprise a progressé entre 2004 et 2010. Ce point est inquiétant: les seules négociations de branche qui existent portent sur les rémunérations minimales. Lorsqu’un entreprise invoque le dialogue de branche pour ne plus discuter des salaires dans l’entreprise, cela signifie donc que l’employeur renonce à toute augmentation salariale collective en dehors du minimum syndical (au sens propre du terme). On tient là l’une des raisons de la déflation: les salaires n’augmentent plus.

On remarquera toutefois que ce motif est beaucoup plus utilisé lorsque l’entreprise compte un délégué syndical que lorsqu’elle n’en compte pas. Là aussi, le signe des temps est fort. Désormais, 54% des entreprises qui comptent un délégué syndical et qui ne négocient pas les salaires utilisent le prétexte de l’accord de branche pour ne plus négocier en interne. On retrouve ici la vieille idée selon laquelle l’entreprise est un lieu de conflictualité et la branche un lieu de rapprochement, qui a justifié pendant des décennies le retard français en matière de dialogue social d’entreprise.

L’étude de la DARES donne toutefois une raison de ne pas désespérer: que l’entreprise dispose ou pas d’un délégué syndical, les employeurs sont de moins en moins nombreux (et dans des proportions identiques qu’il y ait un délégué syndical ou pas) à assumer une décision unilatérale de ne pas négocier. Ils ne sont pas plus du tiers à agir de cette façon.

Qu’en pensent les salariés ?

A l’appui de ces analyses, la DARES compare de façon tout à fait intéressante la perception de cette réalité par les employeurs et par les salariés.

Globalement, les résultats diffèrent dans une proportion de 33% selon le point de vue de l’interviewé. 30% seulement des employeurs interrogés considèrent que l’absence de négociation tient à une décision unilatérale de leur part, mais 42% des représentants du personnel attribuent l’absence de négociation à cette raison.

On manque ici malheureusement d’un outil plus précis pour mesurer la différence de perception entre salariés et employeurs sur la gouvernance globale de l’entreprise. Il est en tout cas acquis que la part de la décision unilatérale de l’employeur est un objet vécu de façon beaucoup plus autoritaire de la part des salariés que de la part de l’employeur…

La montée des décisions unilatérales

La DARES complète son analyse par un bilan des négociations.

Entre 2004 et 2010, la part des décisions unilatérales de l’employeur a gagné environ 10 points, pendant que les accords unanimes devenaient minoritaires. Cette évolution montre "en creux" l’évolution de la conflictualité dans les entreprises. Près de la moitié d’entre elles continuent à pratiquer un dialogue social de qualité. Dans l’autre moitié, en revanche, la recherche du consensus est en forte diminution, et la décision unilatérale devient un réflexe de plus en plus fréquent.

Dialogue social d’entreprise et compétitivité

Il manque à ces statistiques un lien entre les résultats financiers et économiques de l’entreprise et ses pratiques sociales. Il serait intéressant de voir s’il existe une corrélation entre les deux phénomènes, et spécialement une corrélation directe entre compétitivité et dialogue social. Il est évidemment tentant de soutenir que les entreprises qui pratiquent le dialogue social y trouvent un gain de compétitivité fort. Malheureusement, aucune donnée en l’état n’étaie ce point de vue.

La seule conclusion possible à ce stade est d’ordre macro-économique: le recul effectif du dialogue social intervient dans un contexte de crise économique et de problèmes de compétitivité pour les entreprises françaises. Reste à savoir si le réflexe de la décision unilatérale procède de la réaction face à la crise, ou s’il en est une cause…

Article initialement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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