Chaos libyen et schizophrénie occidentale : ce que change l’offensive des Emirats arabes unis et de l’Egypte qui dérange tant les Etats-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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Deux frappes aériennes successives auraient été effectuées récemment par les Emirats Arabes Unis contre les islamistes en Libye.
Deux frappes aériennes successives auraient été effectuées récemment par les Emirats Arabes Unis contre les islamistes en Libye.
©Reuters

Double jeu

Alors que l'allergie de Barack Obama vis-à-vis d'une intervention militaire en Libye se fait sentir, la prise d'initiative de l'allié émirien aurait logiquement dû être soutenue par le bloc Otan. C'était sans compter sur le rapport bipolaire des Américains sur la région, qui souhaitent à la fois conserver leur main mise, tout en intervenant le moins possible.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Selon une information parue dans le New York Times, deux frappes aériennes successives auraient été effectuées récemment par les Emirats Arabes Unis contre les islamistes en Libye. En réaction à cette nouvelle, les américains ont dénoncé ces attaques, en appelant à ne pas provoquer "d'interférences". Comment expliquer la réaction du bloc occidental, mené par les Américains ? Que craignent-ils concrètement ?

Frédéric Encel : D'abord ce ne sont que les Etats-Unis et non tout l'Occident qui a protesté. Ensuite, un puissant protecteur n'aime généralement pas que son protégé prenne des initiatives trop hardies dans une zone sensible. Enfin et surtout sur le fond de l'affaire, Obama a clairement renoncé depuis au moins quatre années à toute initiative militaire d'envergure ; il se le refuse à lui-même, et l'accepte donc mal de ses alliés. Qu'on se souvienne du soutien tiède et exclusivement logistique consenti par Washington aux Franco-Britanniques contre (déjà) la Libye de Kadhafi en 2011, puis à la France seule au Mali en 2013, et surtout du refus d'Obama de frapper Damas cette même année, alors que sa "ligne rouge" avait pourtant été franchie par Assad...

Pierre Conesa : Je ne comprends absolument pas la réaction des Occidentaux. Les interventions américaines en Irak, otanienne en Afghanistan et britannico-française en Lybie - toutes catastrophiques- devraient inciter au mutisme et à la prudence. Pour la première fois un pays arabe (qui plus est très proche des Occidentaux) tente d'interférer dans une crise d'un pays arabe, on devrait s'en féliciter. Je pense que les chancelleries occidentales ne se sont pas encore rendu compte que le monde multipolaire existait. C'est le syndrome de Pu Yi, le dernier empereur de Chine qui vivant dans la Cité interdite, ne savait pas que l'Empire avait été renversé par la Révolution et continuait à vivre en Empereur entouré par ses eunuques.

Alors qu'Obama fait preuve de frilosité à l'idée de s'engager dans la résolution militaire du conflit, cette intervention ne pourrait-elle pas au contraire les arranger ?

Frédéric Encel : En Irak, les chasseurs bombardiers américains sont déjà à l'œuvre militairement, tandis que l'Arabie saoudite l'est diplomatiquement et financièrement, pour contrer l'Etat islamique. Pour les Emirats, micro-Etat pétrolier souhaitant exister dans le concert des nations, la lointaine Libye offre un intéressant théâtre d'opérations. Rappelons que le régime a créé un service militaire obligatoire, fait sans précédent ! Autant le Qatar - géographiquement et démographiquement encore plus minuscule - compte exister en jouant de sa capacité de nuisance pro-islamiste un peu partout, autant les Emirats utilisent les avions achetés à grands frais en Occident ! On ne prend jamais assez la mesure des rivalités qui se jouent entre princes du pétrole des micro-monarchies du Golfe...

Pierre Conesa : Oui, Obama aurait du encourager les pays arabes à gérer certaines de crises du monde arabe. Peut être craint-il que l'Arabie saoudite ne lui fasse les gros yeux comme on l'avait vu avec G W Bush qui oubliait ce pays dans les Axes du Mal après les attentats du 11 septembre où étaient impliqués 11 saoudiens sur 14 terroristes. Peut être criant-il que les Iraniens, les anciens Axes du Mal, n'interviennent sans lui demander son avis en Irak ? Peut être craint-il une réaction inattendue des Saoudiens ?

Pourquoi les frappes armées ont-elles eu lieu en Libye, et non en Irak ? A quel point cela pourrait-il témoigner de l'ambition des émiriens de s'imposer dans un conflit délaissé par les occidentaux ?

Pierre Conesa : L'Irak est un trop gros morceau pour les EAU. La crise irakienne peut avoir un effet de déstabilisation fort sur les Emirats (terrorisme, opposition saoudienne et qatarie...); D'autre part les Emiriens étaient intervenus aux côtés des Occidentaux lors du renversement de Kadhafi. Il y a une sorte de continuité au moins géopolitique. On peut s'étonner que d'autres pays arabes qui en ont les moyens en armes et en hommes n'interviennent pas directement dans la crise irakienne. L'Arabie saoudite est le premier client des l'industrie française depuis 20 ans. Tous les moyens sont sur place pour aider l'une ou l'autre des partes au conflit en Irak. Mais Riyad craint les effets en retour (crise interne de succession, attentats terroristes, crise religieuse, conflit avec l'Iran...) et préfère donc que ce soit les Occidentaux qui interviennent militairement. C'est un piège dans lequel les capitales occidentales sont en train d'aller avec entrain

Ces frappes aériennes seraient-elles enfin le prémice d'une intervention militaire contre les djihadistes de l'EIIL ?

Pierre Conesa : J'ai peur qu'il n'y ait d'autre stratégie que les rivalités entre pays du Golfe. On l'a vu en Egypte où l'Arabie saoudite a soutenu les coups d'Etat militaire contre les Frères musulmans parce que ceux ci avaient soutenu Saddam Hussein lors de la Guerre du Golfe et aussi pour contrer le Qatar. Les Saoudiens se veulent les seuls maitres à penser de la péninsule. Ne pas oublier que lors de la constitution de la Fédération des Emirats arabes unis, Riyad avait tout fait pour que le Qatar ne réponde pas favorablement au projet lancé par Cheikh Zaiyed de Abou  Dhabi et reste indépendant. D'autres crises de rivalité vont probablement éclater.

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