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Recherche désespérément 3ème révolution industrielle sous peine de croissance molle ad vitam aeternam : les pistes qui pourraient nous sortir du marasme
©Reuters

Une idée, quelqu'un ?

Imprimantes 4-D, dispositifs de stockage d’énergie, gestion informatisée de l'offre et la demande, voitures autonomes... de nombreuses opportunités de développement économique apparaissent aujourd'hui de plus en plus réalisables. L'enjeu devient pour les pays développés d'adapter leurs forces de production sous peine de s'installer lentement dans des modèles de croissance mathématiquement voués à l'échec.

Atlantico : Au-delà des aspects destructeurs de la crise financière, les économies développées ne souffrent-elle pas en amont d'un modèle de production aujourd'hui proche de la panne... voire de la récession ? Jusqu'à quel point doit-on s'inquiéter de ce "passage à vide" ?

Jean Michel Quatrepoint : Nous vivons actuellement une période que l'on pourrait qualifier de "troisième révolution industrielle", période qui a démarrée avec l'informatisation deux à trois décennies plus tôt. Il s'agit toutefois de processus de très long terme (aux environs d'une centaine d'années), et qui sont composés de différentes phases : le démarrage, la transition, l'arrivée à maturité et enfin la période de "saturation" qui coïncide elle-même avec le démarrage d'un autre cycle.

Nos économies développées se situent aujourd'hui dans cette période de flottement, le nouveau "démarrage" industriel ayant notamment été retardé à la suite de plusieurs choix stratégiques faits par les multinationales. Ces dernières, en choisissant dans les années 80/90 de délocaliser leurs productions dans des pays à bas coût de main-d’œuvre (Asie-Pacifique, Tiers-Monde, ex-satellites soviétiques...), ont dans le même temps trop peu investi dans les nouvelles technologies qui commençaient à émerger, perdant ainsi 15 à 20 ans d'avancées pourtant déterminantes sur le plan économique. La phase de délocalisation, portant déjà sur une "vieille logique" de production de masse au plus bas-coût, a en quelque sorte été un anachronisme alors que l'opportunité d'évolution était pourtant déjà bien présente. N'oublions pas que les smartphones actuels sont, d'une façon, les descendants du principe de "télématique", autrement dit la fusion du téléphone et de l'ordinateur, déjà théorisée dans les années 70 ( tandis que le premier échange de mail a eu lieu en 1971 suite à l'expérience de l'ingénieur américain Ray Tomlinson, NDLR).

On peut distinguer dans l'absolu deux tendances fondamentales à cette troisième révolution : d'un côté la microélectronique, à savoir la capacité à placer des processeurs de plus en plus puissants dans des objets de plus en plus petits, de l'autre la "mise en réseau du monde" qui permet peu à peu de rendre instantané n'importe quel échange d'informations tout en reliant de manière optimale l'offre et la demande. 

On a cru à tort dans les années 90 et 2000 que l'essor d'Internet nous offrirait la croissance de demain, une erreur d'analyse récemment confirmée par les faibles performances en bourse des "géants du Web" (Facebook, Twitter...). Comment distinguer une véritable innovation structurelle d'une simple évolution de secteur ?

Michel Volle : La troisième révolution industrielle ne se réduit pas au "numérique". Le rapport social du cerveau-d’œuvre, son articulation avec l'informatique, ont transformé le système productif. La nature des produits, la façon de produire, de s'organiser, de coopérer, de commercialiser, et aussi les modes de vie, les représentations du destin individuel, les relations entre générations ne sont plus les mêmes que dans l'économie et la société antérieures. La crise que nous connaissons aujourd'hui est essentiellement une crise d'adaptation, de transition vers la nouvelle forme de la vie en société que nous nommons "iconomie". Comme toujours dans de telles périodes, la crise est aggravée par une spéculation qui s'exagère d'abord les possibilités à court terme, puis s'effondre lorsqu'elles ne se concrétisent pas. Les bulles ne se forment que pour éclater, comme l'a fait celle de l'Internet en mars 2000. Il ne faut pas que l'écume de ces phénomènes conjoncturels masque le raz-de-marée structurel, il ne faut pas que le chatoiement du "numérique" masque l'exigence d'une construction patiente mais résolue d'une iconomie qui s'appuie sur l'informatisation.

Imprimantes 3D et 4D

Michel Volle : La troisième révolution industrielle est en cours, mais la voyons nous ? La comprenons nous ? L'impression 3D (et encore plus récemment l'impression 4D) en offre un exemple. Sa technique additive a vocation a remplacer la technique soustractive des machines-outils à cinq axes. Elle permet de produire des objets qui, comme les os des oiseaux, présentent le meilleur compromis entre solidité et légèreté : la construction aéronautique en tire déjà parti. Plus profondément, elle surmonte la frontière qui sépare le réel du virtuel : tandis que le scanner procure une représentation d'un objet réel que l'on pourra modifier à loisir, elle fait surgir dans le réel physique la matérialisation d'une image informatique. Les particuliers fabriqueront à domicile de petits objets en matière plastique, les usines produiront des pièces en métal de plus grande taille. C'est, après la robotisation, une deuxième grande transformation pour la production industrielle.

Jean Michel Quatrepoint : On parle ici d'un potentiel de production et de réduction des coûts qui défie toute les proportions actuelles, proportions que nous devons pourtant développer sans tarder pour continuer à exister. Pour se réaliser, la troisième révolution industrielle devra ainsi être une course à l'innovation permanente pour s'adapter au rythme de plus en plus effréné des avancées contemporaines. Ce principe d'accroissement toujours plus vertigineux des possibilités avait d'ailleurs déjà été évoqué dans la seconde loi de Moore (1975), loi qui doit son nom à l'ingénieur qui avait su prédire avec exactitude que la densité des transistors doublerait chaque année sur les machines électroniques, ce qui aboutit évidemment à une réduction phénoménale des coûts ainsi qu'à une extension des possibilités dont nous apercevons mal les limites. Cette révolution électronique, loin de s'arrêter à la simple production de biens immatériels, amène donc à une révolution "physique" de la production des biens.

La robotisation

"C'est peut-être difficile à croire, mais avant la fin de ce siècle, 70 % des emplois d'aujourd'hui seront remplacés par l'automatisation. Oui, cher lecteur, même votre travail vous sera enlevé par des machines. En d'autres termes, votre remplacement par un robot n'est qu'une question de temps"

Kevin Kelly, directeur du magazine Wired (Better Than Human: Why Robots Will And Must Take Our Jobs)

Jean Michel Quatrepoint : On évoque souvent le risque "d'usine sans ouvriers" sans se rendre compte que c'est plus ou moins déjà le cas. Les usines d'aujourd'hui sont appelées à voir une part toujours plus importante de techniciens et d'ingénieurs s'imposer au fil du temps. Il s'agit quelque part d'un retour à un mode de production déjà expérimenté par le passé (Compagnons, artisans spécialisés...) avec un important niveau de technicité en lieu et place de l'actuelle logique de standardisation. La robotisation amène cependant un important défi éducatif puisque toute ces nouvelles tâches nécessiteront d'importantes connaissances informatiques (de la simple navigation à la programmation). A l'heure actuelle notre formation dénigre pourtant des professions manuelles comme celles d'électricien alors que celles-ci vont-être amenées à occuper des marchés conséquents avec le développement continu de de la domotique (ensemble des systèmes électroniques dans l'immobilier, NDLR). Plus largement, il est nécessaire de repenser stratégiquement nos systèmes d'éducation pour les adapter à une révolution technique que l'on refuse trop souvent de voir venir.

Michel Volle : Robotiser, c'est automatiser les tâches répétitives physiques ou mentales : la recherche documentaire tout autant que le montage des automobiles. Contrairement à ce que craignent certains, les robots ne suppriment pas l'emploi : ils transforment le rapport social au travail. La main-d’œuvre est en effet remplacée par le cerveau-d’œuvre. Cela révèle un potentiel que le rapport social de la main-d’œuvre avait négligé : le cerveau humain est une ressource naturelle. Elle se déploie dans la conception et la programmation des automates, dans les logiciels, dans la conception de nouveaux matériaux, dans celle de nouveaux produits et dans les services que ceux-ci comportent. Comme pour toute ressource naturelle, la mise en valeur de celle-ci demande du travail mais contrairement aux énergies d'origine fossiles son potentiel est illimité : on ne peut pas en effet assigner de limite à ce que le cerveau humain est capable de faire. Le couple que formaient la main-d’œuvre et la machine, et qui a propulsé l'économie et la société jusque vers 1975, est remplacé par celui que forment le cerveau-d’œuvre et l'ordinateur en réseau, cet automate programmable : c'est cela, la troisième révolution industrielle.

L'agriculture de précision

Jean Michel Quatrepoint : La planète étant amenée, d'après les estimations, à porter 9 milliards d'êtres humains en 2050, il sera effectivement nécessaire d'adapter la production alimentaire en fonction des besoins précis des populations. Dans un domaine différent, le fabricant de vêtements Zara, avec sa logique de "zéro stock" fonctionne déjà sur ce principe, et avec succès. Le grand danger d'une telle tendance serait toutefois qu'elle se fasse sous le mode d'une uniformisation, et où l'on finirait par considérer que les besoins d'un latino-américain sont les mêmes que ceux d'un Norvégien... En théorie, les technologies de que l'on nomme "l'iconomie" (économie de l'informatisation) permettent néanmoins d'imaginer un tel système de précision évoluant avec différents noyaux de productions adaptés aux demandes de chacun. Il faudra ainsi que les sociétés civiles soient très attentives à l'évolution de ces pratiques, une multinationale pouvant rapidement être tentée d'acquérir un marché mondial en fournissant un OGM unique ou presque.

Voitures autonomes et autres logiciels "intelligents"

Michel Volle : La voiture autonome qu'a développée Google montre que l'ordinateur peut faire des choses que l'on croyait impossibles, mais il faut bien circonscrire la portée de cette "intelligence artificielle". Le secret de l'efficacité réside en fait dans le couple que forment le cerveau-d'œuvre et l'informatique, et pour tirer le meilleur parti de leur complémentarité il faut une claire notion de ce que chacun d'eux fait mieux que l'autre. Le cerveau humain est sujet à la fatigue et aux trous de mémoire mais il sait interpréter des situations particulières imprévues. L'automate est rapide et puissant mais il faut qu'un être humain assure sa supervision car il est fragile, sujet à des pannes, et son logiciel comporte inévitablement des erreurs.

Des dangers accompagnent d'ailleurs les possibilités qu'il offre. Les milieux bancaires n'auraient jamais commis les mêmes folies si l'informatique ne lui avait pas donné le sentiment de maîtriser les risques à tel point qu'il ne lui restait plus qu'à se lancer dans une course effrénée au rendement. Le crime organisé, plus vigilant et plus rapide que les institutions, sait tirer parti de l'informatique pour blanchir ses profits et prendre le contrôle de l'économie ou même de l’État. Certaines interprétations de l'intelligence artificielle sont encore plus dangereuses. Elles suggèrent que toutes le fonctions du cerveau humain peuvent être accomplies par un logiciel : mais si notre cerveau est identique à un ordinateur, il sera impossible de concevoir leur articulation car on n'articule pas l'identique avec lui-même... 

Gaz de schiste

Michel Volle : Il ne faut pas s’interdire de rechercher de nouvelles énergies. On ne peut cependant pas se former une opinion raisonnable sur le gaz de schiste, par exemple, tant que l'on n'a pas mesuré ce qu'il peut apporter à notre pays. L'équivalent de sa consommation de gaz, ou de sa consommation d'énergie ? Pendant une durée de dix ans, de cent ans ? Tant que l'on ne sait pas répondre à ces questions, la dispute est disproportionnée car l'enjeu stratégique ne peut pas pleinement être évalué actuellement. Ceux qui s'opposent aux recherches qui fourniraient une telle évaluation préfèrent, semble-t-il, persévérer dans la futilité.

E-Commerce et mise en réseau des services 

Jean Michel Quatrepoint : Loin d'être un simple gadget numérique, le e-commerce s'inscrit directement dans la logique plus vaste de "mise en réseau" qui impacte l'ensemble des activités humaines (logement, énergie, industrie, éducation, santé, culture...) et accélère les échanges pour les rendre pratiquement instantanés. Là où pour des raisons de capacité de gestion l'on avait 3000 hôpitaux parfois mal financés et peu performants, on peut aujourd'hui imaginer, ce n'est qu'un exemple, 300 hôpitaux hyper-équipés couplés à 30 000 dispensaires en temps réel. La première et seconde révolution industrielle fonctionnaient sur l'incitation de la production maximale, et c'est aujourd'hui une logique de "sur-mesure", harmonisant au mieux l'offre et la demande, qui doit commencer à s'imposer.

Le stockage et la distribution énergétique

Michel Volle : La prise en compte de l'arrivée du cerveau-d’œuvre éclaire la crise énergétique actuelle et semble dessiner les moyens d'en sortir. Les nouveaux matériaux permettront d'économiser l'énergie par l'isolation des bâtiments, d'accroître la performance des panneaux solaires et des batteries ; les logiciels amélioreront l'efficacité des moteurs et, avec le "smart grid", celle des réseaux de distribution de l'électricité ainsi que celle de l'informatique elle-même(plusieurs structures françaises et étrangères, dont Areva ou encore le MIT de Boston ont ainsi réalisé des avancées notables dans le domaine. NDLR). Pour lutter contre les problématiques environnementales et la raréfaction des ressources, le cerveau-d'œuvre est clairement la principale ressource.

Un défi majeur : le chômage technologique

Jean Michel Quatrepoint : Avec l'accroissement de la robotisation, les emplois du secteur secondaire mais aussi tertiaire sont profondément bouleversés, bien que cette évolution ne soit pour l'instant toujours pas prise en compte dans de nombreux pays. C'est évidemment le cas en France, mais aussi dans des pays comme la Chine, où l'élite locale pèse de tout son poids pour orienter ses enfants vers les carrières littéraires, ces dernières représentant l'anti-thèse du métier d'usine qui reste très déconsidéré. Les besoins de demain porteront pourtant sur les ingénieurs, les techniciens et les ouvriers très qualifiés afin d'assurer le fonctionnement toujours plus complexe d'économies amenées à devenir de plus en plus connectées, donc exigeantes sur le plan électronique et scientifique. Trop peu cherchent aujourd'hui à devenir informaticiens, faute de quoi les jeunes survivent à travers des petits boulots de services (livreur de pizza, serveurs...) sans pérennité pour eux-mêmes et sans dynamismes pour l'économie. Cela pose en creux la question du renouvellement des classes moyennes par l'informatisation, à une heure où l'on constate qu'elles disparaissent de plus en plus du paysage social de la plupart des pays développés.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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