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La malédiction de la gauche européenne
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Revers électoraux

Au lendemain des élections législatives qui ont consacré la victoire de la droite au Portugal, et après plusieurs autres échecs électoraux des formations de gauche ces dernières années en Europe, une question se pose : la gauche est elle maudite en Europe ?

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié Le sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme (2012, Gallimard) et L'insécurité culturelle (2015, Fayard).

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Atlantico : Plusieurs gouvernements de gauche, notamment en Grèce et au Portugal, viennent de perdre les élections. La gauche est-elle maudite en Europe ?

Bien entendu, les effets conjoncturels dans des pays comme le Portugal ou la Grèce ne sont pas négligeables. S’il y avait eu des gouvernements de droite dans ces deux pays, personne ne peut voter pour des gens qui promettent du sang et des larmes.

Mais le recul de la gauche en Europe ne date pas des derniers revers électoraux. Depuis une dizaine d’années, les gouvernements de gauche, les uns après les autres, sont congédiés. Il y a eu une résistance au Portugal, en Espagne, en Grèce, mais ce sont des résistances particulières de gouvernements, que ce soit Zapatero ou Socrates, qui ont adopté des politiques économiques, avant la crise, et avant les soucis actuels, très largement libérales, très peu orientées vers les principes sociaux-démocrates traditionnels.

La gauche subit une forme de défaite générale en Europe, à laquelle on peut trouver deux explications :

D’abord, la posture sociale-libérale économique pratiquée par la gauche, c’est le même programme que la droite. J’entends tout cela, je comprends, et ce n’est pas totalement faux. Une partie des électeurs déserte la gauche car elle trouve qu’elle n’est plus assez à gauche.

Mais il y a une autre explication au moins aussi déterminante que l’aspect économique et social. La gauche n’a pas su prendre à bras le corps un certain nombre de questions d’identité et de rapport à la nation et aux valeurs. La seule manière dont elle l’a un peu fait, notamment en Angleterre, c’est en abordant la question sécuritaire. Pour le reste, il n’y a pas eu de réinvestissement de toute une culture qui était très importante à gauche autrefois, ce que l’on appelait la « notion républicaine » en France. La gauche, les gauches, l’ont laissée largement en friche, abandonnée à la droite, et même un peu plus aux néo-populistes qui ont réinvestit ces valeurs. Toutes les questions de nation, d’immigration et de multiculturalisme laissées de côté, la gauche s’est concentrée sur l’économique et le social, soit la gauche au sens traditionnel, le marxisme méthodologique : d’abord l’économie, d’abord les infrastructures, d’abord les rapports de force. Sauf que dans ce domaine-là, la gauche s’est libéralisée, tout en continuant de dire que c’était tout ce qui comptait !C’est pour moi le grand échec de la gauche européenne et de la social-démocratie. Cela se décline dans tous les pays sous des aspects différents mais c’est le même constat partout.

A vous entendre, ce n’était plus la gauche…

Mais si ! Que la gauche aie mis en place des politiques de plus en plus libérales, cela ne fait pas que la gauche n’est plus la gauche. Simplement, elle perd une partie de son identité. Après, il y a toujours une droite et une gauche, qui se positionnent en fonction l’une de l’autre.  Ce qui compte dans les urnes, c’est que la gauche perd une partie de son électorat en même temps que son identité, et un électorat assez populaire pour dire les choses clairement, qui est allé beaucoup à droite, dans l’abstention, et pour partie, de plus en plus forte dans certains pays, vers le néo-populisme et en France, dans le Front national.

L’enseignement pour la gauche, c’est qu’il faut retrouver le « sens du peuple ». La gauche sans le peuple, ce n’est pas la gauche. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut dire « demain on rase gratis », avec des mesures économiques irréalistes. La gauche doit expliquer que le surendettement n’est pas forcément bien, prendre des mesures sociales en revenant sur des mesures très inégalitaires mises en place par les droites ces dernières années, mais aussi faire de l’identitaire, des valeurs, car c’est sur ce discours-là, le réinvestissement de l’espace national, de la valeur d’autorité, que se joue l’avenir de la gauche, et pas seulement sur le traitement du chômage, la précarité, l’exclusion.

Cette analyse vaut partout en Europe et pas seulement en France.

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