Marine Le Pen se dit prête à gouverner... mais un seul Français sur trois la pense capable de réformer le pays<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Seul un Français sur trois pense que Marine Le Pen est capable de réformer le pays
Seul un Français sur trois pense que Marine Le Pen est capable de réformer le pays
©REUTERS/Philippe Wojazer

Constante augmentation

Près de quatre Français sur dix se disent d'accord avec les idées de Marine Le Pen, 39% sont très souvent d'accord avec ses prises de positions, selon un sondage exclusif CSA pour Atlantico. Pourtant seul un Français sur trois pense qu'elle est capable de réformer le pays. Les Français sollicitent toujours plus d'influence politique pour Marine Le Pen face aux déceptions récurrentes des mesures gouvernementales.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »
Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
Voir la bio »

Atlantico : D’après un sondage CSA exclusif pour Atlantico (voir ici), 28 % des Français souhaiteraient que Marine Le Pen ait à l’avenir plus d’influence sur la vie politique française, soit exactement autant que pour Nicolas Sarkozy, et derrière Alain Juppé, qui lui est à 37 %. Ce sondage ayant été effectué dans la foulée des critiques d’Arnaud Montebourg contre la politique du gouvernement et du remaniement inattendu de ce dernier, se pourrait-il que par déception à l’égard des partis de gouvernement, les Français soient de plus en plus nombreux à se tourner vers l’option frontiste ?

Bruno Cautrès : La crise politique que le gouvernement et le PS viennent de traverser (ou sont encore en train de traverser pour le cas du PS), n’expliquent pas à elle-seule la position de Marine Le Pen en termes de souhaits de la voir tenir un rôle important dans l’avenir, enregistrée par l’enquête CSA. Déjà à l’automne 2013 une enquête TNS-SOFRES situait cette cote d’avenir à 33%, en troisième position derrière Manuel Valls et Nicolas Sarkozy et à égalité avec François Fillion, Alain Juppé et Christine Lagarde. De même, les cotes d’avenir enregistrées par Marine Le Pen dans les différents sondages politiques après la période des élections européennes ont confirmé cette bonne position de Marine Le Pen.

Il me semblerait donc plus juste de parler d’une confirmation d’évolutions de l’opinion qui ont eu lieu depuis que Marine Le Pen a succédé à son père à la tête du FN. Les dernières élections, notamment les européennes et malgré le fort taux d’abstention, ont confirmé la dynamique actuelle du FN en termes d’opinion. Il faut néanmoins remarquer que le nombre de personnes qui souhaitent que le rôle de Marine Le Pen soit moins important est beaucoup plus important que l’inverse.

"Si on m’exclut de l’UMP, je parlerai", a déclaré Jérôme Lavrilleux dans Le Parisien ce vendredi 29 août, faisant allusion à son implication dans l’affaire Bygmalion. Les affaires qui ont entaché le parti, mais également la garde-à-vue de Nicolas Sarkozy le 1er juillet, ont-elles permis dans une certaine mesure à Marine Le Pen de prétendre au titre de dirigeante d’un parti qui serait irréprochable ? Peut-elle capitaliser là-dessus ?

Bruno Cautrès : Depuis toujours le FN a développé un discours très critique sur les autres partis ; Jean-Marie Le Pen parlait de la "bande des quatre" à propos du RPR, de l’UDF, du PS et du PC de l’époque. Marine Pen parle, dans la foulée de son père, de "l’UMPS". Il est évident que la stratégie du FN est de capitaliser sur le climat de défiance politique actuelle et d’apparaître comme une personnalité politique qui n’est pas compromise par l’exercice du pouvoir. La déception de nombreux électeurs face à un PS affaibli par la situation actuelle et une UMP qui peine à se renouveler peut, potentiellement, servir d’argumentaire au FN.

Dans quelle mesure les crises internes que traversent la gauche (recherche de cohérence, frondeurs) et la droite (guerre des chefs, recherche d'un leader et d'un programme, affaires judiciaires) peuvent-elles renforcer chez les classes populaires et intermédiaires l’impression que rien n’est fait pour les aider face à la crise, et ainsi les pousser à chercher "du nouveau" ailleurs ?

