Aide à l’Afrique : derrière la bonne conscience des pays riches, le pillage plus ou moins assumé<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pays occidentaux enverraient 30 milliards d’aide au développement par an à l'Afrique.
Les pays occidentaux enverraient 30 milliards d’aide au développement par an à l'Afrique.
©Reuters

Effet boomerang

134 milliards de dollars qui entrent chaque année et 192 qui sortent, pour un résultat négatif de 58 milliards : telle est la situation de l'Afrique, selon un récent rapport publié par une quinzaine d'ONG. Le signe de relations rarement à l'avantage du continent.

Philippe Hugon

Philippe Hugon

Philippe Hugon est directeur de recherche à l'IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), en charge de l'Afrique. Professeur émérite, agrégé de Sciences économiques à l'université Paris X, il vient de publier son dernier livre Afriques - Entre puissance et vulnérabilité (Armand Collin, août 2016). 

 

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Atlantico : Selon le rapport de 15 ONG rendu ce mardi 15 juillet,  Honest accounts ? The true story of Africa’s billion dollar losses, chaque année 134 milliards de dollars "entrent" en Afrique sous diverses formes et 192 milliards en "sortent", pour un résultat négatif de 58 milliards (voir ici). Derrière tous les discours sur le développement de l’Afrique, la situation économique et humaine du continent reste-t-elle tout de même critique ?

Philippe Hugon : L’heure est plutôt à la croissance économique, avec une moyenne de 5% environ depuis la fin du XXe siècle. Les inégalités sont très fortes, mais la classe moyenne est tout de même en train de monter. Celle-ci représente un tiers de la population si on la fait démarrer à un niveau au-dessus de 2 dollars par jour. La situation n’est pas critique, donc,  néanmoins elle n’est pas aussi euphorique que ce que veulent bien dire certains analystes. Les vulnérabilités restent considérables, les économies sont moins endettées qu’il  a quelques décennies mais restent dépendantes des matières premières. Elles exportent essentiellement des produits peu transformés dont les prix sont très volatiles. Certaines sont rendues vulnérables à cause de l’insécurité, comme celles de l’arc sahélo-saharien, de la Somalie ou d’une partie de l’Afrique centrale. Par contre les financements extérieurs ont été multipliés par trois depuis le début des années 2000, les investissements directs étrangers ont fortement crû, les transferts d’immigrants représentent des transferts importants, les possibilités de prêt des banques ont augmenté, et l’aide publique au développement, si elle stagne, constitue pour certains pays très pauvres un apport de capitaux.

L’Afrique est un lieu important d’entrées de capitaux, mais également de sorties, comme le précisent ces ONG. Les logiques des entreprises sont surtout court-termistes : l’Afrique a le taux de rentabilité le plus élevé du monde pour les filiales de multinationales, à cause de l’insécurité et de l’instabilité. Un certain nombre d’acteurs privés ou publics procèdent à un certain nombre de sorties de capitaux pour les placer à l’extérieur. Sans aller plus avant dans le détail des chiffres avancés par ces ONG, qui peuvent être discutés, il est certain que les entrées et les sorties sont massives, et pas toujours transparentes. les chiffres des organisations internationales ne sont pas exactement les mêmes, mais reflètent une réalité semblable.

Les pays occidentaux enverraient 30 milliards d’aide au développement par an. Ce chiffre vous semble-t-il pertinent ? Qu’en est-il dans les faits ?

A ma connaissance il s’agirait plutôt de 50 milliards, mais tout dépend de la façon dont on calcule l’aide. Il apparaît aujourd’hui que l’aide publique au développement joue un rôle de moins en moins important par rapport aux apports de capitaux privés. Ces capitaux, lorsqu’ils sont publics, proviennent de plus en plus des pays émergents d’Asie et des fonds souverains pétroliers. Donc qu’elle soit bilatérale (d’Etat à Etat) ou multilatérale (d’institutions à Etats), la part des aides publiques tend à diminuer. Le chiffre de 50 milliards peut être discuté, car tout dépend des modes de calcul de l’aide. Certains se font en trompe l’œil, en intégrant les frais d’études des étudiants africains, les frais de rapatriement des immigrés clandestins, les annulations de dettes en ajoutant au passage celle de l’Irak, etc. C’est ainsi qu’on parvient à gonfler le chiffre de l’aide. Les ONG, elles, ont sans doute supprimé les annulations de dette dans leur calcul.

