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Quartiers populaires des villes-centres : la troisième fracture sociale ?
©REUTERS/Mansi Thapliyal

Il n'y a pas que les cités

La France qui subit le plus lourdement les effets de la crise est bien loin d’être la France des banlieues ou de la campagne. Alors que l'on parle beaucoup de ces deux dernières, la pauvreté et les inégalités se développe plus rapidement dans les grandes villes.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : De 2006 à 2011, les quartiers populaires des villes-centres ont été les plus touchés par la crise, le taux de pauvreté y ayant augmenté de 6 points pour atteindre plus d'un tiers la population (36%) d'après l'Observatoire des inégalités. Comment expliquer de telles concentrations ?

Laurent Chalard : L’appauvrissement de certains quartiers des villes-centres peut s’expliquer par plusieurs facteurs, aux intensités et combinaisons diversifiées selon les territoires. Il apparaît moindre à Paris et Lyon, où la gentrification a tendance à l’emporter, que dans les autres grandes villes du pays. 

Le premier facteur primordial tient à la concentration du logement social dans les villes-centres des grandes agglomérations. En effet, le parc HLM est aujourd’hui le lieu d’habitat dominant pour les populations les plus paupérisées du pays, qui souffrent le plus de la crise économique, conséquence des politiques d’urbanisation passées, qui ont privilégié son accumulation dans quelques communes urbaines, dont les villes-centres, plutôt que sa dispersion sur l’ensemble du territoire.

Un deuxième facteur concerne l’importance des immigrants. Certes, ces derniers sont fort diversifiés entre ce qui relève des migrations entrepreneuriales ou de migrations de pauvreté. Toutefois, les données disponibles, comme le taux de chômage, indiquent une situation moyenne d’exclusion des immigrants supérieure à celle de la moyenne de la population. Or ces populations comptent notamment des jeunes hommes ou des jeunes femmes seules. Ces individus privilégient souvent, lors de la première arrivée en France, des territoires où ils bénéficient de réseaux existants, d’un certain anonymat, d’un habitat de petite surface peu cher et de commerces ethniques, aménités qu’offre plus particulièrement les villes-centres.

La forte présence étudiante livre un troisième facteur explicatif. Cette dernière est à l’origine de l’augmentation de la pauvreté dans les villes-centres, car aujourd’hui une partie de cette population vit très difficilement. Le statut d’étudiant est souvent utilisé comme un statut social (la bourse constituant une sorte de « RSA jeune »), faute de trouver un emploi. Ce phénomène que les autorités ne reconnaissent guère est assez important, d’autant que les conditions d’entrée et de suivi universitaire sont lâches. Comme les communes-centres abritent en général nombre de sites universitaires et des logements de petite surface souhaités par les étudiants, ces derniers s’y trouvent surreprésentés.

Enfin, un dernier facteur explicatif, souvent négligé, est la concentration des populations marginalisées dans les zones centrales des grandes villes. Ces populations, dont le nombre ne peut être qu’estimé, comme les SDF et autres personnes en grande difficulté, considèrent que la vie dans la ville-centre est moins difficile, car susceptible d’apporter chaque jour le minimum permettant de survivre jusqu’au jour suivant. Or, leur nombre n’est pas négligeable et pèse sur le pourcentage d’exclus. Par exemple, on estime le nombre de SDF à Marseille au minimum à 2 000 personnes. 

Dans quelles parties des centres urbains se situent généralement ces zones de précarité ?

Deux types de quartier sont principalement concernés par la précarité dans les villes-centres : les quartiers péricentraux dégradés à l’habitat ancien et les grands ensembles construits pendant les Trente Glorieuses.

Les communes-centres, du fait de l’ancienneté de leur bâti, conservent toujours les plus forts pourcentages d’habitat insalubre, type d’habitat où se concentrent les populations les plus pauvres, même si le phénomène de l’insalubrité s’est réduit par rapport aux années 1970. En conséquence, le processus de revitalisation des quartiers centraux, réel dans certains d’entre eux, ne s’est pas totalement substitué aux poches de pauvreté, associées souvent à des logements insalubres construits avant la Seconde Guerre Mondiale, des communes-centres. Ces poches se situent en règle générale dans une situation péricentrale, dans des quartiers en attente de programmes de réhabilitation, le centre-ville stricto sensu, entendu comme l’hypercentre commercial, ayant à quelques exceptions près comme Marseille, été largement restauré. 

Le second type de quartier précarisé des communes-centre est ce qu’il est convenu d’appeler « les grands ensembles », qui se situent en position périphérique au sein du territoire communal, sur les derniers terrains qui étaient disponibles à l’urbanisation au moment de leur construction. Ces grands ensembles représentent un pourcentage des résidences principales, qui varie selon les communes-centres. Ils sont souvent paupérisés, notamment lorsqu’ils concentrent des populations en difficulté, qui habitaient auparavant dans l’habitat insalubre. En conséquence, leur profil social est souvent plus défavorable que dans certains grands ensembles de la périphérie. Parmi de nombreux autres, nous pouvons citer les cas du Mirail à Toulouse, de l’Ariane à Nice, des quartiers nord de Marseille ou d’Amiens, de Lille Sud, de la Paillade à Montpellier ou encore de Pissevin à Nîmes. 

Peut-on aller jusqu'à parler d'une nouvelle fracture sociale après celle, souvent évoquée, qui s'est faite entre la France dite "périphérique" et celles des grandes métropoles ?

On ne peut pas vraiment parler d’une nouvelle fracture sociale, dans le sens que ce processus n’est pas une nouveauté, contrairement à la fracture opposant la France périphérique aux grandes métropoles, mise en avant par le géographe Christophe Guilluy. Les villes-centres des grandes agglomérations françaises se caractérisent depuis la seconde moitié du XIX° siècle par des contrastes sociaux importants entre les quartiers chics et les quartiers populaires. Ces contrastes ont juste eu tendance à s’accentuer ces dernières années du fait d’un processus de dualisation des villes-centres, typique de la mondialisation, qui voit l’éviction d’une partie des classes moyennes vers l’espace périurbain du fait du coût élevé du logement et/ou d’une offre insatisfaisante par rapport à la demande (par exemple, des logements trop exigües pour loger des familles). En conséquence, le parc privé de logements est de plus en plus réserver à des populations aisées, alors que le parc social ou « social de fait », c’est-à-dire de logements insalubres relevant du secteur privé, s’est considérablement paupérisé. Les différences sociales peuvent être considérables à quelques centaines de mètres de distance, voire parfois au sein de la même rue dans les quartiers en cours de mutation.

Jusqu'à quel point l'émergence de zones inégalitaires dans des espaces aussi réduits peut finir par être problématique ?

Elle peut effectivement paraître problématique, mais il faut bien garder en tête que cela n’a rien de nouveau, la ville étant par définition un espace hétérogène sur le plan social. Le 17° arrondissement de la capitale a par exemple depuis longtemps été séparé entre une partie sud-ouest très bourgeoise (quartier des Ternes) et une partie nord-est populaire (de la porte de Clichy à la porte de Saint-Ouen). Cependant, les classes moyennes, qui permettent de faire le lien entre les différentes catégories sociales, étaient fortement présentes dans les villes-centres, or elles ont tendance à se restreindre, ce qui peut effectivement à long-terme conduire à des conflits si se constatait une dualisation exacerbée de ces territoires. Il convient donc de mettre en place des politiques visant à maintenir un minimum de classes moyennes dans les villes-centres et en particulier des familles à travers des programmes de logement adaptés, au risque sinon de créer un fossé trop important entre des populations se situant aux deux extrémités de l’échelle sociale. 

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