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L'ABCD de l'obscurantisme
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Apprentis-sorciers

Une tribune de Jean-Marie Salamito à l’annonce de Benoît Hamon sur les expérimentations de l’ABCD Egalité.

Jean-Marie Salamito

Jean-Marie Salamito

Professeur à la Sorbonne et membre de l’Academia Europaea.

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Avec l’ABCD de l’égalité, à l’essai dans une dizaine d’académies, quelques pédagogues officiels s’imaginent abolir les inégalités entre filles et garçons. Beau projet, généreuse intention. Mais comment y croire ? Ce manuel regorge de naïvetés et de confusions. Il prétend viser l’égalité des femmes et des hommes, mais il met en œuvre leur indifférenciation.

Aux psychologues de signaler les risques que cette "expérimentation" fait courir à la construction d’identité sexuelle des jeunes enfants. Aux juristes d’expliquer comment l’État, en s’immisçant à ce point dans l’intimité des tout-petits, bafoue les droits des familles. Je souhaite seulement dire ici que cet ABCD procède d’une méprise sur l’idée même d’éducation.

Par son obsession de chasser les "stéréotypes de genre" (lesquels ne sont jamais définis), ce projet est plus négatif que positif. Il relève de la répression plutôt que de la formation. Or, la mission des enseignants ne consiste pas à considérer les enfants comme remplis de stéréotypes qu’on aurait le devoir de leur arracher, comme pervertis par des clichés dont il faudrait leur inculquer la honte, comme viciés par des familles dont on devrait les éloigner le plus possible. Va-t-on chercher des idées reçues dans le cerveau des gamins comme on fouillerait dans leurs cheveux pour en retirer des poux ? Non, éduquer, ce n’est ni rééduquer ni éradiquer. Ce n’est ni dresser ni redresser. Le redressement, il y a eu des maisons pour ça.

Éduquer, c’est faire confiance aux êtres humains, parler à leur intelligence et à leur liberté, reconnaître la force d’attraction du vrai, du bien et du beau, respecter l’élan vers le haut qui existe en chaque personne. Pari optimiste et courageux, fondé sur un humanisme très différent de cet hédonisme forcené auquel la gauche de pouvoir a récemment sacrifié ses idéaux.

C’est le savoir lui-même, avec sa rationalité, sa variété et ses ouvertures, qui libère, et non des gadgets de pédagogues en chambre. C’est le système scolaire et universitaire, avec sa richesse de disciplines et sa diversité d’approches, qui émancipe, et non des jeux de rôles imposés à des bambins. C’est l’accès précoce aux sciences, aux lettres et aux arts qui encourage les aspirations de toutes et de tous à la justice et à la liberté. Alors, au lieu de saboter, involontairement mais sûrement, la valeur intellectuelle de l’Éducation nationale, nos gribouilles de l’ABCD devraient au contraire, en démocrates qu’on peut les créditer d’être, la défendre de toutes leurs forces.

L’élévation globale du niveau de vie contribue aussi à l’émancipation. Elle n’a pas que des avantages, mais elle permet des progrès, et pas seulement d’ordre matériel. Abandonner la recherche méthodique de la prospérité commune, ne plus s’interroger sérieusement sur la production et la répartition des richesses, renoncer à l’économique et au social pour faire du sociétal, se coucher, d’un côté, devant les puissances financières et vouloir, de l’autre, changer les fondamentaux anthropologiques, tout cela revient à priver les citoyens les moins fortunés de cette libération qu’on fait semblant, par ailleurs, d’apporter à leurs enfants à force de bourrage de crâne et de manipulations psychologiques. Voilà la trahison dont se rend coupable, en oubliant deux siècles de pensée sociale, la néo-gauche actuellement au pouvoir. Voilà l’étonnante lâcheté de ceux qui veulent conditionner les enfants au lieu de travailler à convaincre les adultes.

Les principales victimes, une fois encore, sont les couches populaires. Celles dont tous les espoirs de promotion reposent sur l’école de la République. Celles qui prennent la crise en pleine figure et à qui des nantis, depuis les salons cossus de leur confort pas seulement intellectuel, reprochent, avec un subtil mélange d’arrogance et de condescendance, d’écouter des "rumeurs". Mais comment les fossoyeurs de la morale laïque et les saboteurs de l’enseignement public auraient-ils le droit de se scandaliser en voyant, tout surpris, que des références religieuses – chrétiennes, juives ou musulmanes – aident des gens simples à leur résister pacifiquement ?

Non, l’obscurantisme n’est pas toujours du côté des religions. Il triomphe plutôt chez ces apprentis-sorciers qui, obsédés par leur chasse aux stéréotypes, sous-estiment les potentialités de l’esprit humain, qui refusent de voir les réalités biologiques (idéologie du genre, quand tu nous tiens…), qui préfèrent les improvisations sociétales aux conquêtes sociales, et qui prennent les petits d’hommes pour des animaux de laboratoire.

Il y a urgence. Plutôt que de laisser l’"expérimentation" s’étendre à toute la carte scolaire, le nouveau ministre de l’Éducation nationale doit y mettre un terme. Il montrera ainsi qu’il est au service de l’intérêt général, pas d’une poignée d’activistes. Sinon, il faudra que le président de la République intervienne lui-même, qu’il saisisse cette occasion de rappeler – enfin ! – qu’il est, par définition, le président de tous les Français. Si le plus élémentaire respect de l’intégrité des enfants n’était plus garanti par la puissance publique, serions-nous encore en démocratie ?

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