Tout en versant des aides au développement, les Etats occidentaux appuient leurs entreprises exploitant les ressources africaines, mais beaucoup de populations locales ne retirent pas systématiquement les bénéfices de ces implantations. De fait, les aides servent-elles, au moins en partie, à masquer cette réalité ?

Il est évident que l’aide a en partie une fonction géopolitique, et n’a pas seulement pour objectif d’assurer le développement économique. Les pays occidentaux ont longtemps utilisé le système des aides pour accéder à l’exploitation de ressources naturelles, notamment lorsque la France défendait les intérêts d’Elf. Pour la Chine en revanche, l’aide est l’instrument de l’accès aux ressources naturelles. Les Occidentaux aujourd’hui passent essentiellement par des multinationales. Total peut dans certains cas être appuyé par l’Etat, mais globalement l’entreprise est présente dans les pays où l’aide française est absente ou très faible : Angola, Nigéria, Soudan du sud… Par contre autrefois Total était, par le biais d’Elf, très présent au Gabon et au Congo, où les liens entre les politiques et les stratégies des multinationales étaient évidents. Disons qu’aujourd’hui le lien ne peut plus être établi d’une manière aussi directe qu’avant.

Aujourd’hui les pays occidentaux ont besoin de sécuriser leurs approvisionnements en hydrocarbures, et il est évident que l’appui à certains pays est essentiel, notamment pour sécuriser les routes maritimes ou empêcher les actions terroristes.

Qu’en est-il des aides apportées par les Chinois ? Sur quelle base fonctionnent-elles, et avec quelles conséquences pour les populations concernées ?

En Chine le concept de l’aide n’existe pas, car les Chinois ne différencient les fonds des entreprises multinationales des actions de coopération. Dans cet apport globalisé, les Chinois fonctionnent avec le "package deal" : d’un côté des apports financiers sous la forme de routes, de barrage ou de palais présidentiels, pour avoir en contrepartie accès à des ressources naturelles stratégiques. Vu son taux de croissance, la Chine a absolument besoin de pétrole, de charbon, de gaz, ou encore de métaux.

De l’utilisation des fonds, il ressort souvent un phénomène de gaspillage. Le développement économique et le bien-être des populations n’est pas toujours au cœur des préoccupations. La RDC est un exemple parmi tant d’autres.

Lorsque les ressources naturelles sont exportées sans renouvellement, alors la rente représentée par celles-ci est maximisée le plus rapidement possible. Dans certains cas les Etats africains auraient intérêt à ne pas vendre leur pétrole et à le conserver en attendant que les prix augmentent. Le pillage est donc évident.

Le rapport met en avant le fait que bon nombre d’aides versées sous forme de prêts servent aux Etats africains pour rembourser leurs dettes, ce qui se traduit par un aller-retour de fonds. Dans quelle mesure peut-on qualifier ce système d’ubuesque ? Comment mettre un terme à ce cercle vicieux ?

Le système ubuesque a existé tant qu’on se trouvait dans le processus d’endettement permanent. Les pays ne pouvaient pas remplacer leurs dettes, qui n’étaient pas renégociables, et étaient obligés de s’endetter de nouveau à des taux d’intérêt croissants. Les aides ne servaient donc qu’à maintenir la machine, avec une croissance nulle ou négative. Le système a été cassé à partir de 1995, notamment sous la pression des ONG. Les seuls pays fortement endettés sont ceux qui ne respectent pas un minimum de droits ou de principes de bonne gouvernance. L’aide ne permet pas vraiment de rembourser la dette aujourd’hui, par contre l’annulation de la dette a été prise sur les fonds affectés à l’aide. C’est pourquoi cette dernière a diminué.

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