Les Français pensent que l’appartenance à l’UE aggrave les effets de la crise mais ont-ils raison dans les faits ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les politiques d’austérité sont considérées par les Français comme ayant aggravé la crise.
Les politiques d’austérité sont considérées par les Français comme ayant aggravé la crise.
©REUTERS/John Kolesidis

Je t'aime moi non plus

Plus de la moitié des Français considèrent qu'ils sont pénalisés par l'appartenance de la France à l'Union européenne, selon un sondage Ipsos. Cependant il convient de faire la part des choses entre ce qui relève des institutions de l'Union en tant que telle, et la zone euro.

Christophe Boucher

Christophe Boucher

Christophe Boucher est économiste. Il enseigne à l’université de Lorraine.

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Olivier Costa

Olivier Costa

Olivier Costa est directeur de recherche au CNRS au Centre Emile Durkheim de Bordeaux et directeur d’études au Collège d’Europe. Il a publié avec Nathalie Brack Le fonctionnement de l’Union européenne aux Editions de l’Université de Bruxelles, 2° édition, 2013

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Alantico : Selon le baromètre Ipsos Steria pour Le Monde, le Cevipof et Terra Nova, 52 % des Français estiment que l'appartenance à l'Union européenne aggrave les effets de la crise. Quelles décisions imputables à l'Union viendraient étayer cette impression ?

Christophe Boucher : En effet, l’appartenance à l’UE explique en partie la longue période de récession que traverse la zone euro depuis 2009. Les recommandations de la Commission européenne d’une austérité précoce a été une erreur de politique économique qui a aggravé les effets de la crise. La forte austérité budgétaire réclamée par la Commission et appliquée par les gouvernements depuis 2010 a prolongé la récession et a contribué à la hausse du chômage. Cette politique économique expose désormais la zone euro au risque de déflation (d’une baisse prolongée de l’ensemble des prix) et à une augmentation de la pauvreté. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, au contraire, la priorité  a été donnée à la croissance. Aujourd’hui, ces deux pays sont engagés dans une phase de reprise économique bien plus solide qu’en zone euro. Le risque de déflation y a également quasiment disparu. La situation est bien résumée par Martin Schulz, le président du parlement européen, "il faut assainir les budgets ; mais sans croissance, cela ne fonctionne pas".

La Commission européenne s’est arc-boutée sur une gestion comptable des déficits en appelant des politiques d’austérité. Le FMI l’a expliqué en 2013, les multiplicateurs budgétaires qui synthétisent l’impact d’une politique budgétaire sur l’activité sont beaucoup plus grands en période de récession. Il faut donc attendre que la situation conjoncturelle se normalise avant de mettre en place les politiques nécessaires au rétablissement des budgets. L’ampleur de cette erreur de politique économique est estimée à presque 3 points de chômage en zone euro.

Olivier Costa : La Commission européenne, la Banque Centrale et le Conseil européen ont promu une politique d’austérité dont les conséquences sont sensibles dans tous les Etats européens, et tout particulièrement dans ceux qui ont connu les plus grandes difficultés vis-à-vis des marchés : Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, Italie. Ceci étant, il faut aussi reconnaître que ces décisions ont permis d’enrayer la spirale infernale de la perte de confiance des marchés dans les Etats, et éviter la faillite en cascade des banques européennes, dont les effets auraient été incalculables. En outre, les institutions de l’Union sont peut-être l’instrument de cette politique, mais elle s’applique aussi dans des Etats qui ne sont pas membres de la zone euro ou de l’Union, et est promue par d’autres organisations internationales, telles que le FMI et l’OCDE. Il ne faut donc pas tout mélanger. En outre, ce n’est pas de la faute des institutions européennes si les Etats se sont endettés à des niveaux stratosphériques.

Plus de 8 Français sur 10 considèrent que l'UE ne protège pas assez les intérêts économiques et commerciaux de la France. Mais est ce uniquement du ressort de l'Union ? Comment faire la part des choses entre ce qui relève de l'action de l'UE et ce qui relève de la zone euro ?

Christophe Boucher : Il est difficile de différencier les institutions dépendantes strictement de l’UE et de la zone euro car les deux étaient initialement un seul et même projet. En 1992, le traité de Maastricht institue une union politique qui prend le nom d'Union européenne et qui prévoit la création d'une union économique et monétaire (la zone euro), dotée d'une monnaie unique, l'euro. Au départ, tout pays appartenant à l’UE devait adhérer à l'euro. Seul le Danemark et le Royaume-Uni ont obtenu une dérogation lors de la rédaction du traité de Maastricht.

Néanmoins, on peut aujourd’hui isoler différents volets qui sont du ressort de l’UE, tels que la politique de la concurrence, la politique fiscale, la politique énergétique, la politique agricole, etc. La politique monétaire de la BCE concerne quant à elle la zone euro stricto sensu. Entre les deux, la politique budgétaire et fiscale qui s’applique pourtant à l’UE ne peut pas être considérée indépendamment de la politique monétaire car les économistes considèrent que c’est la coordination de la politique monétaire et budgétaire qui compte.

Les institutions de l’UE ont mis en place une coordination a minima ou par défaut qui contraint la politique budgétaire et laisse la politique monétaire libre mais indépendante et identique pour tous les pays. Or, il y a des situations comme aujourd’hui où une politique monétaire unique pour l’ensemble de la zone euro est inadaptée. L’Allemagne aurait besoin d’une politique monétaire moins accommodante (un taux d’intérêt de court-terme plus élevé) alors que les pays périphériques et dans une moindre mesure la France ont besoin d’un politique monétaire plus accommodante.

Olivier Costa : Il y a d’abord une sorte de malentendu : le but premier de l’Union n’est pas de protéger les intérêts économiques et commerciaux des Etats membres, mais de créer un grand marché entre eux et d’articuler ce grand marché au reste du monde. La construction européenne est fondée sur la croyance en les vertus d’un grand marché – raison pour laquelle on l’a longtemps appelée "Marché commun". Le protectionnisme n’est donc pas sa spécialité.

En période de crise, il est toujours tentant pour les Etats de développer un discours protectionniste, de vouloir reconstruire des barrières commerciales vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux. On le voit dans l’Union européenne comme dans toutes les autres zones de libre-échange. Mais on ne peut pas se protéger des autres sans affecter sa capacité à exporter chez eux ses propres produits ou à accueillir leurs capitaux et consommateurs. Ce sont donc des solutions à courte vue, qui restent le plus souvent au stade des discours ou des actions symboliques.

Ensuite, les perceptions sont très contrastées quant aux vertus de l’action de l’Union s’agissant de la protection des intérêts économiques et commerciaux des Etats. Dans certains pays, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou des pays d’Europe centrale et orientale, on considère que l’action de l’Union est un frein au commerce et à la libre entreprise, et que ses normes sont trop tatillonnes, trop pesantes. Dans d’autres, comme la France ou la Grèce, on dénonce l’Union comme un cheval de Troie du libéralisme et on lui reproche de ne pas assez protéger les consommateurs, les entreprises ou les Etats. Ce clivage renvoie à la fois aux intérêts économiques de chaque Etat et à sa culture politique et économique.

Les citoyens français se méfient du monde de l’entreprise, n’ont jamais vraiment adhéré au libéralisme et voient la mondialisation comme un danger. Logiquement, ils reprochent toujours à l’Union d’en être le vecteur et de ne pas faire assez pour en limiter les effets.

Quelle part des difficultés rencontrées par la France et de leur aggravation sont liées à la gestion de la zone euro et à la politique monétaire européenne ?

Christophe Boucher : Ce ne sont pas les français qui sont les plus à plaindre dans la zone euro. D’un point de vue purement conjoncturel, la France se situe dans une position intermédiaire entre l’Allemagne, la Belgique et l’Autriche d’un côté, et l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande de l’autre. La politique "moyenne" pratiquée par la BCE et Mario Draghi n’est pas très loin de celle qui correspond à la situation conjoncturelle de la France.  

On pourrait cependant reprocher à la BCE de se satisfaire d’une politique qui vise une inflation un peu en dessous de 2% à moyen-long terme, alors que les risques sont déflationnistes. La BCE pourrait viser à court-terme une inflation de 2,5% ou 3% qui serait pour elle aussi loin de sa cible de long-terme (environ 1,8%) que le niveau actuel d’environ 1%.

Cela changerait radicalement les choses pour les pays les plus fragiles de la zone euro mais pourrait s’avérer dangereux en générant des déséquilibres pour les pays les plus solides et en particulier l’Allemagne.  La zone euro souffre d’une politique monétaire peut-être trop proche de la position allemande.

Olivier Costa : Il y aura toujours des gens pour se plaindre d’un euro trop fort ou trop faible, d’une inflation trop forte ou trop faible, en fonction de leurs intérêts et de leur idéologie. Globalement, on ne peut pas considérer que la politique monétaire de la Banque centrale européenne handicape spécifiquement la France. Et rien ne dit que sa situation serait meilleure sans l’euro. L’euro n’est pas vraiment à la source de ses problèmes, qui sont davantage liés à la politique budgétaire menée par les gouvernements français depuis 30 ans, à la compétitivité de son industrie, à la répartition des richesses en France et à la soutenabilité de son modèle social.

Ensuite, il est facile pour les gouvernants ou les leaders des partis politiques d’aller blâmer l’Union européenne ou la Banque centrale européenne pour les difficultés qu’ils rencontrent et pour expliquer ainsi leur incapacité à tenir des promesses de campagne trop ambitieuses et optimistes.

73 % des Français considèrent que la monnaie unique est une bonne chose et que la France doit rester dans la zone euro. Leur diagnostic revient-il finalement à appeler une réforme de la zone euro ? Comment pourrait-elle mieux répondre à leurs attentes ?

Christophe Boucher : Ce qui est marquant aujourd’hui, c’est le manque de conviction de la part des politiques et des gouvernements dans un nouveau projet européen qui semble en effet attendu par les citoyens. Dans l’immédiat, c’est une réforme de la fiscalité européenne qu’il faut porter. Il faut doter la zone euro d’un véritable gouvernement doté "d'instruments", comme un budget autonome, susceptible de financer, entre autres, un dispositif d'assurance-chômage. Il faudra donner à l'UE des ressources fiscales propres lui permettant de mener des actions ambitieuses dans la zone euro. Il faudra aussi harmoniser les réglementations fiscales, sociales et réglementaires s'appliquant aux entreprises.

La zone euro ne pourra pas être stabilisée sans un "mécanisme de transfert" dont la vocation serait d'aider dans la durée les pays en difficulté, par exemple en prenant en charge les allocations chômage dans les pays qui ont réformé leur marché du travail. Ce budget européen propre pourrait ainsi rééquilibrer la politique monétaire unique appliquée à des pays dans des situations très contrastées.

Olivier Costa : Les Français, tout en se plaignant de l’intégration européenne et en rejetant sur Bruxelles et Francfort la responsabilité de leurs difficultés, savent bien qu’il n’y a pas d’alternative crédible hors de l’Union. Que pèserait la France - qui représente un centième de la population mondiale - à l’échelle internationale sans l’Union ? Ne vaut-il pas mieux être l’un des piliers de la première puissance économique mondiale ?

Mais ils perçoivent aussi que la monnaie unique est un dispositif bancal : on ne peut avoir une monnaie unique et une politique monétaire commune sans avoir une politique macro-économique intégrée, les moyens d’une politique budgétaire et fiscale ambitieuse et un minimum d’intégration sociale.

Ce qui manque à l’Union européenne aujourd’hui pour assurer la stabilité de la zone euro, c’est un budget conséquent permettant de développer les politiques qui assureront la croissance de demain (éducation, recherche, investissement industriel, infrastructures…), restaureront la confiance des marchés dans l’euro et permettront de corriger les chocs asymétriques.

Pour l’heure, l’Union ne dispose que d’un budget ridicule (1% du PIB des Etats membres), qui n’est aucunement à la hauteur des enjeux. Elle n’a pas non plus la capacité de faire converger les politiques fiscales et budgétaires des Etats, et de limiter les pratiques de concurrence déloyale entre eux.

Le rejet de l’Union n’est-il pas simplement un rejet des politiques d’austérité ? Pourtant l’influence allemande est jugée positivement dans le même baromètre. En quoi est-ce contradictoire ?

Christophe Boucher : Le rejet de l’UE est tout relatif. Dans le sondage, (seulement) 22% des interrogés jugent que le fait que la France fait partie de l’UE est une mauvaise chose. C’est bien plutôt les politiques d’austérité qui sont pointées comme ayant aggravé la crise. Ces politiques d’austérité ne sont pas de la responsabilité de l’Allemagne. Le pacte de stabilité et de croissance (ainsi que ses amendements plus récents) a été mis en place au départ et porté par le couple franco-allemand qui voulait éviter le comportement, que les économistes appellent, de "passager clandestin". Il s’agissait d’éviter que certains (petits) Etats mettent en péril la zone euro par leur manque de sérieux dans la gestion de leurs finances publiques.

On pourrait bien plutôt reprocher le poids de l’Allemagne dans les décisions de la Banque Centrale Européenne.

Olivier Costa : Il y a une contradiction, qui est plus une tension. D’un côté les citoyens doivent reconnaître que le projet d’intégration européenne, dans son ensemble, est un succès : il a permis de pacifier totalement le continent, de restaurer la souveraineté de ses Etats, de moderniser leur agriculture et leur économie, d’assurer la libre circulation des personnes, etc. Les vrais nationalistes, qui souhaitent un démantèlement de l’Union, sont très minoritaires.

Ceci étant, les citoyens sont en droit, d’un autre côté, d’être déçus par les politiques menées par les institutions de l’Union et par le fonctionnement de ces institutions. Beaucoup d’Européens estiment que l’action de l’Union se résume à des politiques d’austérité, et ont tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain : plutôt que de critiquer ces politiques, ils dénoncent le système dans son ensemble.

L’attitude des citoyens français vis-à-vis de l’Allemagne montre qu’ils ne sont pas dupes : ils critiquent les politiques d’austérité, qui provoquent bien des désagréments et suscitent des situations dramatiques, mais savent confusément qu’il n’y a pas vraiment d’alternative. Ils ne jettent donc pas la pierre à l’Allemagne ; beaucoup de citoyens savent que ses responsables avaient anticipé les difficultés de l’intégration monétaire et dénoncé très tôt le laxisme budgétaire qui a conduit certains Etats au bord de la faillite.

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