"Les Ukrainiens et les Russes forment un seul peuple" : comment l'accumulation d'erreurs commises par les Européens a fini par aider Poutine à faire main basse sur l'Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation anti-Poutine à Kiev
Manifestation anti-Poutine à Kiev
©REUTERS/David Mdzinarishvili

Dissuasion vaine ?

L'OTAN l'a confirmé, les troupes séparatistes pro-russes sont appuyées par du matériel et des soldats russes, en violation de la souveraineté de l'Ukraine. Aussi condamnable soit-elle, une telle opération ne devrait pas surprendre les États européens, qui par leur mauvaise gestion du dossier ont leur part de responsabilité.

Béatrice  Giblin

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin est géopoliticienne. Ancienne élève d’Yves Lacoste, elle a dirigé l’Institut français de géopolitique à l’université de Paris VIII.

Elle est notamment l'auteure de "Les conflits dans le monde. Approche géopolitique" (Armand Colin, 2011).

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a déclaré qu’il était "désormais clair que des troupes et de l’équipement russe ont franchi la frontière [ukrainienne]", appelant la Russie "à arrêter ses actions militaires illégales." Au regard de la dynamique de rapprochement qui avait été enclenchée entre l’Union européenne et l’Ukraine, le fait que la Russie en vienne à l’action armée dans ce qu’elle considère comme son pré-carré est-il si surprenant ?

Béatrice Giblin : Qu'elle aille jusqu'à l'action armée est, si ce n'est surprenant car après l'annexion de la Crimée on pouvait s'attendre à une réaction forte et déterminée de la Russie décidée à défendre les Russophones - montre néanmoins que Vladimir Poutine est assuré de ne pas avoir à affronter une réaction armée des Occidentaux et en cela je crois qu'il a raison. Ce ne sont pas les sanctions occidentales qui vont réellement le dissuader de poursuivre cette offensive car les bénéfices politiques internes (immense popularité qui lui laisse le champ libre pour mettre avec les siens, la main sur les secteurs économiques les plus profitables, et régionaux (retour de l'hegemon de la Russie sur son étranger proche) qu'ils en tirent sont suffisants pour accepter de les supporter.

Florent Parmentier : La Russie est une grande puissance régionale qui entend le rester ; son complexe d’encerclement stratégique est bien réel, et suppose de repousser le plus loin possible les frontières de l’OTAN, considéré comme un ensemble hostile dans la doctrine de défense russe. Pour autant, cette tension, existante depuis la chute de l’URSS, ne devait pas nécessairement engendrer un conflit : lorsque Viktor Ianoukovitch a dû reculer face à la révolution orange en novembre – décembre 2004 (mouvement massif de protestation contre la fraude électorale), une table ronde a permis de négocier une solution acceptable pour les différents protagonistes. Après le temps du conflit, il faudra nécessairement en revenir à la diplomatie.  

L’évolution récente vient plutôt du fait que l’UE est désormais classée à la même enseigne que l’OTAN. Le modèle européen est considéré comme menaçant pour l’influence russe, sur le plan économique, mais également sur celui des valeurs.

Les Etats européens sont-ils aussi responsables d'avoir laissé croire à l'Ukraine qu'elle pourrait à terme rejoindre l'UE, et qu'elle lui assurerait un soutien indéfectible ?

Florent Parmentier : Il faut bien comprendre les motivations et les contraintes des différents acteurs. Au sein de l’Union européenne, il est évident que les partisans de l’élargissement sont moins nombreux qu’il y a quelques années, du fait de la crise économique, sociale et politique. Avant l’Ukraine, il faudra déjà "digérer" l’Europe du Sud-Est, qui absorbera des ressources européennes encore un moment. Sur le plan géopolitique, les Européens sont divisés entre ceux qui voudraient mettre davantage de moyens au Sud, suite au "Printemps arabe", et ceux pour lesquels il faudrait consacrer. Dans ce cadre, la priorité polonaise accordée à l’Ukraine contraste avec la relative indifférence d’un pays comme l’Espagne. On peut dire que les Européens ont même été très prudents ces dernières années, certains pays s’opposant virulemment à toute rhétorique concernant une éventuelle "perspective européenne" pour l’Ukraine. L’accord d’association proposé à Vilnius en novembre 2013 et désormais signé n’implique pas une adhésion à l’UE.

