Simplification administrative : "Jusqu'à présent, l’administration assassinait les entreprises en silence, maintenant cela va se voir"<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a lancé le "choc de simplification".
François Hollande a lancé le "choc de simplification".
©Reuters

Serial killer

Il y a des lustres que l'on disserte en France sur la simplification des procédures administratives. Pendant ce temps, nos voisins allemands, britanniques et danois ont pris quelques longueurs d'avance. Pour tenter de combler le retard français, François Hollande a lancé le "choc de simplification", parallèlement au pacte de responsabilité. Il a confié cette mission à un tandem très motivé : un ancien "grand patron", Guillaume Poitrinal (ex PDG d'Unibail) et un député PS, Thierry Mandon, élu de l'Essonne et membre de la Commission des Finances ( qui connaît bien le monde de l'entreprise ).

Thierry Mandon

Thierry Mandon

Thierry Mandon est membre du Parti socialiste, député de la neuvième circonscription de l'Essonne et fut conseiller général du canton de Ris-Orangis et maire de Ris-Orangis. Il est responsable de la mise en œuvre du "choc de simplification" lancé par le président de la République François Hollande.

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Anita Hausser : Parmi le premier train de mesures concrètes présentées le 14 avril dernier, quelle est pour vous la plus emblématique ?

Thierry Mandon : Il y en a plusieurs. Pour les entreprises, c’est incontestablement la non rétroactivité fiscale ! Les chefs d’entreprises la réclamaient depuis 30 ans ! Ils ne l’espéraient plus ! Elle est désormais actée par un engagement du président de la République.

Il faut savoir que lorsque le Parlement vote définitivement le budget pour 2015 (souvent autour du 28 décembre), les mesures telles que l’impôt sur les sociétés s’appliquent pour l’exercice 2014. Or les entreprises ont généralement clos leurs comptes depuis le 15 du mois. Si le barème est modifié, il faut tout refaire ! Cette situation n'existe qu’en France, nous l'avons vérifié : nous avions en effet demandé à un patron dont le groupe possède plusieurs usines en Europe de voir comment cela se passe ailleurs. A partir de maintenant, il ne sera plus possible de modifier le barème de l'année en cours. Cette mesure n’est pas "grand public" mais elle est très importante pour les entreprises. J'en ajouterais une deuxième : la mesure "zéro charge créée", inspirée par l’exemple britannique.

Je m’explique : lorsque l'on crée une nouvelle réglementation ou que l’on instaure une nouvelle charge fiscale, on quantifie son coût pour l’entreprise. On a vu que l’administration peut être tentée de minorer le coût réel de nouvelles charges ; récemment cela a été le cas pour des réformes comme la pénibilité ou encore la soumission à l’impôt sur le revenu des mutuelles. Dorénavant et c'est la grande nouveauté, on va faire expertiser cette étude d’impact de l'administration par un comité indépendant. Et, deuxième innovation, on supprimera des charges financières ou des normes existantes avant d'en instaurer de nouvelles. Dans l’absolu, si une entreprise a de nouvelles charges pour un montant de 100, on doit en enlever 100 par ailleurs. Et le groupe indépendant va procéder à une nouvelle expertise pour vérifier que la suppression des charges proposée compense bien celles nouvellement créées. C’est ainsi que l'on procède en Angleterre : cela s’appelle le "one in, one out" . Enfin, afin de ne pas perdre de temps, cette contre-expertise devra se faire dans les vingt un jours qui suivront l’étude d’impact…et si il y a une urgence, en sept jours !

Ce groupe indépendant sera composé de huit chefs d’entreprises qui consacreront une journée par semaine à cette tâche. Il va être créé le 1er janvier 2015. Cette disposition n’est pas très bien accueillie par l’administration. Un chef d’entreprise me faisait remarquer, mi-figue, mi-raisin, que jusqu'à présent l’administration assassinait les entreprises en silence mais que maintenant, cela va se voir !

