Dérèglement climatique, le record qu’on n’attendait pas : la Terre n’a jamais eu autant de banquise qu’en ce moment… Que se passe-t-il ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La surface de la banquise en Antarctique serait supérieure de 2.1 millions de kilomètres carrés aux prévisions de la période de l'année.
La surface de la banquise en Antarctique serait supérieure de 2.1 millions de kilomètres carrés aux prévisions de la période de l'année.
©Reuters

L'Âge de glace

Le NSIDC, organisme fondé par la Nasa, dont la mission est d'observer jour après jour l'évolution des étendues glacées sur Terre, a récemment rapporté un phénomène pour le moins inattendu : ses satellites montrent que la banquise en Antarctique est de 2,1 millions de kilomètres carrés plus étendue que ce qu'avaient prédit les modèles de référence.

Jérôme Weiss

Jérôme Weiss

Jérôme Weiss est directeur de recherche du CNRS au laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’environnement (LGGE). Ingénieur de l’Ecole Normale Supérieure de Géologie (Nancy), il est spécialiste de complexité et lois d'échelle dans la déformation et la fracturation des objets géophysiques et en particulier de la banquise.

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Frédéric Decker

Frédéric Decker

Météorologue - Climatologue à MeteoNews et Lameteo.org

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Atlantico : Un récent rapport du National Snow and Ice Data Center (NSIDC, fondé par la Nasa) dévoile que la surface de la banquise en Antarctique serait supérieure de 2.1 millions de kilomètres carrés aux prévisions de la période de l'année. Comment expliquer un tel phénomène ?

Frédéric Decker :Les modèles climatiques ont leurs limites. Ils l’ont d’ailleurs déjà démontré en échouant sur l’accélération du réchauffement prévue pour la décennie 2000-2010 à l’échelle planétaire. Au lieu de cela, la température moyenne globale de notre planète a stagné, voire très légèrement augmenté. C’est aussi le cas dans les prévisions de comportement des banquises arctique et antarctique.

Le fait que la banquise antarctique progresse cette année n’est pas très étonnant. La variabilité naturelle du climat fait que ce type de fluctuation reste "normal". La Terre vient de connaître son deuxième printemps le plus chaud depuis la fin du 19e siècle, juste derrière le printemps 2010. Plus régionalement, l’Antarctique a connu des mois conformes aux moyennes de saison, voire un peu froid depuis ce début d’année.

Avec plus de 12 millions de km2 d’extension des glaces et de la neige, l’hémisphère Sud bat en effet un record de forte extension. D’ailleurs, en contradiction avec le réchauffement global, cette extension est régulière depuis les premières mesures en 1979, à l’inverse de l’hémisphère Nord et donc de la zone Arctique qui voit la couverture de neige et de glace réduire progressivement.

Jérôme Weiss : La NSIDC est un organisme qui effectue un suivi quasi journalier des étendues des glaces de mer à partir des données satellitaires depuis un peu plus d’une trentaine d’années, que ce soit pour l’Antarctique ou l’Arctique. Il faut rester prudent car il se trouve que contrairement à l’Arctique, la glace de mer de l’Antarctique est annuelle, c’est-à-dire qu’elle grossit en hiver (l’été pour nous) et disparaît quasiment en été. De ce fait, les variations entre les années sont très importantes, c’est ce qu’on appelle la variabilité interannuelle.

Malgré tout, il est vrai que depuis quelques années, il y a une tendance globale à l’augmentation des étendues glacées, et qui est suffisamment importante pour qu’elle remette en cause les modèles de simulation.

Pourtant, le programme de modélisation de l'évolution des banquises utilisé par les Nations-Unies prévoit une diminution de sa surface, et non une augmentation. Peut-on mettre en cause les paramètres qui le composent ?

Frédéric Décker : Les modèles climatiques échouent régulièrement, comme je le disais plus haut, plus encore sur les projections des précipitations à venir. Le cas de l’Antarctique est toutefois particulier : le réchauffement est peu marqué, et concerne essentiellement la frange littorale du continent glacé ; une grande partie intérieur de l’Antarctique stagne, voire se refroidit ! Ce léger réchauffement côtier s’accompagne de précipitations plus abondantes que dans un passé récent, augmentant donc la masse neigeuse près des côtes, neige qui se transforme en glace et donc en banquise lors des hivers extrêmement froids de cette partie du monde. Cette extension est donc logique, elle pourrait même perdurer dans les années, voire les décennies à venir avant, peut-être, un recul ultérieur. Les climatologues planchent régulièrement sur les modèles climatiques qui demandent fréquemment des réglages. Nul doute que les prévisions à long terme vont progresser, mais lentement en fonction de la meilleure compréhension de certaines interactions, notamment entre les océans et l’atmosphère.

