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Taxe Tobin, le retour : une coproduction Sarkozy/Merkel
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Crise européenne

Parmi les propositions consécutives au sommet franco-allemand de cette semaine : taxer les transactions financières pour sortir de la crise. Ou comment la "taxe Tobin" tant vantée par les alter-mondialistes est récupérée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Une fausse bonne idée ?

Aurélien Véron

Aurélien Véron

Aurélien Véron est président du Parti Libéral Démocrate et auteur du livre Le grand contournement. Il plaide pour passer de l'Etat providence, qu'il juge ruineux et infantilisant, à une société de confiance bâtie sur l'autonomie des citoyens et la liberté. Un projet qui pourrait se concrétiser par un Etat moins dispendieux et recentré sur ses missions régaliennes ; une "flat tax", et l'ouverture des assurances sociales à la concurrence ; le recours systématique aux référendums ; une autonomie totale des écoles ; l'instauration d'un marché encadré du cannabis.

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On la croyait enterrée. Voilà la taxe Tobin qui revient, avec le soutien des gouvernements français et allemands. L'Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC) se sent pousser des ailes. Soudainement, cette taxe propre aux altermondialistes et à l’extrême gauche se retrouve parée de toutes les vertus pour restaurer l’ordre dans l’économie mondiale et sanctionner la vilaine spéculation.

Mais l’analyse montre qu’il n’en est rien : cette taxe est impraticable, inefficace et injuste. Son seul avantage est politique, en offrant aux électeurs déroutés une victime sacrificielle. Ses inconvénients, eux, risquent de compliquer durablement la reprise, mais aussi la tâche des gouvernements surendettés.

Taxez la vache, ce n'est pas la vache qui paiera

Alourdir le coût des transactions financières aboutira mécaniquement à renchérir le coût de l’argent pour ceux qui veulent emprunter (Gouvernements, crédit immobilier pour les ménages, crédit aux entreprises par exemple), et à dégrader les rendements ainsi que la liquidité des investissements (épargnants, assurances et fonds de pension). Au moment où les Etats particulièrement endettés vont avoir besoin du soutien des marchés, on comprend mal la logique de cette politique punitive dont ils seront les premières victimes.

Il faut ainsi rappeler que c’est grâce aux mouvements financiers internationaux et à l’innovation financière que les économies en voie de développement, en Asie ou en Amérique Latine, ont eu accès aux capitaux à un taux d’intérêt raisonnable pour financer leur croissance ces dernières décennies.

Une mesure impraticable...

La mondialisation s’accompagne d’une circulation relativement aisée des capitaux d’un pays à l’autre, et même d’un continent à l’autre. Les circuits financiers se sont multipliés pour s’adapter aux besoins d’acteurs économiques de plus en plus nombreux, mais aussi aux obstacles réglementaires, fiscaux ou d’autre nature qui ont pu surgir. Dans cet environnement globalisé, tracer chaque opération à taxer est par conséquent un défi, et accessoirement la promesse d’une gigantesque bureaucratie s’affranchissant des souverainetés nationales.

Cette fluidité extrême exige aussi qu’une telle taxe soit appliquée globalement, de Tokyo à New York en passant par Hong Kong, Singapour et Londres.

... déjà contestée...

Or, plusieurs pays européens, dont les Pays Bas, affichent déjà leur opposition à cette taxe. On imagine mal les pays disposant d’une économie bancaire et financière forte hors de la zone euro, tels le Royaume Uni, les Etats-Unis ou Singapour, mettre en place un tel « grain de sable » dans les rouages de leur économie.

Appliquée à la seule zone euro, cette taxe condamnerait nos banques et assurances à abandonner des pans entiers de leurs activités, avec les licenciements qui en découleraient naturellement, au profit des acteurs financiers situés hors de notre îlot pénalisé. Celles-ci n’attendent que ça pour augmenter leur part de marché dans des activités aussi essentielles et rentables. Mais après tout, le monde a-t-il besoin d’une sphère financière importante ?


... et économiquement contre-productive

Sous l’effet de l’augmentation de la population mondiale, de son vieillissement et de son enrichissement moyen, l’épargne mondiale est passée de 12 000 milliards $ en 1980 à 218 000 milliards en 2010. Cette explosion des actifs financiers, également alimentée par des politiques monétaires laxistes, est à l’origine de la « financiarisation de l’économie » tant décriée par Nicolas Sarkozy. Quoi qu’il en dise, son impact sur l’économie réelle n’est pas contestable.

Derrière les investissements des entreprises, des montages financiers complexes faisant appel à de multiples intervenants financiers, eux-mêmes se retournant vers d’autres acteurs de la sphère financière, sont nécessaires. On peut dénoncer le manque de transparence des instruments financiers comme l’un des facteurs de la crise de 2008. Mais sans eux, la croissance mondiale du dernier quart de siècle n’aurait probablement pas eu lieu. Voulons-nous revenir 30 ans en arrière ?

Ce n’est pas un hasard si James Tobin, l’inventeur de cette taxe dans les années 1970, a rapidement abandonné son idée. Il a vite compris ses inconvénients et observé que ses principaux promoteurs étaient des anticapitalistes farouchement opposés à la mondialisation et au libre-échange. En 2001, le Nobel d’économie (Nobel obtenu pour d’autres recherches bien plus sérieuses et crédibles) a ainsi déclaré dans une interview au Spiegel reprise par Le Monde : « J'estime être aujourd'hui mal compris. J'estime aussi qu'on s'est abusivement servi de mon nom pour des priorités qui ne sont pas les miennes. La taxe Tobin n'est pas un tremplin pour les réformes dont ces gens veulent. Mais que faire ? » 

Bien que cette mesure relève surtout de l’effet d’annonce, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy feraient bien de mesurer l’impact du renchérissement de l’accès au capital sur notre croissance avant de chercher à nous engager dans cette voie fumeuse.

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