Je voudrais ajouter un troisième exemple : le titre Emploi Service. Le procédé des emplois à domicile va être appliqué aux  entreprises de moins de vingt salariés. Pour les emplois à domicile, vous allez sur Internet et les formalités sont faites en quelques minutes. Dans une entreprise, il faut environ trois heures pour faire toutes les déclarations quand on embauche quelqu’un ( URSSAF, caisses de retraite, mutuelles, etc. ) ; il y des risques d’erreurs, donc des risques de pénalités. S'en sera fini avec le TESE. Tout pourra être réglé en trois minutes par Internet.

Quand on parle de simplification, on évoque aussi celle de la fiche de paie. Travaillez-vous sur cette question ?

Bien sûr, mais il faut revoir toute l’architecture sociale qui est derrière la fiche de paie ; si on ne revoit pas tout cela, c’est bidon. Il est inutile de créer un seul organisme collecteur qui redistribuerait des sous-cotisations dans tous les sens. Il ne faut pas perdre de vue que le but de la simplification, c'est de faire économiser de l’argent aux entreprises mais aussi à l’administration.

On imagine que la technostructure française ne voit pas tous ces projets d'un bon œil ! 

Nos bonnes idées nous viennent des agents de catégories B et C de l’Etat, les agents de terrains, pas les directions centrales. On fait des réunions avec ceux qui travaillent sur les questions de logement, d’urbanisme, d’aide sociale, d’import export. Ils nous donnent des idées, souvent géniales ;  ils déconstruisent leur process et ils le reconstruisent en suggérant ce qu’il faudrait faire. Mais ça, c’est "anti-culture de l’Etat". Quand on est au bas de l’échelle, on n’a théoriquement qu’un droit, c’est de se taire ! Or la transformation de l’Etat, cela veut dire plus de digital, plus d’associatif, de coopératif, en associant les salariés au changement ( comme cela se pratique dans les entreprises depuis les années 80 ). L’Etat doit avoir un dialogue permanent avec les usagers de l’Etat, notamment les entreprises.

En somme, cela revient à réduire le rôle de l’administration !

Le but de la simplification est de réduire le coût des charges pour les entreprises. Mais on se rend compte très vite que les questions de simplification débouchent sur les questions d’organisation de l’Etat . En effet, la complexité est certes le produit du très grand nombre de lois, décrets mais elle provient aussi de la très mauvaise organisation de l’Etat en matière informatique et du manque de transversalité sur un grand nombre de dossiers, chaque ministère travaillant dans son coin. D’ailleurs, l’informatisation de l’Etat a été conçue dans ce sens puisqu'un décret datant de 1986 ( avant l'ère informatique ),  confie l’organisation informatique à chaque ministère. Résultat : chaque ministère s’est organisé pour que son système ne soit surtout pas compatible avec celui de son voisin et cela produit des effets ubuesques.

Prenez l'exemple de la TVA pour les gens qui exportent et qui importent ; on fait la déclaration de TVA auprès des douanes. Mais la taxe est calculée par la DGFI ( Direction Générale des Finances Publiques ) dont le logiciel n’est pas compatible avec celui des douanes ! Il faut trois semaines pour rendre l’argent aux importateurs et aux exportateurs alors qu’en Belgique il faut trois heures. J’ai été sensibilisé à ce problème par une entreprise américaine qui voulait, pour des questions de logistique, s’implanter dans le Nord de la France afin de rayonner en direction de l'Allemagne et du Bénélux. Après étude, ses responsables m’ont expliqué qu’ils préfèrent s’installer en Belgique à cause du système français de TVA. Quand on fait plusieurs centaines de millions d'euros de chiffres d’affaires par an, s’il faut attendre trois semaines pour le remboursement de la TVA en trésorerie, cela représente des sommes considérables en fin d’année. Autre conséquence encore plus grave : si un chef d’entreprise déclare de très faibles mouvements d’import-export et qu'il déclare par ailleurs un gros chiffre d’affaires, on peut considérer qu’il y a fraude… mais on ne peut pas "matcher" les deux déclarations puisqu’elles ne sont pas compatibles. C'est ce qui explique le niveau très élevé de fraude à la TVA chez nous. L’Angleterre, elle, a résolu le problème. Elle a fait appel à une entreprise française ( Capgemini ) pour réaliser un outil informatique très sophistiqué qui permet instantanément d’identifier la fraude. Le logiciel a coûté moins d'un million d'euros alors qu’en un an, la détection des fraudes a rapporté l'équivalent d’un milliard et demi euros au budget britannique !

