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Marine Le Pen : l'heure de tuer le père est arrivée... mais pas forcément celle de la liquidation totale de sa ligne politique
©Reuters

Le changement, ça n'est pas maintenant

Les propos de Jean-Marie Le Pen sur la "fournée des artistes" ont provoqué d'importants débats au sein du FN. Un dérapage que sa fille Marine a condamné. Entre le besoin de "débrancher" son père et la nécessité de conserver sa ligne politique traditionnelle, la présidente du FN est confrontée à un dilemme.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : Marine Le Pen a regretté la "faute politique" de son père quant à son utilisation du terme "fournée", certains y ayant vu une connotation antisémite. Les obsessions de Jean-Marie Le Pen sur l'antisémitisme ou encore sur la guerre d'Algérie parlent-elles encore vraiment ? A qui ? 

Yves-Marie Cann : Jean-Marie Le Pen a un langage plus clivant, plus tranchant et plus net que la nouvelle génération du FN qui par le choix des mots ou des sujets apparaît comme plus lisse et plus polis qu’auparavant. Jean-Marie Le Pen incarne toujours auprès du noyau dur base électorale et militante un courant qui reste présent au sein du FN. Il s’adresse à un public particulier : la frange militante la plus âgée, d’origine pied noir, qui était une partie du fonds de commerce électoral du FN par le passé, mais aussi auprès d’éléments extrémistes.

Olivier Rouquan : Jean-Marie Le Pen a un ancrage dans le Sud Est de la France, où il y a une population pied noir. La guerre d’Algérie est un conflit qui trouve encore échos chez les plus de 70 ans. Il y a un noyau dur et vieillissant du parti qui peut être intéressé par ce discours, celui qui a été le moteur de l’ascension du FN dans les années 1980. Il faut rappeler que Jean-Marie Le Pen pratique cet exercice répété depuis des années et cela fait d’autant plus désordre que ça créer des soucis en interne.

Dans la mesure où le FN tente de séduire un nouvel électorat, Marine Le Pen a-t-elle raison de vouloir se "débarasser" de l'héritage de son père ?

Yves-Marie Cann : Lorsque Marine Le Pen est arrivée à la tête du FN, le parti avait mauvaise presse et était moribond. Cela s’expliquait aussi par les excès de Jean Marie Le Pen commis dans le passé. Tout ça, elle a réussi à le mettre sous le tapis, l’image du FN s’est lissée au cours des dernières années. On n’a pas retrouvé les excès de langage chez Marine Le Pen depuis 2011. 

Olivier Rouquan :Il y a un double jeu stratégique installé depuis des années. Il faut distinguer le jeu de rôle entre Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du parti et représentant le parti traditionnel, et sa fille incarnant la dynamique avenir qui normalise le FN. Est-ce que ces propos vont trop loin et déséquilibres ce double-jeu ? Les condamnations de Marine Le Pen et les autres sont-elles sincères ou prorogent ce double jeu ? Difficile à dire… Marine Le Pen a en outre du mal à former son groupe au Parlement européen mais la sortie de son père lui permettra peut-être de se servir d’alibi pour dire "ce n’est pas de ma faute s’il n’y a pas de groupe politique". 

Les dérapages du père ne risquent-t-ils pas de priver le parti de tout un électorat adhérant à la ligne du FN en raison de la montée de l'antisémitisme dans le monde arabo-musulman ? 

Yves-Marie Cann : La communauté juive est un électorat qui penche plutôt à droite mais les outils ne permettent pas d’en tirer un enseignement. La communauté juive pèse en effet trop eu pour en tirer des enseignements et analyser cet électorat. Ce type de dérapage peut envoyer des signaux négatifs à la communauté juive. Les personnes de confession juive pourraient être tentées de voter FN mais les contre-feux lancés par Marine Le Pen peuvent éteindre l’incendie et isoler Jean-Marie Le Pen.

Olivier Rouquan : L’électorat du FN est assez composite du fait de sa capacité à représenter tous les mécontentements des populations défavorisées. Le parti a un rôle de canalisation des frustrations et des mécontentements. Il dénonce des communautés étant prétendues ennemis de la France mais c’est à géométrie variable. Il essaye d’être une sorte de parti attrape-tout de toutes les protestations. Il va devoir pour longtemps encore se jouer de ses ambivalences et gérer des contraires.

Néanmoins, dans quelle mesure les ressorts de vote frontiste demeurent les questions d'immigration et l'insécurité ? Dans ce cas, Marine Le Pen aurait-elle raison de faire le ménage ?

Yves-Marie Cann : C’est une dimension qui est toujours importante mais il y a une lecture géographique à faire et des disparités assez fortes. En effet, c’est le rapport à l’identité qui prédomine dans le Sud de la France tandis que dans le Nord, c’est plus l’immigré qui selon l’électorat profite du modèle social ou qui est soupçonné de prendre des emplois. La figure de Jean-Marie Le Pen peut rassurer une partie de l’électorat frontiste. 

Olivier Rouquan : elle a elle-même déjà clairement indiquée que le FN restait un parti identitaire, avec une conception communautaire et fermée de la nation France, avec la préférence nationale et la référence aux français de souche. Il y a une continuité et un fond idéologique qui reste tout de même constant. La politique très ferme au niveau migratoire n’est pas remise en cause dans le programme du FN et c’est le marqueur identitaire de ce parti depuis très longtemps. Les fondamentaux ne peuvent pas être bousculés en peu de temps. 

A vouloir dédiaboliser le parti et compte-tenu de la nouvelle ligne politique incarnée par des personnalités comme Florian Philippot, Marine Le Pen ne risque-t-elle pas de perdre l'une des forces d'une formation qui s'est jusqu'alors voulu anti-système ?

Yves-Marie Cann : Je ne pense pas car Marine Le Pen a fait la preuve de l’efficacité de sa stratégie. Ces performances électorales valident sa stratégie et sa légitimité au sein du FN, aucune voix ne remet en cause sa ligne car il y a une dynamique autour d’elle. A contrario, Jean-Marie Le Pen apparait comme quelqu’un de marginalisé.

Olivier Rouquan : un clan ne va jamais à la désunion totale. Là il y a un conflit qui semble important même si on ne peut pas négliger la dimension tactique. Le FN a des résultats électoraux qui sont favorables, a plus d’élus, forme des cadres… cette dynamique va perdurer. Il y a un risque de conflit interne mais le parti est cimenté par ce clan et par l’idéologie de la discipline. Les militants du parti sont soudés par une idéologie autoritaire et discipliné et ils condamnent les facteurs de désordre. Jean-Marie Le Pen ne sera pas ostracisé, ce serait de la politique fiction de l’imaginer.

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