L'Irak sera-t-il la rédemption de Bachar el-Assad ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président syrien aurait ordonné des frappes aériennes à la frontière irakienne
Le président syrien aurait ordonné des frappes aériennes à la frontière irakienne
©Reuters

Reset ?

Selon le Premier ministre irakien Nouri Al-Maliki, la Syrie aurait mené des frappes aériennes afin de stopper au niveau du poste-frontière d'Al-Qaïm les insurgés sunnites de l'EIIL. Un acte qui pourrait être involontaire mais qui révèle quoiqu'il arrive une nette recomposition des relations diplomatiques au Proche-Orient

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Peut-on dire à la suite des frappes de l'aviation syrienne à la frontière irakienne qu'une implication des forces de Bachar el-Assad puisse avoir un impact réel sur l'évolution du conflit en Irak ?

Alain Chouet : En premier lieu, il faut observer que la frontière n’apparaît pas clairement vue d’avion dans la zone considérée et il est possible que les pilotes syriens - qui ne sont pas tous d’un excellent niveau - aient frappé par erreur en territoire irakien. D’autre part, compte tenu de la débandade totale des forces gouvernementales irakiennes dans cette région, les frappes ont pu être volontaires en vue de faire face la menace pesant directement sur le territoire syrien. Dans tous les cas, il est peu probable que des frappes de ce genre aient un impact profond sur la situation en Irak. Si l’armée syrienne était capable de changer la donne en Irak, elle serait capable de la changer sur son propre territoire, ce qui est encore loin d’être le cas.

Cet acte semble profiter, au moins marginalement, aux intérêts des Américains toujours plus inquiets de la progressions des djihadistes sunnites. Peut-on voir paradoxalement la situation irakienne comme une opportunité pour Damas de redorer son blason sur la scène internationale ?

Il y a évidemment une convergence objective d’intérêt pour donner un coup d’arrêt à la progression des djihadistes entre le pouvoir syrien et la communauté internationale, en particulier les Américains dont on observe tout de même une grande irrésolution et un grand attentisme face à l’offensive militaire des salafistes. Bashar el-Assad a tout intérêt à se porter en pointe du combat. Il poursuit ainsi sa stratégie qui consiste à obliger la communauté internationale à le regarder pour ce qu’il est : un dictateur, certes, mais un dictateur qui - contrairement au gouvernement irakien - bénéficie d’un vrai soutien d’une part importante de sa population, qui garantit l’existence des minorités, qui garde le contrôle de son armée, qui est le dernier rempart régional arabe contre le djihadisme et à qui les Occidentaux devraient donc être reconnaissants au lieu de lui lancer des anathèmes.

M. Maliki a déclaré cette attaque comme "bienvenue" bien qu'elle représente une violation évidente de la souveraineté irakienne. Peut-on imaginer qu'il y ait eu concertation entre Damas et Bagdad sur ces frappes ?

Compte tenu du désordre régnant au sein de l’appareil de pouvoir irakien et du commandement de son armée, il n’est pas du tout évident qu’il y ait eu une concertation quelconque. Nouri al-Maliki dont le pouvoir est à la dérive est prêt à accepter n’importe quelle manifestation d’aide ou de soutien. Son armée se débande, les Américains hésitent à intervenir, les Kurdes profitent de la situation pour s’autonomiser, les milices chiites irakiennes lui marchandent leur soutien et tout le monde semble parier sur sa chute. Ce n’est certainement pas lui qui va s’indigner d’une « violation de la souveraineté nationale » quand un voisin vient à son aide.

Washington a immédiatement réagi suite au raid aérien et a condamné "toute intervention syrienne en Irak". Cette déclaration n'est-elle pas révélatrice d'une perte de contrôle toujours plus notable de la diplomatie américaine dans la région ?

La diplomatie américaine est manifestement à l’épreuve. On n’entend pas beaucoup les Etats-Unis quand l’Arabie, le Qatar, le Koweït ou la Turquie interviennent ouvertement dans les désordres de Syrie et d’Irak. Ou quand le Maréchal Sissi restaure en Égypte une dictature bien plus oppressive que le régime de Bashar el-Assad. Ou quand la Libye sombre dans l’anarchie sanglante. Ou quand le Président Obama débloque 600 millions de dollars au profit de l’opposition syrienne (laquelle ?) comme il vient de le faire hier. C’est une position qui va être de plus en plus difficile à tenir à mesure que la situation dégénère en chaos régional et s’analyse en marche victorieuse des ennemis djihadistes de l’Occident et de l’Amérique.

Comment comprendre à la lumière de ces événements l'évolution des rapports entre les différents pays de ce que l'on appelait jusqu'ici "l'arc chiite" alors que Téhéran vient d'engager des drones de surveillance sur le sol irakien ?

Les erreurs de gestion de Nouri el-Maliki ont fait de l’Irak le maillon faible de « l’arc chiite » qui va de Téhéran jusqu’au sud Liban en passant par Baghdad et Damas. L’Iran ne peut pas abandonner l’Irak aux extrémistes sunnites mais ne peut pas non plus s’engager trop en avant sans un minimum de consensus international et un accord au moins tacite de Washington. Il lui faut donc préparer le terrain en laissant la situation se dramatiser, en jouant la chute de Maliki au profit d’un chiite plus consensuel, en manifestant une solidarité des forces chiites de la région, en démontrant l’impuissance et les contradictions des Occidentaux dans le conflit. Il y a la tous les ingrédients d’une tragédie durable qui contraindra certainement les Américains et les Européens à des révisions déchirantes de leurs certitudes et de leurs alliances.

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