Lutte anti-tabac : pourquoi les mesures anti-tabac passent à côté des catégories populaires<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Lutte anti-tabac : pourquoi les mesures anti-tabac passent à côté des catégories populaires
©REUTERS/John Kolesidis

Bobo-actives

L'Organisation mondiale de la santé organise ce samedi la journée anti-tabac. L'organisation estime que d'ici 2020, le tabac sera la principale cause de décès et d'incapacité au monde, avec plus de dix millions de victimes par an. En France, les catégories populaires ont tendance à être plus oubliées dans les mesures anti-tabac.

Bertrand  Dautzenberg

Bertrand Dautzenberg

Bertrand Dautzenberg est professeur de pneumologie à l'université Paris VI. Il exerce à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au CHU Pitié-Salpêtrière. Il est également président de l'Office français du tabagisme et auteur de plusieurs ouvrages dont "Le petit livre pour arrêter de fumer"" (Editions First).

 
 
Voir la bio »

Atlantico : En quoi les personnes les plus modestes pâtissent plus que les autres catégories sociales des mesures anti-tabac ?

Bertrand Dautzenberg : Elles bénéficient des mesures anti-tabac mais c'est vrai que les riches en profitent encore plus. L'aggravation de la différence entre les riches et les pauvres a lieu quand on prend des mauvaises mesures sur le tabac. Les bonnes mesures anti-tabac sont celles qui font baisser la consommation de cigarettes de 10 % par an. Une forte et subite hausse des prix provoque une baisse importante de la consommation de tabac si bien que l'argent global dépensé par les fumeurs baisse. En revanche, quand il y a des petites hausses de 20 à 30 centimes, les gens consomment tout autant et dépensent plus d'argent pour acheter des cigarettes. L'augmentation des prix fragilise les personnes qui ont moins de revenus. Autre point, ceux qui ont des revenus importants ont 50 % de plus de chance de s'arrêter de fumer que ceux qui n'en ont pas car ils ont accès aux substituts à la nicotine plus facilement.

Pourquoi sont-elles moins réceptifs à ce message ? Que devraient faire les pouvoirs publics pour que les mesures anti-tabac soient mieux reçues par cette catégorie sociale ?

Cela dépend des périodes. Si on se plaçait 50 ans en arrière les riches fumaient, les pauvres moins. Les premiers qui ont commencé s'arrêtent en premier. Le même schéma se reproduit dans le monde entier. Actuellement, l'une des explications c'est que la France est dans une phase d'épidémie de tabagisme où les hommes d'un haut niveau social se sont globalement arrêtés, bien moins que les plus pauvres. Il y a une grande inégalité chez les hommes qu'on retrouve moins chez les femmes. Il y a une fatalité, on se comporte comme un vol d'oiseau, on commence ensemble en même temps et on s'arrête en même temps. On fume beaucoup comme son groupe.

Il faudrait faire des efforts spécifiques. Si on annonçait la prise en charge gratuite de l'arrêt du tabac avec les substituts à la nicotine, on corrigerait les inégalités. Aujourd'hui, les personnes les plus pauvres qui veulent s'arrêter de fumer sont pénalisées. Il y a un forfait mais il faut d'abord sortir les 50 euros chez le pharmacien avant d'être remboursé un mois après. Il faudrait un signal fort, à savoir que les personnes les plus modestes bénéficient d'un forfait de remboursement avec des bons gratuits, ça ne coûterait pas grand chose. On évoque régulièrement la mise en place d'un forfait de 150 euros pour les bénéficiaires de la CMU notamment dans le troisième Plan cancer mais ce n'a pas toujours pas été mis en place.
Il faut savoir que 15 % des ménages les plus pauvres dépensent 20 % de leurs revenus dans les cigarettes. Si le tabac est acheté hors budget, c'est différent pour les substituts car les gens comparent avec leur budget et estiment que c'est trop cher.

Le tabagisme a fortement augmenté chez les chômeurs et les employés entre 2005 et 2010 selon le baromètre santé de 2012 malgré les hausses successives du prix des paquets. Comment l'expliquer ? Peut-on imaginer un retournement de situation à l'avenir ?

Après 2005, le prix des paquets augmente de 20 centimes mais ces augmentations sont dû aux cigarettiers. Le tabagisme avait diminué lors du premier Plan cancer notamment chez les femmes. Jacques Chirac avait alors déclaré la guerre au tabac et pris des mesures. Quand on regarde les courbes du tabac on voit qu'il y a un lien direct entre les décisions et l'engagement du président et le tabagisme, par exemple sous Jacques Chirac.

Ma conviction c'est que la consommation de tabac va redescendre. Depuis un an et demi la consommation a baissé de 7.6 % avec notamment un effondrement du tabac roulé. La baisse idéale se situe autour de 10 % par an comme en ce moment et il ne faut donc pas toucher aux prix. Le premier Plan cancer sous Jacques Chirac avait fait diminuer trop vite la consommation de tabac et avait provoqué des effets secondaires.

Quelle campagne anti-tabac permettrait d'avoir un impact auprès des catégories populaires ?

Le problème, c'est qu'on ne dispose pas de données annuelles alors qu'il en faudrait. Pour l'instant on mesure les choses tous les cinq ans avec le baromètre santé, et les morts du tabac tous les 10 ou 15 ans. Ce baromètre devrait donner de façon très régulière une idée de la consommation des Français car quand on interprète les choses ciqn ans avant ou après, c'est faux. Il faut donc agir en fonction des résultats dès le mois qui suit.

La première chose à faire, c'est la mise à disposition gratuite des substituts au tabac. Il ne faut en tout cas pas faire une campagne pour une catégorie précise, mais pour tout le monde. Les campagnes qui marchent le mieux ce sont celles qui touchent tout le monde, même si après on peut les corriger un peu en fonction des catégories sociales. Je serais pour ma part favorable au blocage des prix en dehors d'une décision du ministère de la Santé. Il ne faut pas que la hausse des prix soit décidée par les cigarettiers mais par le ministère.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !