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Dessine-moi (vite, vite) une réforme territoriale... pourquoi François Hollande s’y prend de la pire manière possible (et passe à côté des bonnes raisons de la faire)
©Reuters

Fallait y réfléchir avant

Dans une tribune publiée ce mardi 3 juin dans plusieurs quotidiens régionaux, François Hollande dévoile le contenu d'une réforme territoriale qui a souvent changé. Problème sur la méthode, manque de cohérence territoriale du découpage, réduction des coûts plus faible qu'annoncée : ce projet qui avait tout pour réussir sur le papier n'est pas à la hauteur des enjeux.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : François Hollande avait promis de mettre en place la réforme territoriale. Moins de deux mois après sa relance par Manuel Valls, le président dévoile son plan. Que faut-il penser de la méthode employée ? Y a-t-il une logique derrière le redécoupage proposé par le gouvernement ?

Jean-Luc Boeuf :La méthode employée actuellement par l'Etat pourrait s'apparenter à celle d'un chef militaire stoppé devant un obstacle - celui des finances publiques - et qui chercherait par tout moyen à y échapper en faisant diversion. La diversion, c'est celle de la carte territoriale, brandie comme les nouvelles tables de la loi du quinquennat. Le gouvernement a certes "reçu" les élus mais ne les a pas écoutés ; le Président de la République a peut-être "entendu" les représentants des partis mais, là aussi, sans les écouter. Pour ce qui est de la logique du gouvernement, s'il y en a une, elle est difficile à percevoir et c'est un euphémisme que de le souligner, tant les positions ont varié depuis la conférence de presse du Président de la République de janvier 2014. Le dernier épisode en date a trait à la question de la région des Pays de la Loire qui, depuis deux jours, change de rattachement à chaque message gouvernemental.

Laurent Chalard : Jusqu’ici, tous les projets de réforme globale de l’administration territoriale du pays n’ont jamais abouti, donc si le gouvernement de Manuel Valls souhaite qu’elle se concrétise cette fois-ci, il sait qu’il ne doit pas tergiverser mais aller droit au but pour prendre de court les éventuelles levées de bouclier contre le projet, d’autant que ce ne n’est pas une priorité de la population française. Il s’agit donc d’essayer de faire passer la réforme d’ici l’été, en faisant le pari que les citoyens n’auront rien à y redire. En conséquence, le gouvernement ne s’inscrit pas dans une logique de concertation, mais d’imposition d’une nouvelle organisation administrative aux élus et à la population, cette dernière n’étant pas du tout consultée. C’est une décision purement technocratique et c’est probablement le principal reproche que l’on peut lui faire, avec le risque inhérent à ce type de réforme accélérée de confondre vitesse et précipitation. La logique est assez simple, il s’agit de réduire le millefeuille administratif français en supprimant, ou tout du moins en vidant de sa substance, un échelon, en l’occurrence le département, qui plus est traditionnellement acquis à la droite, du fait de son mode de scrutin, à l’origine d’une surreprésentation des territoires ruraux. Le gouvernement fait donc d’une pierre deux coups, mêlant à la fois intérêt national et potentiel intérêt de son camp politique, même si ce genre de calculs s’avère souvent a posteriori contre-productif !

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François Hollande avait promis "simplification et clarification". Ce redécoupage répond-il à la clarification des compétences ?

Jean-Luc Boeuf : Le discours de Dijon du candidat à l'élection présidentielle François Hollande sur la décentralisation, en mars 2012, était simple. Il tenait en deux expressions : "sus au conseiller territorial !"- qui devait siéger à la fois au département et à la région -  et "retour à la clause générale de compétence" qui permet aux communes, départements et régions d'intervenir dans le champ de compétences des autres collectivités. Le conseiller territorial a été aboli très rapidement ; ce qui n'empêche pas certains élus de se demander si, après tout, ce n'était pas la moins mauvaise des solutions... Quant à la clause générale de compétences, elle a été remise dans la loi dite "MAPTAM" (modernisation de l'action publique territoriale et de l'affirmation des métropoles) de janvier 2014. Mais l'encre de la loi n'était pas encore sèche que le Premier ministre d'alors se demandait publiquement si, tout compte fait, il ne faudrait pas revenir sur la clause générale de compétence. Pour ce qui est de la clarification des compétences, il faudrait plutôt parler de complexification !

