Paris-Londres-Berlin ? Conseil ou Parlement ? Ceux qui vont peser le plus dans le choix du président de la Commission européenne <!-- --> | Atlantico.fr
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Les prochaines élections européennes auront une influence directe sur le choix du président de la Commission.
Les prochaines élections européennes auront une influence directe sur le choix du président de la Commission.
©Reuters

Des hommes d'influence

François Hollande, dans sa tribune publiée récemment dans Le Monde, a mis en avant le fait que le choix du prochain président de la Commission européenne serait déterminant pour les cinq années à suivre. Pour l'ancien député européen et vice-président de l'UDF Jean-Louis Bourlanges, il conviendrait de nuancer.

Jean-Louis Bourlanges

Jean-Louis Bourlanges

Jean-Louis Bourlanges est ancien député européen et vice-président de l'Union pour la démocratie française (UDF). Il est aujourd'hui président du think tank l'Institut du centre.

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Atlantico : Au sortir de leur huis clos de deux jours sur les bords de la Baltique, François Hollande et Angela Merkel ont montré des positions divergentes à propos de la désignation du futur président de la Commission européenne, l’un insistant sur le choix des députés, l’autre sur le rôle de proposition du Conseil. Dans les faits, qui, du Parlement ou du Conseil, pèse le plus dans le choix du président de la Commission ?

Jean-Louis Bourlanges :L’interprétation de Madame Merkel me paraît conforme à la lettre et à l’esprit des traités qui régissent la matière et qui disposent que le Président pressenti de la Commission est désigné par le Conseil européen, c’est-à-dire par les chefs d’Etat ou de Gouvernement. Celui-ci effectue son choix "en tenant compte du résultat des élections", ce qui est bien le moins qu’on puisse espérer puisque le Parlement a, quant à lui, le pouvoir d’approuver, donc éventuellement de désapprouver, le choix du Conseil. Ce système de double légitimité est conforme à un équilibre satisfaisant des pouvoirs, y compris pour ceux qui se réclament d’une logique fédérale, puisque la Commission, donc son Président, doit se retrouver dans une position équidistante entre le collège des Etats et l’assemblé représentative des citoyens.

Les partis politiques ont tort de vouloir réduire la fonction du Conseil européen à celle d’une simple chambre d’enregistrement d’un choix qui leur serait imposé. Aucun des partis ne devrait obtenir beaucoup plus de 30 % des suffrages, ce qui fait une majorité bien relative pour donner au parti arrivé en tête et à son chef une vraie légitimé. Ce serait l’équivalent d’une élection présidentielle à un tour. Si l’on avait appliqué un tel système à l’élection présidentielle française en 2002, il s’en serait fallu de très peu que Jean-Marie Le Pen soit élu Président alors qu’il a été rejeté au second tour par plus de 80 % de nos concitoyens. Les partis politiques européens jouent aux apprentis sorciers et l’on ne peut exclure que la prochain mandature européenne ne commence par une crise, bien inutile, entre le Conseil européen et le Parlement.

Au sein même du Conseil européen, quel est le rapport de forces ? Qui aura le plus d’influence pour désigner le successeur de José Manuel Barroso, et selon quels critères politiques et géopolitiques ?

La question est de savoir si l’un des 28 chefs d’Etat ou de gouvernement, David Cameron par exemple, cherchera à ouvrir une crise avec le Parlement en s’appuyant sur les dispositions du Traité et la complicité vraisemblable de plusieurs de ses collègues, dont Madame Merkel. Je pense que ce serait le cas si le PSE arrivait en tête car je ne vois pas les chefs d’Etat ou de gouvernement, ceux de droite en tout cas, se voir imposer sans broncher, non pas un socialiste, ce qui par hypothèse serait logique, mais un socialiste qu’ils n’auraient pas contribué à choisir. Si, en revanche, le PPE arrivait en tête, il n’est pas exclu que les dirigeants de ce parti, et notamment Angela Merkel, envisagent de confier à Monsieur Junker une autre fonction que celle de président de la Commission, par exemple celle de Président du Conseil européen, ce qui restituerait aux chefs d’Etat ou de gouvernement la possibilité de choisir à leur guise le Président de la Commission.

Ce qui légitime politiquement la réserve de Mme Merkel vis-à-vis de la procédure imaginée par les chefs du Parlement, c’est que le Conseil européen ne doit pas désigner un seul responsable mais trois, le Président de la commission, le Président du Conseil européen et le haut représentant pour la politique étrangère, sans même parler d’un Monsieur ou d’une Madame eurozone. Il doit donc veiller à respecter plusieurs équilibres : entre la droite et la gauche, entre les hommes et les femmes, entre les quatre points cardinaux, et enfin entre Etats grands, petits et moyens. C’est ce travail de dosage et de répartition qui justifie qu’on lui laisse les mains libres.

Le Conseil européen travaille de façon profondément collégiale sous la baguette de son chef d’orchestre, Herman Van Rompuy, et je ne le vois pas renoncer de gaité de cœur à cette élaboration collective, et très progressive, des décisions que le Traité lui confie.

Malgré sa campagne de communication à ce sujet, le Parlement européen ne conserve-t-il pas un rôle purement consultatif, laissant l’initiative aux chefs d’Etat ou de gouvernement ?

Certainement pas. Si la procédure annoncée suit son cours, le Parlement aura réussi à damer le pion au Conseil européen. Si elle est remise en cause par le Conseil, celui-ci devra négocier rudement avec les partis représentés au Parlement pour trouver un candidat qui obtienne le soutien d’une majorité de parlementaires (et non pas de votants). En 1994, le couple franco-allemand avait dû renoncer à désigner Jean-Luc Dehaene sous la pression d’une coalition implicite menée par les Britanniques et comprenant les Néerlandais, les Danois et les Portugais. Le Parlement avait dû s’incliner lui aussi et avait fini par accorder son soutien à Jacques Santer alors qu’il voulait Jean-Luc Dehaene au départ. Les parlementaires ne l’ont jamais pardonné au Conseil et, quelques années plus tard, ils ont acculé Santer à la démission. Or à l’époque le Parlement n’avait qu’un pouvoir consultatif sur le choix du président de la Commission. Depuis Amsterdam, il dispose d’un pouvoir plein d’approbation, et depuis Lisbonne, comme je le disais, le Conseil doit dans son choix "tenir compte des résultats de l’élection". L’équilibre est quasi parfait.

Derrière le choix du nouveau Président de la Commission, quels sont les enjeux ? Cette désignation est-elle stratégique, tant pour les Etats que pour le Parlement européen ?

Cette désignation n’a rien de stratégique, sinon par le choix de la personnalité elle-même de l’intéressé. C’est un mensonge d’homme politique que d’affirmer que l’orientation de l’Union européenne au cours des cinq prochaines années dépendra de la présence à la tête de la Commission, soit d’un chrétien démocrate luxembourgeois qui a passé sa vie à gouverner son pays avec les socialistes, soit d’un social-démocrate allemand dont le parti est actuellement aux affaires avec les chrétiens démocrates ! L’Union européenne ne fonctionne pas comme la République française : c’est un système de compromis permanent entre des Etats, des institutions et des sensibilités politiques. Au lendemain du 25 mai nous n‘aurons pas une Europe de droite ou une Europe de gauche, mais une Europe un peu plus à droite ou un peu plus à gauche, ce qui n’est pas du tout la même chose. A la différence de notre élection présidentielle, l’élection du Parlement européen fonctionne comme un modulateur un non comme un interrupteur.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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