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Ségolène Royal : la transition énergétique dont nous n’avons pas les moyens
©Reuters

Désirs d'avenirs... pas financés

Prévu initialement pour le 11 juin, l'examen du projet de loi sur la transition énergétique au conseil des ministre sera décalé d'une semaine faute de consensus sur le financement de la mesure. Un fait qui s'explique par le coût du projet qui pourrait monter jusqu'à 20 milliards d'euros... par an !

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Atlantico : Le gouvernement affiche comme objectif de passer à 40% d'énergies renouvelables d'ici 2030. Avons-nous les moyens de cette transition énergétique ? Où le gouvernement pourrait-il trouver cette somme actuellement ? 

Rémy Prudhomme : Tout d'abord, il y a ambiguité sur la notion d'électricité "verte". Est-ce que cela inclut l'hydraulique, qui fait déjà 10%, ou seulement l'éolien, le solaire et la biomasse ? Même si l'on inclut l'hydraulique, cela ferait 30%, ce qui est déjà considérable. Il n'est pas habituel de présenter le coût en termes d'investissement initial. L'électricité verte se développe sur la base d'obligations d'achat : la loi oblige EDF à acheter toute l'électricité verte produite, même si l'on n'en a pas besoin, et durant une vingtaine d'années,  à des prix  fixés à l'avance et qui sont très élevés, de 100 à 300 €/Mwh, bien plus élevés que le coût auquel est produite l'électricité nucléaire (au plus 50 €/Mwh) ou que le prix auquel l'électricité s'échange sur le marché (qui fluctue beaucoup, autour d'une moyenne proche de  50€ environ également). Il s'ensuit donc un surcout, qui est la différence entre le prix d'achat obligatoire (disons 150 en moyenne) et le prix de référence (disons 50), soit 100 €/Mwh. 

Avec 30% de la production actuelle, qui est d'environ 500 Twh, font 150 TWh, et un surcout de 150 Twh x 100 €/MW, ce qui fait 15 milliards d'euros par an. Avec 40%, on aurait 20 milliards d'euros par an. C'est l'ordre de grandeur de ce que coûte le système allemand. En prenant 150 €/MWh, je ne force pas la note. Si l'électricité verte est de l'éolien en mer, cela coûtera plus cher. La très sérieuse et officielle CRE (Commission de Régulation de l'Energie) a déclaré que le surcout lié aux éoliennes en mer du premier appel d'offre, qui produiront en principe 7 TWh, était de 1,1 milliard d'euros chaque année. Cela fait 24 milliards par an pour 150 TWH.

L'Etat sera-t-il dans l'obligation de recourir à l'impôt pour financer cette transitition énergétique ?

Ce surcoût sera payé soit par la hausse des prix de l'électricité, soit par l'impôt. Dans les deux cas, il diminuera le niveau de vie des Français de 15 ou 20 milliards chaque année, ce qui représente une baisse de niveau de vie de 1,5 à 2%. D'une façon générale, l'adoption d'une technologie plus efficace est une facteur de croissance. L'adoption d'une technologie moins efficace (ici trois fois plus coûteuse) est évidemment un facteur de décroissance.

Selon une source proche du dossier, le démantèlement des centrales nucléaires serait une prérogative laissée à EDF si les raisons sont économiques, ou à l'ASN si la sécurité du lieu est mise en cause. Quels sont les autres coûts que devra supporter l'état pour appliquer son projet de loi ?

Le calcul ci-dessus est en effet une évaluation basse. Il ne prend pas en compte

  • Premièrement que l'électricité solaire et éolienne est intermittente (le solaire fonctionne 12% , l'éolien environ 25%, des 8760 heures d'une année) et surtout imprévisible,
  • Deuxièmement que cette électricité est produite en un grand nombre de points au lieu de l'être en un petit nombre de points. 

    Rien ne peut garantir qu'elle sera présente au moment des grandes pointes des soirs d'hiver (on sait seulement que le solaire sera évidemment absent). Pour se prémunir du risque de panne, il faut donc construire des centrales au gaz faciles à démarrer. Mais ces centrales qui fonctionneront rarement ne seront pas rentables, et devront donc être subventionnées. D'où un coût supplémentaire.

Du côté des ménages, n'y a-t-il pas à terme un risque de voir le prix de l'électricité augmenter, comme cela a été le cas en Allemagne à la fermeture de leurs centrales nucléaires ?

Cela n'est pas un risque, mais une certitude. Sauf si le surcoût est financé par un impôt supplémentaire. Les hausses de prix ne frapperont pas seulement les ménages, mais également les entreprises. Actuellement, le prix qu'elles payent est pratiquement le plus bas d'Europe. C'est l'un des rares avantages compétitifs des entreprises françaises: la transition proposée, si elle se réalise, affectera la compétitivité des entreprises.

Comment serait-il possible, dans le contexte actuel, de procéder à une transition énergétique plus cohérente ?

Le système de production de l'électricité français est l'un des meilleurs du monde, grâce à un important parc nucléaire largement amorti, et subsidiairement des centrales hydrauliques. Il produit une électricité bon marché, propre (pas de CO2, ni de particules),  et disponible. C'est l'une des rares forces de l'économie française. Il y a quelque masochisme à casser ce qui marche sans raison sérieuse. Pour les vingt années à venir, il n'y a pas grand chose à faire. Améliorer la sécurité des centrales nucléaires, comme le demande l'ASN. Chercher du gaz de schiste. Au delà, lorsque les centrales nucléaires prendront leur retraite, il faudra décider quoi faire: en construire de nouvelles ? Lesquelles ? Peut-être même faire du solaire si l'on a enfin trouvé le moyen de stocker de l'électricité et si les coûts se sont enfin effondrés ?

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