Laurent Chalard : Concernant la "simplification", il est clair que la disparition d’un échelon va dans ce sens, par contre, au niveau de la clarification, il est encore trop tôt pour se prononcer en l’état actuel du projet. Tout dépend de la manière dont vont être réparties les compétences actuelles du département entre les régions et les intercommunalités. Il existe cependant un risque d’existence de compétences identiques entre les régions et les intercommunalités, en particulier les métropoles, ce qui pourrait conduire à des tensions importantes entre les échelons territoriaux dans les régions où les métropoles ont une taille importante. Nous pouvons penser par exemple aux compétences d’aménagement du territoire.

A côté de quels objectifs un tel plan fait-il passer, notamment en termes de réduction des finances publiques ?

Jean-Luc Boeuf : Il ne faut pas confondre "diminution du nombre des régions" et économies sur les finances publiques ! Et ce pour trois raisons. Tout d'abord, le PIB cumulé des régions actuelles représente actuellement 1% du PIB. Ce chiffre ne changera pas en les regroupant ! Pour la simple et unique raison qu'il s'agit de richesse redistribuée et non de richesse créée ! Or, le principe de toute économie est simple : il faut produire avant de distribuer. Ensuite, en rassemblant les régions par deux ou trois, on ne diminue pas les dépenses. Loin de là ! On peut en effet compter sur telle ancienne région pour revendiquer le siège du conseil économique, social et environnemental régional (CESER), sur telle autre pour accueillir les sessions de la commission permanente et sur la future capitale pour assurer le sessions plénières. On risque de ce fait de recréer ce que l'on critique dans les institutions européennes, écartelées entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. Enfin, la mutualisation tellement vantée va peut-être produire ses effets (à terme) sur les agents des services qui préparent les marchés publics. Mais quand bien même on souhaite effectuer les travaux "mutualisés" dans 200 lycées au lieu de les effectuer dans 70, 50 et 80 lycées, il conviendra toujours de réaliser lesdits travaux ! Ainsi, en termes de fonctions support (ressources humaines, finances, informatique...) il est douteux de penser que les dépenses vont diminuer. Au contraire, le système RH sera plus gros alors qu'il conviendra de garder une des "antennes" territoriales, départementales le plus souvent. La comparaison avec l'entreprise privée n'a ici pas de sens : lorsque deux entreprises fusionnent, le premier geste est de supprimer les doublons.

Laurent Chalard : Selon les spécialistes de fiscalité locale, les réductions de coût attendues ne seront pas aussi importantes que les promoteurs de la réforme veulent bien le faire croire, d’autant qu’en l’état actuel, il n’est pas prévu de supprimer complètement le département, ce qui sous-entend qu’il continuera de fonctionner avec son administration, et donc continuera d’avoir un coût pour le contribuable. En outre, il est probable que les nouvelles administrations régionales et intercommunales vont voir leurs effectifs fortement gonfler, ce qui fait que les réductions de coût dans certains endroits par disparition des structures administratives préexistantes risquent d’être compensées par des augmentations importantes dans les nouvelles centralités administratives. A l’arrivée, le bénéfice financier s’avèrera probablement relativement limité par rapport à l’ampleur de la réforme, interrogeant d’ailleurs grandement sur son urgence et, in fine, la précipitation dans laquelle elle a été menée.

En quoi ce plan manque-t-il par ailleurs de cohérence au plan territorial ?

