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Guerre des programmes scolaires : un abus d’idéologie tellement français (alors qu’il serait si simple de réconcilier concrètement compétences et connaissances)
©Reuters

Pourquoi faire simple...

Le président du Conseil supérieur des programmes Alain Boissinot chargé de revoir les programmes scolaires vient de démissionner afin de tenter de "dépasser les polémiques".

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Le président du Conseil supérieur des programmes, Alain Boissinot, chargé de revoir les programmes, notamment le "socle commun de compétences et de culture", vient de démissionner. Ce dernier a déclaré l'avoir fait dans le but de "dépasser les polémiques" opposant d'un côté les partisans de l'approche "compétences" dans un ensemble école-collège aux partisans d'un enseignement secondaire organisé par disciplines dans un ensemble collège-lycée. Quelles sont les grandes différences qui caractérisent ces deux approches ?

Pierre Duriot :La connaissance est l'apprentissage et la mémorisation de règles et de concepts connus, comme par exemple les règles d'orthographe, qui doivent être comprises et mises en sens pour devenir une compétence : savoir écrire un texte inconnu sans faute. Dit comme cela, tout paraît clair, mais il faut se souvenir que récemment, lors d'une polémique sur la correction de la dictée, il a été proposé une compétence vue d'une manière qui a insupporté de nombreux professeurs. Imaginons que dans la dictée en question, l'enfant écrive "Les petits chats joues", il s'est trompé à "jouent" mais le correcteur doit lui compter la "compétence du pluriel", au prétexte qu''il a vu que ce verbe devait être au pluriel et qu'il a tenté, même fausse, une marque du pluriel. Pareil quand dans un problème, un enfant fait une addition là où il doit la faire mais se trompe en la comptant. Il aurait à ce titre la compétence de l'addition. Sauf que le problème est faux. On n'est alors ni dans la compétence, ni dans la connaissance, on est dans le concept fumeux destiné à exonérer les fautes et voir des points là où il n'y en a pas.

A la différence de l'industrie mécanique, où le pied à coulisse mesurant la pièce renseigne immédiatement et sans ambages sur la qualité de l'ouvrier, nous sommes dans la pédagogie et comme nous en avons l'habitude, tout y est justifiable avec aplomb. L'approche par compétence, sur le papier, est séduisante, celle qui consiste à mettre en sens des connaissances pour résoudre un problème pratique. Mais si ce n'est qu'une manière d'aller chercher un maximum de points sous des prétextes alambiqués, alors oui, on peut polémiquer.

Concilier les approches "compétences" et "connaissances" est-il possible ? Et surtout est-ce souhaitable ?

Non seulement c'est possible, mais c'est même l'essence de l'apprentissage qui veut qu'on n'apprenne pas les choses pour les répéter comme un perroquet. La connaissance est un réservoir dans lequel l'élève pour son travail scolaire et plus tard l'adulte pour sa contribution au progrès, puise pour créer de nouvelles compétences, lesquelles ne peuvent être créées à partir de rien. La connaissance, l'apprentissage et la mise en sens des concepts doit déboucher sur des capacités à articuler la somme des savoirs pour les utiliser à des tâches concrètes. Si l'on se penche sur les résultats des enquêtes PISA pour la France, il apparaît clairement que l'étape qui permet de passer à la mise en en sens et à l'application est celle qui pèche. Nos élèves apprendraient de manière trop mécanique et ne seraient justement capables majoritairement que de répéter comme des perroquets. Il faut y voir le bachotage, le passage trop rapide à l'abstraction, une manière d'enseigner qui conduit à une mise en sens et une exploitation pratique du savoir seulement chez les bons élèves.

Comment pourrait-on s'y prendre pour les concilier ?

Les recettes sont connues et il faut à se stade prendre un exemple. Dans les années soixante, quand en CM2, on étudiait les engrenages, le maître mettait un vélo à l'envers sur le bureau et les élèves marquaient une dent du pédalier et une autre du pignon et l'on comptait le tout, avec les tours de pédales. Puis on déclinait avec un Méccano ou des Lego et tout le monde ou presque comprenait la proportion et les sens de rotation. Tout cela se fait aujourd'hui, avec un vélo dessiné sur un fichier de mathématiques. Illustration d'une forme devenue par trop abstraite, qui fait que ne comprend bien que l'élève dont les parents lui montrent le parallèle avec le vélo le soir à la maison, ce qui n'est pas le cas chez tout le monde.

Ceci dit, rien n'empêche un professeur de continuer avec la méthode pratique, encore faudrait-il que la formation suive. Pour que les professeurs forment bien les élèves, il serait important qu'ils soient eux-mêmes bien formés. Avec cette connaissance, héritée de la leçon sur le vélo, l'enfant pourra "inventer" un mécanisme à la maison, avec ses Lego ou dans le cadre d'un bricolage, mais cela se fait-il encore ? Il faut réfléchir plus avant dans ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler la "compétence". Autre exemple, la compétence du marin d'aujourd'hui est-elle de savoir relever la latitude et la longitude avec des outils sommaires et se situer sur une carte après un calcul ou de savoir utiliser le GPS ? On perçoit bien dans cet exemple que celui qui détient la compétence n'est pas celui qui utilise même bien le GPS mais celui qui le fabrique, car en cas de panne de l'engin, le marin est perdu. Il en est de même pour notre élève moderne, à la fois soumis à un enseignement trop abstrait et dépendant des outils informatiques sensés raisonner à sa place. Ce que nous avons perdu dans l'affaire est bien le travail de la matière grise : donner du sens, raisonner, inventer, créer.

Est-il souhaitable dans une logique "compétence" de faire disparaître le brevet des collèges ?

C'est un autre débat, on peut très bien proposer des épreuves du brevet où la compétence soit requise. La question de la suppression de ce brevet est surtout de savoir si on base l'évaluation de l'élève sur la régularité de son travail ou sur sa performance brute le jour de l'épreuve, jour où il peut faire mieux qu'à l'habitude mais aussi faire moins bien, voire être malade ou accidenté. Dans ce domaine, les considérations sont autres, plus politiques que pédagogiques. Il est surtout question de maintenir un examen au prétexte que le parent électeur y tient, comme d'ailleurs au bac, puisqu'il l'a passé lui même et que le vieil adage "Passe ton bac d'abord" est bien vivace. Il est certes un peu moins prégnant pour le brevet des collèges mais ce n'est pas une question qui se règle facilement par la suppression de l'examen devenu rite initiatique pour les parents électeurs.

Comment revoir aujourd'hui les programmes de manière à ce que les élèves en sortent gagnant ?

Là encore, la rentabilité politique n'est pas forcément que l'élève en sorte gagnant. Les questions de programme, de temps scolaire, de contenus, fonctionnent plus sur des modes idéologiques, de contentement immédiat de l'électeur, de compromis avec l'industrie du tourisme et autres... On prend en compte le bien être de l'élève et l'adhésion de ses parents plus que la compétence et le résultat scolaire, preuve en est, nous dégringolons régulièrement dans les classements internationaux et n'arrivons pas à juguler le flot des enfants sortant du système sans le moindre dipôme, signes qui ne trompent pas sur la fausse route des considérations la plupart du temps invoquées pour justifier telle ou telle réforme. Les derniers avatars réformistes, les bagarres incessantes avec les spécialistes sur, par exemple, "la dimension arabo-musulmane de l'histoire de France" ou "le genre", la volonté de faire en sorte que tout le monde arrive au bac, mais quel bac ? montrent bien que le souci premier en matière de de réforme scolaire tient surtout de l'idéologie et de la stratégie électorale.

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