Apprenties Califettes : quand l’État islamique excelle à recruter des jeunes occidentales via les réseaux sociaux <!-- --> | Atlantico.fr
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EIIL cherche aussi à recruter des femmes.
EIIL cherche aussi à recruter des femmes.
©Reuters

Malaise de la civilisation

Si les hommes sont les principales cibles marketing de la propagande EIIL pour assurer un renfort de combattants, les femmes font également l'objet d'une attention chez les recruteurs. C'est ce que déclarait dans une allocution la ministre britannique de l'Intérieur en juin. Pour autant, il ne s'agit pas d'une vision égalitariste, car les femmes doivent assurer la descendance de jihadistes.

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Atlantico : La ministre de l’Intérieur britannique a récemment fait état d’une tendance selon laquelle parmi les candidats au jihad en terres EIIL et syrienne, se trouvaient également des candidates. Comment ces filières de recrutement s’organisent-elles ?

Mathieu Guidère : Il y a une extension de la logique générale concernant l’instrumentalisation de l’information, qui est orchestrée de main de maître par les filières de recrutement jihadistes. Les groupes sont les enfants de leur époque, et il n’est donc pas paradoxal de voir cette efficacité dans la mise en œuvre de ces opérations de communication. La seule chose, c’est que dans la propagande de ces groupes, il y a une réelle ambition de montrer que le combat concerne tout le monde, et n’est pas limité à une catégorie de personnes en marge des sociétés ou à des illuminés perdus dans une montagne, dont le but est de rétablir un régime archaïque. Les groupes jihadistes s’adressent donc aux hommes comme aux femmes, en Occident comme en Orient.

Le mécanisme de propagande qui est en place est exactement le même que celui utilisé par les groupes sectaires. Sur internet, des membres féminines de la filière apportent un soi-disant soutien aux femmes hésitantes dont la famille refuse le départ. Elles la réconfortent et lui témoignent sa compassion. C’est comme si une secte isolait une victime, et finalement s’en emparait, mais à l’échelle internationale.

Quels sont les profils de ces personnes ? Ce phénomène s’observe-t-il également en France ?

C’est un phénomène qui ne touche pas uniquement la Grande-Bretagne mais tous les pays européens. Les autorités des Pays-Bas, de Belgique, d’Allemagne, d’Italie, et de France ont également rapporté des cas avérés. Dans notre pays, ce chiffre concerne une centaine de femmes. Qui plus est, la tendance n’est pas seulement européenne puisqu’elle touche également des pays d’Amérique du nord, avec des cas aux Etats-Unis, et au Canada. Elle touche donc l’Occident en général, où il y a effectivement une expansion de ces départs. Tous les âges sont concernés, des jeunes filles de 14 ans jusqu’à 55 ans. D'ailleurs, la très grande majorité d’entre-elles ont entre 15 et 25 ans, sont des femmes converties ou en proie à une crise identitaire, voire une crise de foi pour le cas de l'EIIL.

Concernant leurs motivations, on peut en distinguer de trois types. Tout d’abord, celui des jeunes femmes qui souhaitent s’investir dans l’humanitaire, qui ont été touchées par les images d’enfants blessés en Syrie et qui ne trouvent pas de place dans les ONG. Ces dernières ne recrutant que des professionnels. Elles finissent globalement dans des filières jihadistes ou islamistes.

Deuxièmement, on trouve des personnes qui souhaitent répondre à une tradition islamique qui s’appelle la Hijra, l’émigration, qui signifie le fait de vivre dans un pays musulman sous le règne de la charia. C’est une imitation de voyage qui a été fait par Mahomet lors de la prédication. Cette motivation arrive régulièrement en tête dans les motivations de départ de ces femmes, qui ne désirent plus vivre en France, car elles estiment ne pas pouvoir y vivre leur foi, porter la burka par exemple. Celles-ci n’envisagent pas de retour, elles veulent fonder une famille sur place, et s’y baser définitivement.

Troisièmement, il y a des jeunes filles qui y voient une opportunité pour se marier. Elles trouvent leurs prétendants jihadistes sur internet, de vrais musulmans. On voit également cette motivation arriver régulièrement en haut des motivations. Soit elles choisissent leurs futurs maris avant de l'avoir rencontré, soit elles le rencontrent sur place, ou bien dans le pire des cas, elles se retrouvent mariées de force en arrivant.

Ces dernières savent-elles vraiment ce qui les attend ? Quelle est la part d’idéalisation dans leur démarche ?

Il y a une véritable méconnaissance, et même une ignorance de ce qui se passe concrètement sur le terrain, et surtout de "qui" se trouve sur le terrain. Elles se retrouvent donc avec deux fonctions principales. La fonction de soutien, c’est-à-dire des tâches en cuisine, de ménage ou d’infirmerie, et la deuxième fonction majeure, à savoir se marier et avoir des enfants. C'est un fait notable, car ce n'était pas le cas lorsque l’Irak était contrôlée par les Américains, où on a vu des attentats suicides commis par des femmes. Là, les jihadistes de l'EIIL proposent un cadre vie traditionnaliste où les femmes sont confinées aux tâches qui leurs sont propres.

Qu’est-ce que ce changement radical de vie, et ce besoin de partir dans des territoires dangereux et inconnus peut-il révéler de notre société ?

Pour reprendre le titre bien connu, il y a un très clair malaise de la civilisation, où les jeunes femmes ne trouvent pas en Occident les moyens d’assouvir leurs passions de révoltes ou humanitaires. Dans les années 1960, ou pouvait s'engager dans le léninisme ou le marxisme, avec Fidel Castro, ou Pol Pot. Egalement il y a le paradoxe syrien. Pour la première fois on a une prise de position occidentale qui correspond à celle des jihadistes, ce qui a deux conséquences : une impression que cette guerre est juste, et en même temps l’illusion que les gouvernements sont impuissants et ne peuvent rien faire, ce qui suscite alors des vocations individuelles.

Quelle peut-être alors la réponse donnée par les gouvernements ? S’agit-il de personnes irresponsables, car ayant une faiblesse psychologique, ou doivent-elles davantage être considérées comme des terroristes en devenir ?

Pour l’instant, la France a opté pour la deuxième solution. Elles sont donc bien responsables de leurs actes. En Belgique ou au Pays-Bas, c’est la prévention qui fait foi, là où nous sommes plutôt dans une tradition répressive. 

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