Bruno Cautrès : Depuis le milieu des années 1990 le vote pour le FN a progressé dans les milieux sociaux les plus exposés à la crise, au chômage et aux difficultés. Le vote FN chez les ouvriers a été important lors des élections européennes et aux municipales dans certaines communes, par exemple du Nord ou en Picardie. Mais c’était dans un contexte d’abstention élevée et de forte démobilisation de la gauche.

Il est toujours difficile pour la gauche au pouvoir de ne pas décevoir les milieux populaires ; mais le discours assez libéral, par exemple tenu par François Fillion (fin des 35 heures, réduction drastique des emplois publics, remise à plat du "modèle social" français) a peu de chances de séduire les classes populaires ou même les classes moyennes ou moyenne inférieures, souvent elles-mêmes dans l’emploi public. Le FN de Marine Le Pen tente de combiner un discours social protecteur pour les classes populaires mais "chauvin" : accompagné de la "préférence nationale" pour les prestations sociales. En cela, le FN peut récupérer une partie des déçus de la gauche au pouvoir. N’oublions pas que de l’ordre de 30% des ouvriers avaient voté Marine Le Pen au premier tour de 2012 mais qu’une bonne majorité d’entre eux avaient voté Hollande au second tour ; il est tout à fait probable d’avoir eu, dans l’électorat Hollande de second tour, des électeurs Le Pen du premier tour comme cela a été le cas pour Nicolas Sarkozy aussi. La bataille pour ce segment de l’électorat fera rage en 2017 entre les candidats du FN, de l’UMP et du PS.

Comment comprendre le bon score de la leader frontiste dans l’opinion, et peut-on faire un parallèle avec les intentions de vote pour la présidentielle ?

Bruno Cautrès : Il faut rappeler que la côte d’avenir n’est pas la popularité qui n’est elle-même pas l’intention de vote ; et celle-ci n’est pas le vote, surtout lorsqu’on la mesure hors contexte électoral, ce qui n’a pas beaucoup de sens. Néanmoins, on ne peut que constater que ces différentes mesures accréditent pour le moment l’hypothèse d’un FN qui progresse. Tout dépendra du contexte politique de 2016/2017, du nombre de candidats et de qui ils ou elles sont. Et bien sûr du contexte économique.

Yves-Marie Cann : En matière de prise d’influence attendue des différentes personnalités, Marine Le Pen ressort à un niveau élevé comparé aux autres, à 28 %. Cela montre bien que sa personnalité politique est bien implantée au niveau national, et vient confirmer la dynamique autour de son nom et plus globalement autour du Front national, qui s’est d’abord exprimée lors de l’élection présidentielle de 2012, puis lors des élections municipales et européennes de 2014. Au-delà de cette dynamique, on voit aussi que Marine Le Pen est une des personnalités qui clive le plus au sein de la population. Elle a un des scores les plus élevés en termes d’attente de prise d’influence de sa part, mais aussi en termes de demande de baisse d’influence. Elle ne laisse pas indifférent, elle nourrit soit l’adhésion, soit le rejet. Cela transparait dans la proportion de personnes qui souhaitent qu’elle s’en tienne à son niveau d’influence actuel : seulement 16 %.

Au niveau des différentes tranches d’âges, les souhaits exprimés correspondent assez bien à la moyenne nationale, à l’exception des 65 ans et plus. Marine Le Pen a-t-elle réussi son opération séduction, ou lui faut-il encore convaincre ces derniers ?

Yves-Marie Cann : Ce que l’on constate dans les tranches d’âge correspond bien à ce qu’on observe par ailleurs en termes d’image et de dynamique électorale : le FN, et notamment Marine Le Pen, fédèrent l’essentiels des soutiens auprès des catégories intermédiaires, à savoir les 25-64 ans, et plus précisément auprès des 35-49 ans, qui forment une population au sein de laquelle on retrouve beaucoup de personnes associées à la "France amer" : des individus qui se sentent lésés par le modèle sociale français, et qui craignent le déclassement social.

Quels sont les enseignements des chiffres relatifs aux catégories professionnelles et à la proximité politique ?

