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Eva Joly : la Vertu est-elle 
un programme politique ?
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En vert et contre tous

Rendue célèbre par son engagement contre la corruption dans l'affaire Elf, la désormais candidate écologiste à la présidentielle a toujours fait de la Vertu son cheval de bataille. Une position dont la classe politique et intellectuelle française a appris à se méfier, mais un argument de campagne efficace ?

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Avec ses lunettes rouge sang et son phrasé sifflant, Eva Joly agace. Les réactions indignées de l’ensemble de la classe politique après ses déclarations du 14 juillet prouvent à quel point elle fait aujourd’hui figure d’épouvantail. Non parce qu’elle est norvégienne, comme on l’a dit trop vite, mais parce qu’elle croit en la Vertu et méprise les compromis. Une position dont, depuis Saint-Just et Robespierre, la classe politique et intellectuelle française a appris à se méfier.

Pour comprendre Eva Joly, il faut revenir à l’événement qui a défini son être public : l’affaire Elf. En lutte ouverte avec les plus hauts personnages du pays (rappelons qu’elle a ordonné la mise en examen du président du Conseil Constitutionnel, Roland Dumas), l'ancienne susbtitute au procureur d'Orléans, éduquée dans le respect de la loi et la foi dans la République, découvre avec effarement la corruption généralisée – à des degrés divers – des élites françaises. Elle consignera cette expérience dans deux livres irritants mais passionnants, Notre affaire à tous et Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?.

Corruption et suspicions

Première découverte dans cette longue épreuve : les corrompus sont des gens respectables. "Le revers de leur veste est fleuri de la Légion d'honneur. Leurs boutons de manchette sortent des écrins de la place Vendôme... Ils nous montrent avec insistance qu'ils ne sont pas à leur place sur cette chaise un peu usée".

Deuxième découverte, plus grave : les gens respectables sont corrompus. "Toutes les affaires industrielles ont-elles un double fond dans le no man's land de la globalisation financière ?" se demande Eva Joly. "Cette plongée dans les comptes de la société pétrolière m'a transformée, intellectuellement. J'ai vu l'impunité comme règle et la loi comme exception". La suspicion ne connaît alors plus de limites : "la presse ne peut pas être le seul pouvoir à avoir échappé à la corruption, même si l'idée reste taboue", s'emporte Eva Joly, devenue soudain plus cynique encore que ceux qui défilent dans son bureau.

On aimerait l’entendre retrouver ces accents dans la campagne actuelle, et mettre en cause ouvertement les réseaux des médias plutôt que de se plier à leurs exigences. Quoiqu’il en soit, le décor est planté : Eva Joly fera de la lutte contre la « fatalité » de la corruption son combat de Sisyphe, martelant son message de colloques en cabinets ministériels (elle exerça jusqu’à récemment une fonction de conseil dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière internationale auprès du gouvernement norvégien).

D’où tire-t-elle cette force ? Comme elle le reconnaît dans ses livres, de la rigueur morale qui caractérise les Norvégiens. "Leur alliance presque mystique avec la nature, écrit-elle, les rend viscéralement hostiles aux désordres quels qu'ils soient : la guerre, la misère, la pollution ou la corruption".

La Vertu pour seul programme ?

Elle-même ne doute pas de sa propre vertu : "Le matin, je me regarde dans la glace sans rougir. Je n'ai pas volé un timbre de ma vie. Je vis dans 60 mètres carrés avec trente mille francs par mois. Toute ma vie témoigne du fait que j'ai des mobiles avouables". Et elle semble fière d’écrire son livre "dans une maison en rondins" au milieu de la montagne norvégienne... On trouve là, presque à l'état d'épure, l'opposition entre nature et culture, simplicité et urbanité, honnêteté et corruption.

Reconnaissons à Eva Joly le courage de ses convictions. Seulement voilà, la Vertu qu’elle voudrait incarner représente peut-être une qualité personnelle, mais sûrement pas un programme politique. Pour gouverner, il faut vouloir changer la société, mais renoncer à changer l’Homme. Ceux qui s’y sont essayé, avec sans doute les meilleures intentions du monde, n’ont pas laissé de glorieux souvenirs. Eva Joly aurait peut-être mieux fait de voler un timbre.

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