Jean-Luc Boeuf : Ces mesures, contre-mesures, annonces diverses ne font en réalité que brouiller le paysage territorial ! En effet, en revenant à des considérations simples, la décentralisation se caractérise par trois éléments : un territoire, des compétences et des moyens financiers et humains.  Pendant des décennies, on s'est attaché à élargir les compétences, à augmenter les moyens des collectivités mais sans toucher aux périmètres, ou plutôt en créant à chaque fois de nouvelles entités. On est aujourd'hui sur une fin de cycle : les ressources ne peuvent plus être augmentées, les compétences "pâtinent" car il ne suffit pas de multiplier les co-financeurs ; encore faut-il pouvoir exercer convenablement tant le leadership que le financement. La vraie cohérence consisterait à avoir un discours clair quant à la vision d'ensemble territoriale que le chef de l'Etat entend proposer, présenter, assumer et défendre. Au lieu de cela, nous avons depuis janvier 2014 des annonces qui se superposent et se contredisent. Qu'on en juge plutôt : les dates changent (2017 ? 2021 ? 2014 ?). Les priorités fluctuent (un jour, on parle du département comme pérenne, le lendemain on parle de le supprimer, tout en se ravisant que, au passage, il "suffit" d'une réforme constitutionnelle. Qu'à cela ne tienne : on le maintiendra(it) mais on le videra(it) de ses compétences tout en ne sachant plus très bien s'il faut parler au présent ou au conditionnel. Les dates des élections oscillent elles aussi.

Laurent Chalard : Manifestement, l’enjeu premier du gouvernement a été de réduire (presque) de moitié le nombre de régions et non de créer des régions ayant une cohérence sur le plan territorial, ce qui aurait conduit à ne pas fixer un nombre définitif d’entités à atteindre. Ce choix est une erreur car les regroupements ne se feront pas tous suivant des logiques géographiques pertinentes, risquant d’aboutir à la construction de territoires sans grande cohésion interne et sans identité commune. Or, l’expérience aidant, il vaut mieux une petite région à l’assise territoriale solide et à la forte identité, comme l’Alsace, qu’un conglomérat de territoires sans points communs qui sera ingérable et source de conflits entre ses différentes composantes aux intérêts divergents. Nos dirigeants semblent suivre la logique simpliste qui consiste à penser qu’il suffit d’être plus gros pour être plus performant, témoignant de leur méconnaissance de la géographie économique de l’Europe, la richesse par habitant des régions étant bien souvent inversement proportionnelle à leur taille !

On sait que les barons locaux ont fraîchement accueilli cette réforme. La réforme territoriale telle qu’elle est proposée peut-elle convenir aux présidents de régions et des départements ou il y a t-il un risque de fronde des élus locaux ?

Jean-Luc Boeuf : La fronde des élus locaux est réelle. Elle dépasse les clivages partisans traditionnels. Une lecture rapide pourrait laisser croire qu'il s'agirait pour les présidents, majoritairement de gauche, de sauver leurs sièges. La réalité est plus large. En quelques semaines, les annonces des pouvoirs publics ont contribué à insécuriser pas moins de 300.000 agents départementaux que l'on jette en pâture à l'opinion publique aux cris de l'inefficacité publique. Le vrai sujet est celui des charges de personnel et la vraie question est que les agents bénéficient d'un statut protecteur en terme d'emploi. Pour y revenir, il faudrait changer le statut.

Laurent Chalard : Concernant les régions, il convient de rappeler que nous sommes dans une situation extrêmement favorable pour entreprendre une réforme puisqu’elles sont quasiment toutes gérées par la même formation politique, en l’occurrence le parti socialiste. En conséquence, il est beaucoup plus facile pour François Hollande d’imposer ses vues à ses troupes que s’il avait fallu regrouper des régions dirigées par des partis différents, ce qui aurait constitué un véritable casse-tête. Cependant, bien que le choix de base présidant aux regroupements soit assez simpliste, en l’occurrence, en règle générale, la fusion en entier de deux régions limitrophes, il n’empêche que certains élus locaux ont pu bénéficier de leur proximité et de leur influence sur le Président pour orienter en leur faveur les regroupements, comme il semble que ce fut le cas en Bretagne, qui va vraisemblablement restée seule alors que la logique géographique dans un schéma de France à 12 régions aurait dû mener à sa fusion avec les Pays de la Loire afin de faire de Nantes la grande métropole de l’Ouest français. La cohésion territoriale en prend un coup ! Au niveau des départements, les conseillers généraux, majoritairement à droite, ont tout à perdre et il serait surprenant qu’ils ne réagissent pas de manière virulente, d’autant que c’est l’échelon le mieux ancré historiquement. Cependant, le gouvernement étant de gauche, leurs moyens de pression seront limités, les conseilleurs généraux n’ayant pas spécialement bonne presse dans l’opinion publique, étant souvent considérés comme de petits baronnets locaux.

Finalement, François Hollande passe-t-il par précipitation à côté des réels enjeux de cette réforme ? Il existe pourtant de bonnes raisons de faire cette réforme territoriale. Quelles sont-elles et comment agir en ce sens ?

Jean-Luc Boeuf : La décentralisation et les questions territoriales ne sont pas des questions de "droite" ou de "gauche" ! Ce sont des sujets de majorité ou d'opposition. C'est ainsi que, historiquement, cela a fonctionné. On a ainsi pu observer, sur la longue durée, que telle force politique, dans l'opposition, préparait ses arguments et ses éléments pour les mettre en place une fois arrivée au pouvoir. C'est par exemple ce qui s'est passé dans les années 1960 et 1970 où la gauche était plus réformiste que les gaullistes. Au contraire, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la gauche s'est "seulement" opposée, sans proposer de véritable alternative crédible. La difficulté est que, une fois au pouvoir, le temps est beaucoup plus court pour l'équipe en place. Et chacun sait bien que les réformes non entamées en début de mandat ne se mettent que très rarement en place. C'est ce qui guette l'actuelle majorité. Car naturellement, personne n'est contre la réforme territoriale. Encore faut-il que, au plus haut sommet de l'Etat, un cap soit donné.

Laurent Chalard : Effectivement, cette réforme n’étant pas urgente par rapport aux deux grands problèmes majeurs de notre pays que sont la relance de l’emploi et l’adaptation de nos institutions au multiculturalisme, le gouvernement aurait pu faire le choix d’aller moins vite et de proposer une réforme après avoir bien réfléchi aux découpages, à travers l’utilisation de critères pertinents et la consultation d’experts de la question, mais aussi de nos concitoyens, qui ont légitimement leur mot à dire dans une démocratie, plutôt que de découper dans l’urgence. Comme pour le mariage pour tous, il semblerait que François Hollande préfère détourner l’attention des vrais problèmes des français plutôt que d’aborder frontalement les problèmes qui fâchent. C’est un pari risqué car si la réforme échoue, il aura tout raté. C’est une sorte de coup de poker final de sa part.

La réforme territoriale se justifie par trois principales raisons : la première raison est d’ordre budgétaire. La France étant considérablement endettée, elle a besoin de réduire les coûts de fonctionnement de son administration, ce qui passe par une diminution des effectifs de la fonction publique territoriale et une réorganisation des services décentralisés de l’Etat. La deuxième raison concerne la simplification de l’organisation administrative. La France souffre d’un millefeuille territorial, qui a eu tendance à se complexifier au fur-et-à-mesure du temps, puisque lorsque l’état créait de nouvelles structures, il ne supprimait jamais celles préexistantes. A l’arrivée, outre le coût élevé précédemment mentionné lié à une administration aux effectifs pléthoriques, l’organisation administrative de la France subit de nombreux maux tels que l’enchevêtrement des compétences, l’opacité des prises de décision ou encore la déconnexion avec le citoyen conduisant à la perte de légitimité de l’action publique. La troisième raison relève de l’aménagement du territoire. Dans l’optique d’une meilleure gestion, il convient d’adapter les territoires institutionnels aux territoires fonctionnels. En effet, les découpages administratifs ont peu changé depuis leur mise en place (les départements et les communes datent de la période révolutionnaire) alors que la géographie du pays s’est considérablement modifiée, avec le renforcement des grandes métropoles, dont les aires d’influence dépassent bien souvent les cadres administratifs préexistants. Il s’ensuit des décalages entre territoires institutionnels et fonctionnels constituant des freins pour une gestion des problèmes à la bonne échelle.

Propos recueillis par Julien Chabrout

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