Yves-Marie Cann : Sur les catégories professionnelles, on n’opère pas de distinction entre Marine Le Pen et le FN. Pour l’un comme pour l’autre, ce sont les mêmes dynamiques qui s’appliquent, avec les catégories populaires, et notamment les ouvriers (40 % dans cette catégorie), qui souhaitent que la chef frontiste ait plus d’influence sur la vie politique à l’avenir. Néanmoins on constate que ce souhait ne se limite plus seulement aux catégories populaires, les professions intermédiaires, soit le cœur des classes moyennes, sont 31 % à considérer que Marine Le Pen devrait avoir plus d’influence, contre 13 % chez les cadres.

Quant à la proximité politique, on voit que Marine Le Pen est une personnalité très clivante : les souhaits d’influence à gauche sont réduits à la portion congrue, par contraste, bien évidemment, avec les sympathisant FN, qui sont en rang serré derrière elle , avec 84 %. Chez les autres familles politiques de droite une porosité se fait jour. Les sympathisants de droite ne sont certes que 25 % à souhaiter que Marine Le Pen ait plus d’influence, cependant une distinction doit être faite entre les sympathisants de l’UDI (18 %) et de l’UMP (26 %). On saisit bien ici toute les nuances des composantes de la droite gouvernementale aujourd’hui.

Chez les ouvriers on constate un "effet Marine", à savoir qu’elle élève le sentiment d’adhésion au-dessus du rejet, ce que le FN ne parvient pas à faire. Non contente de s’être donné une image respectable, elle serait parvenue à s’arroger l’image de la femme providentielle ?

Yves-Marie Cann : La marque FN suscite encore du rejet, et peu effrayer des catégories entières de la population. Le passé du parti est tel qu’il entretient une méfiance à son égard. Marine Le Pen, de par sa personnalité, le renouvellement qu’elle incarne pour bon nombre, l’absence de dérapages du niveau de ceux de son père, est perçue comme plus proche d’une partie de la population. Il est plus facile aujourd’hui d’assumer le fait d’être d’accord avec elle : 4 personnes sur dix se déclarent être souvent ou assez souvent en accord avec les prises de position de Marine Le Pen. On voit à quel point le centre de gravité s’est déplacé sur un ensemble de sujets au sein du champ politique français.

Faut-il voir dans le contraste entre les réactions suscitées par le FN et par Marine Le Pen une force ou une faiblesse en vue de prochaines élections ? Le parti n’est-il pas trop "Marine-dépendant" ?

Yves-Marie Cann : C’est le risque lorsqu’une formation politique est fortement associée à une personnalité, et en l’occurrence à la marque Le Pen. Si Marine Le Pen venait à quitter le FN, ce dernier s’en verrait très affaibli. La meilleure image de la fille par rapport au père tire aussi l’image de la formation vers le haut. Le fait d’âtre d’accord ou on avec les idées du FN est moindre que lorsqu’il s’agit de Marine Le Pen, mais est tout de même en très forte progression par rapport à ce que l’on mesurait en 2011, juste avant qu’elle n’accède à la présidence du parti. Seulement 22 % se déclaraient en accord avec les idées du FN ; aujourd’hui on est 12 points au-dessus.

Les courbes se croisent au niveau de l’UMP : faut-il en déduire que ce dernier ne doit pas abandonner la droite de la droite, au risque de voir le FN se renforcer ?

Yves-Marie Cann : Cela illustre la difficulté pour l’UMP de gérer des attentes et des valeurs parfois contraires au sein de son électorat. C’est un parti de masse, qui par conséquent est "attrape-tout". Ses sympathisants se retrouvent sur le rejet de l’assistanat, la dénonciation des fraudes sociales, le sentiment d’un France en déclin, en revanche tous ne sont pas d’accord sur le rapport à la mondialisation économique, à l’insécurité et à l’immigration. L’enjeu aujourd’hui pour l’UMP est de faire la synthèse entre les deux extrémités. On peut émettre l’hypothèse qu’un positionnement trop modéré ou de centre droit pourrait provoquer un effet de bascule  en faveur du FN. Ce serait handicapant lors d’élections nationales.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Méthodologie

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !