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Nicolas Sarkozy a été placé en garde à vue.
Nicolas Sarkozy a été placé en garde à vue.
©Reuters

Les juges au pouvoir

L’inculpation le 14 septembre 1992 du trésorier du PS Henri Emmanuelli dans l’affaire Urba déclenche un tsunami politico-médiatique, qui monte d’un cran avec la mise en examen de l’ancien président Jacques Chirac. Celle de Nicolas Sarkozy, précédée d’une garde à vue souvent critiquée, prouve désormais que plus rien n’arrête les juges...

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Lire également : Pourquoi la mise en examen de Nicolas Sarkozy était écrite depuis 20 ans, partie 1

Les petites phrases assassines de Nicolas Sarkozy aux deux juges qui s’apprêtait à le mettre en examen

Pendant ces années 90, marquées par d’autres scandales qui touchent l’Elysée de François Mitterrand (Ecoutes téléphoniques de la fameuse cellule, affaire Pelat du nom d’un vieux compagnon du président soupçonné d’avoir commis un délit d’initié), l’opinion assiste à l’émergence de magistrats qui considèrent que les élus de la République ne sont plus intouchables, et qu’en cas de défaillance, ils doivent être punis. Le plus emblématique d’entre eux est évidemment Renaud Van Ruymbeke. Mais il y en a d’autres, comme Gilbert Thiel, qui sera le premier à incarcérer un édile, Jacques Gossot, maire RPR de Toul dans un dossier de fausses factures. Entre également en piste, chouchou des journalistes, Eva Joly, qui ferraillera sévèrement avec Bernard Tapie, Loïk Le Floch-Prigent, l’ex-patron d’Elf, sans oublier Roland Dumas contraint de démissionner de la présidence du conseil constitutionnel avant d’être relaxé dans le sulfureux dossier Elf… A ses côtés, Laurence Vichnievsky, reconvertie comme Eva Joly en politique, ou Philippe Courroye, le tombeur de Michel Noir et d’Alain Carignon, l’ex-maire de Grenoble. Et l’on pourrait citer Charles Duchaine, successivement juge d’instruction à Monaco, Bastia et aujourd’hui Marseille, qui non sans courage, déjouera bien des pièges tendus par certains de ses mis en examen.

Bref, de 1990 au début des années 2000, les juges, à l’instar de leur célèbre collègue italien Antonio Di Pietro mènent une opération Mani pulite sous l’œil effaré du pouvoir en place. Pourtant, à partir de l’an 2000, l’étoile de nos "chevaliers blancs" pâlit. En feraient-ils trop ? Un gouvernement des juges est-il en train d’émerger dans notre pays ? La question apparait pertinente quand on voit un juge comme Eric Halphen, manquer de prudence lorsqu’il enquête sur Jacques Chirac. Ou quand des ministres comme Gérard Longuet et Dominique Strauss-Kahn sont contraints à la démission alors qu’ils ne sont que mis en examen… Or, le premier bénéficiera de quatre non-lieux tandis que le second sera relaxé dans le dossier de la Mnef. Inquiète d’un jeu de quilles qui tourne au jeu de massacre dans laquelle la presse joue un rôle majeur, la classe politique s’inquiète. Demain à qui le tour, se demande-t-elle ? Grâce à la loi sur la présomption d’innocence votée en 2000, l’atmosphère se détend… Pas pour longtemps. Avec la création du Pôle financier, installé dans les anciens locaux du Monde, les affaires croissent et embellissent grâce aux juges Armand Riberolles, Jean-Marie d’Huy, Henri Pons, Renaud Van Ruymbeke, Eva Joly et Laurence Vichnievsky… Sans oublier Edith Boizette qui instruira l’affaire Pelat et mettra en examen l’ami de François Mitterrand.

Galopent les ans. Le juge d’instruction a conquis son indépendance. Témoin, ce coup de tonnerre, lorsque Xavière Siméoni met en examen, le 21 novembre 2007 Jacques Chirac, ancien président de la République pour détournement de fonds publics. En décembre 2009, c’est un juge de Nanterre, Jacques Gazeaux, qui récidive, mais cette fois pour prise illégale d’intérêts. Ces mises en examen seront prises dans la plus totale discrétion, les journalistes étant informés au dernier moment. Cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy, jugeant aussi scandaleux qu’inutile son placement en garde à vue – analyse partagée par de nombreux juges d’instruction du Pôle financier – optera pour une autre stratégie, celle de la dramatisation en prenant à témoin l’opinion, via une interview accordée à TF1 et à Europe n°1, quelques heures après sa triple mise en examen le 2 juillet.

L’ancien chef de l’Etat, ce n’est un secret pour personne, n’éprouve guère d’affection pour les magistrats. François Mitterrand, pas davantage. Jacques Chirac, également… La différence, c’est que Nicolas Sarkozy ne se prive pas de les critiquer haut et fort. Renaud Van Ruymbeke ne dira pas le contraire, lui qui se fera tancer lors de son instruction de l’affaire Clearstream. Depuis trente ans, la tension ne cesse de monter entre politiques et magistrats. Eric Halphen s’en souvient bien lui qui eut droit à une tentative sévère de déstabilisation alors qu’il instruisait l’affaire des HLM de la Ville de Paris. Cette tension risque d’atteindre le paroxysme, si dans quelques mois ou même avant, la Cour de cassation taille des croupières à l’instruction des juges Patricia Simon et Claire Thépaut. En annulant les écoutes téléphoniques sur lesquelles repose la mise en cause de l’ancien président. Peut-être est-il temps d’organiser des Etats généraux de la Justice pour répondre – et trouver des solutions- à ces questions essentielles : faut-il revoir le rôle du juge d’instruction, "l’homme le plus puissant de France", selon l’expression de Balzac ? Faut-il abandonner la procédure inquisitoire au profit d’une procédure accusatoire de type anglo-saxon en transformant le juge d’instruction en juge de l’enquête ? Comment faire pour que les Parquets soient indépendants du pouvoir politique ? Faut-il revoir la formation des magistrats ? Faut-il revoir le concept de garde à vue, pourtant amélioré en raison des exigences européennes ? La réponse à ces questions est urgente afin que se forme – reforme ? – un consensus entre tous les élus de la nation et le monde judiciaire. En effet, comme l’a dit le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, "quand des responsables politiques commencent, à droite et à gauche, à s’en prendre aux juges, c’est un des fondements du vivre ensemble, de la République qui est atteint."

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