Jérôme Weiss : Le paramétrage de ces modèles est extrêmement complexe. Il doit prendre en compte de nombreuses données, concernant les océans, les sols, les vents, le climat… Même pour l’Arctique, ces modèles n’ont pas été capables de modéliser la vitesse du déclin de la banquise. On le voit aujourd’hui pour la zone Antarctique.

A quel point ce phénomène remet-il les différents scénarios du dérèglement climatique en question ?

Frédéric Decker : Le climat terrestre est très complexe. Parler de dérèglement est d’ailleurs erroné puisque, par définition, le climat terrestre n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais linéaire, donc jamais "réglé". Réchauffements et refroidissements se succèdent depuis toujours, notre planète a d’ailleurs été beaucoup plus chaude qu’aujourd’hui il y a plusieurs millions d’années (mais la configuration géographique a changé depuis en raison de la dérive des continents).

Le réchauffement climatique, puisque c’est de cela qu’il s’agit notamment depuis les années 70, est mesuré et confirmé. Les tendances climatiques vont dans le sens de la poursuite de ce réchauffement, mais les modèles restent assez indécis sur la rapidité et l’intensité de ce réchauffement. Des phénomènes naturels sont d’ailleurs susceptibles de contrarier ce réchauffement…

Jérôme Weiss : Il faut effectivement prendre ces scénarios avec des pincettes. D’autant qu’il y a une carence en données scientifiques, pour l’épaisseur de ces banquises comme on le disait tout à l’heure par exemple. Il ne faut pas prendre ces modèles pour ce qu’ils ne sont pas, il faut intégrer l’idée qu’ils sont du domaine de la spéculation, au plus proche de la réalité, certes, mais imparfaits quand même.

On ne comprend pas vraiment l’origine des variations pour l’antarctique, mais il y a plusieurs possibilités de réponses. D’une part, le continent antarctique est une des régions du globe où le réchauffement climatique est le moins marqué. Il y a une circulation atmosphérique et océanique (40ème rugissants, 50ème hurlants) qui diminue sa sensibilité aux températures autour d’elle.

Il y aurait une autre explication, plus paradoxale, consistant à expliquer ce phénomène en tant qu’effet secondaire du réchauffement climatique. Le réchauffement provoquerait une augmentation de l’humidité, transformée en neige, et qui déposée sur la mer en masse provoquerait un gel de sa surface. Ce qui est sûr, c’est qu’au regard des statistiques qui montrent une augmentation des étendues de la banquise en antarctique depuis plusieurs années, la communauté scientifique se demande s’il n’y a pas quelque chose de significatif qui est en train de se produire et que l’on n’avait pas prévu.

De quoi est-on aujourd'hui sûr en ce qui concerne le dérèglement climatique, et son effet sur la diminution de la banquise ? 

Frédéric Decker : Justement, nous ne sommes sûrs de rien. Le climatologue ou le scientifique qui affirme être sûr de quoi que ce soit dans ce domaine est à côté de la plaque ! Le climat est complexe, certaines de ses subtilités nous échappent encore, et nous avons toujours à apprendre à ce sujet.

Bien sûr, le réchauffement actuel occasionne une diminution de la banquise Arctique qui se confirme depuis la fin des années 70 (début des mesures fiables). Mais  je rappelle que le climat arctique s’est brutalement refroidi entre la fin des années 40 et 1979 (d’où une extension de la banquise), avant de connaître un nouveau réchauffement (comme entre 1900 et 1945). La poursuite du réchauffement va donc probablement maintenir la fonte des glaces de l’hémisphère Nord. La situation plus complexe de l’Antarctique laisse à penser que son expansion pourrait perdurer ces prochaines années. Ce continent est si froid qu’un réchauffement d’un degré ou moins ne suffit pas à faire reculer sa banquise. Un réchauffement plus intense pourrait peut-être inverser cette tendance. Mais le conditionnel reste de rigueur…

Jérôme Weiss : On est sûr qu’il y a effectivement un réchauffement partiel, morcelé de la planète. En Arctique, la diminution de la banquise ne fait aucun doute. Mais on doit encore travailler à mieux comprendre ce phénomène, à mieux en établir l’impact.

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