Du côté ukrainien, l’Union européenne a pu être perçue non comme une union politique et économique, mais comme un moyen de contrebalancer géopolitiquement la Russie, ou de rejeter toute influence russe. En réalité, l’Ukraine n’a pas les moyens d’effectuer un choix aussi clivant. Ainsi, depuis l’indépendance, les Présidents ukrainiens ont bien essayé par le passé de maintenir une ligne dite d’équidistance, persuadés que le pays ne sortirait de l’ambiguïté qu’à son détriment.

La prudence des Européens par rapport à l’Ukraine et aux autres pays du voisinage est toutefois contrebalancée par une attitude négligente vis-à-vis des intérêts russes.

Par quelles attitudes les Etats européens ont-ils contribué à aggraver la situation au point qu’une opposition armée impliquant l’OTAN devienne fortement envisageable ? Peut-on parler de déni de réalité vis-à-vis des prétentions géopolitiques de la Russie, qui sont pourtant bien connues ?

Béatrice Giblin : Une attitude trop arrogante les Européens ont oublié un peu vite que la Russie est un grand pays. Je ne crois pas que l'on puisse parler de prétentions géopolitiques, pour les Russes l'Ukraine c'est presque la Russie, ils peuvent  même considérer que l'origine  de la Russie commence à Kiev première capitale avant Moscou. Aussi lancer la politique de voisinage proposer un statut d'association avec l'UE était en quelque sorte agiter le chiffon rouge. Sans doute le rôle de la Pologne fut il grand dans cette politique de rapprochement d'avec l'UE soutenue aussi par les Etats Baltes.
Mais sommes nous pour autant à la veille d'une intervention armée de l'OTAN  je ne le pense pas en tous cas il faut vraiment l'éviter et tout faire pour que les Ukrainiens, les séparatistes, la Russie et l'UE prennent langue ensemble pour tenter de trouver les conditions d'un cessez le feu. Mais il ne faut pas sous estimer la responsabilité  qui est grande dans cette situation des autorités ukrainiennes. Par exemple quand elles ont déclaré que le Russe n'était plus une langue officielle de l'Ukraine, même si elles sont revenues rapidement sur cette faute politique, le mal était fait et V Poutine s'est précipité dans la brèche pour clamer sa défense des russophones en danger . Ceci étant dit les Ukrainiens ont parfaitement le droit de choisir leurs alliés mais il est aussi indispensable de rassurer les minorités russophones, ce qui n'a visiblement pas suffisamment été fait.

Les gouvernements occidentaux ont-ils également sous-estimé la capacité de Vladimir Poutine à ne pas tenir compte des pressions extérieures et des sanctions économiques ? Là aussi, ont-ils pêché par angélisme ?

Béatrice Giblin : Je crois avoir déjà répondu dans ma première réponse cependant on peut ajouter qu'il ne s'agit pas d'angélisme mais comme ils ne veulent pas être pris dans l'engrenage d'une riposte armée et ils ont raison que leur reste-t-il si ce n'est les sanctions économiques ?  Mais il n'est pas évident qu'elles soient rapidement efficaces

Florent Parmentier : Les sanctions économiques peuvent avoir des effets contradictoires ; pour être efficaces, elles doivent avoir des effets rapidement, et avoir un coût élevé pour la cible. A moyen terme, il existe des moyens de contourner la difficulté ; la betterave sucrière est par exemple ainsi née de l’impossibilité de se procurer du sucre de canne, pour des raisons liées à un blocus. Dans le cas contraire, elles peuvent avoir des coûts pour les pays concernés, tandis qu’elles peuvent fédérer des opinions publiques dans les pays cibles. "Je suis sanctionné, donc je suis", en quelque sorte.

Aussi, la vraie question est celle de l’acceptation de ces coûts par l’opinion publique et les élites dirigeants des pays ciblés. L’arme des sanctions doit donc être maniée avec précaution, elles peuvent envenimer une situation déjà tendue, rendant plus difficile un retour à la table de négociation.

Après l’OTAN dans les années 90 et le début des années 2000, l’Union européenne est-elle devenue le premier "ennemi" aux yeux des Russes ? L’adhésion populaire au tournant nationaliste et conservateur représenté par la réélection de Vladimir Poutine fin 2011 fournit-il une assise confortable au président russe pour mener des opérations en Ukraine ?

Béatrice Giblin : Non je ne crois pas car ce serait oublier que l'UE est un gros client des achats d'hydrocarbures russes et que ceux-ci représentent et de loin l'essentiel des revenus de la Russie et ce n'est pas le marché chinois pour des tas de raisons qui peut du jour au lendemain prendre la relève. Et quand vous dites les Russes ? Est-ce les dirigeants ? L'opinion publique ? Une partie d'entre elle ? Nous ne sommes pas revenus à la guerre froide mais il faut que les membres de l'UE arrivent à trouver une position commune face aux agissements du gouvernement russe en Ukraine et qu'ils poussent les uns et les autres à la table des négociations.

Florent Parmentier : Dans l’esprit des stratèges russes, l’OTAN reste la première menace, surtout après les déclarations des derniers jours ; certains experts russes n’hésitent pas à prévoir un effondrement de l’Union européenne d’ici quelques années et un retour du concert des Etats-nations. Le raisonnement vis-à-vis de l’OTAN est simple : si elle a pu intervenir au Kosovo contre un Etat souverain, alors la Russie peut se permettre de défendre les russophones dans sa zone d’influence.

Il est vrai que Vladimir Poutine s’appuie beaucoup moins sur les libéraux que par le passé : ceux-ci avaient pour fonction de faciliter les contacts avec les Européens et les Américains. Le dernier mandat de Poutine se fait donc autour des valeurs traditionnelles, conservatrices et nationalistes, prônant une intégration régionale plus poussée dont Moscou serait le centre. Paradoxalement pourtant, le Président russe n’apparaît pas comme le plus radical dans l’échiquier politique actuel. Il lui faut donc sauver la face par rapport à son opinion sur le plan intérieur.

Entre la Pologne qui s’identifie au sort ukrainien, l’Allemagne qui est fortement dépendante du gaz russe, ou encore la France qui elle ne l’est pas mais a conclu des contrats d’armements avec la Russie, dans quelle mesure les divergences d’intérêts entre les Etats européens ont-elles joué dans cette escalade de la violence ?

Béatrice Giblin : Ces positions différentes comme je viens de le dire affaiblissent le poids de l'UE dans les situations de tensions internationales, l'UE ne parle jamais d'une seule voix et les grands Etats de l'UE, comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni veulent préserver leur propre politique étrangère. V poutine que l'Europe n'a ni politique étrangère ni défense commune si c en'est l'OTAN, mais il sait aussi que Barack Obama a été élu pour sortir l'armée américaine des bourbiers onéreux en hommes et en finances où la politique de G W Bush et les néo-conservateurs l'ont entraînée donc il ne redoute pas sérieusement une intervention armée.

Florent Parmentier : Il faut tout d’abord observer que la Russie est aujourd’hui un sujet moins clivant qu’il y a quelques années parmi les acteurs européens ; certes, il existe toujours de grande différence de perception de ce pays entre la Lituanie et la Grèce, selon les pays. La crise ukrainienne a toutefois montré une Union européenne moins encline que les Etats-Unis à sanctionner la Russie dans un premier temps, mais néanmoins plus homogène que par le passé.

Les Européens doivent à présent repenser leur politique russe, dans la fermeté d’abord, puis dans l’ouverture ensuite ; elle peut par exemple prendre Vladimir Poutine au mot : s’il veut une zone de libre-échange de Lisbonne à Vladivostok, alors il deviendra évident que l’Ukraine, comme la Russie, doivent toutes deux se rapprocher ensemble vers l’Union européenne. Malheureusement, la période actuelle n’offre guère de possibilité de rapprochement, ni aucune vision de l’avenir autrement que par la tension.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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