L'autre exemple incroyable est raconté par le consul honoraire de France à Perth en Australie qui est également le représentant de l’Allemagne… Son rôle consiste essentiellement à s’occuper des papiers d’état civil des ressortissants des pays qu’il représente. Pour faire renouveler leur passeport, les ressortissants allemands remplissent un formulaire que le consul transmet à Berlin, et huit jours plus tard ils reçoivent leur document. Les Français, eux, doivent aller déposer personnellement leur demande à Melbourne (4000km aller-retour). Ils doivent ensuite effectuer le même trajet pour retirer le document ! Tout cela parce que les logiciels du ministère de l’Intérieur et du ministère des Affaires Étrangères ne sont pas compatibles ! L’Intérieur a voulu garder la maîtrise des flux d’entrées et sorties du territoire ; cela peut se comprendre mais tous les pays ont des problèmes de flux migratoires. Alors pourquoi est-ce que cela se passe comme cela en France et pas ailleurs ? L'harmonisation des systèmes informatiques est une nécessité absolue. L’Etat souffre de sous-digitalisation ! Comment voulez-vous que les seize fonctionnaires de la Direction des Services Informatiques de l’Interministériel qui sont chargés d'étudier la  transformation du système digital arrivent à convaincre les six mille informaticiens de Bercy de la nécessité d’harmoniser les systèmes? Une telle décision relève forcément du président de la République et du Premier ministre.

Comment comptez-vous stimuler cette action de simplification puisque vous ambitionnez de présenter un train de mesures tous les six mois ?

Notre "arme ultime", c'est la conférence de presse où nous ferons le point sur la mise en œuvre des mesures présentées précédemment. Je regrette pour ma part que l'on n'ait pas créé un grand ministère directement rattaché à Matignon comme cela s'est fait à l'étranger où les responsables de la simplification sont directement rattachés au Premier ministre. Que ce soit en  Allemagne, en Belgique, au Danemark ou en Angleterre, on a compris que s’il n’y avait pas une maîtrise politique très forte du process, cela ne marcherait pas. A Londres, le ministre anglais de la simplification, qui est un proche de David Cameron, est basé au 10 Downing Street ( le siège du gouvernement ). Lors d'une rencontre récente, il m'a dit  : "Cela fait cinq ans que je fais cela, j’ai encore cinq à dix ans de boulot !" En Angleterre, 97% des avis du conseil de simplification sont suivis d'effet.

Le choc de simplification va-t-il survivre au remaniement?

A l’étranger, des chantiers qui se sont déroulés sur dix ou quinze années ont su traverser les alternances politiques. Ce serait  quand même fort de café que l’on n’arrive pas en France à traverser un changement de gouvernement et on va y arriver ; je sais que Manuel Valls reprendra à son compte ce dossier et lui donnera même une impulsion nouvelle.

A quand le prochain train de mesures de simplification ?

Nous le prévoyons pour l'automne .

Avez-vous travaillé sur la complexité des normes et règlements pour la construction ?

C'est notre prochain sujet . Nous avons un rapport de trente pages de propositions qui est prêt. Il contient  toutes les propositions : il faut plus de terrains, libérer le foncier, supprimer des normes ( il y en a 3500 ), raccourcir et assouplir les procédures ! Ce rapport avait été remis à Cécile Duflot ( alors ministre du Logement ), au mois de février. Elle l’a mis sous le coude. On va le ressortir, à moins que la ministre annonce elle-même un plan de rupture des normes.

Vous le dites vous-même, il faut une grande volonté politique pour mener à bien le chantier de la simplification. L'adoption du pacte de responsabilité et de solidarité a montré que la majorité est fragilisée. Redoutez-vous son éclatement ?

Non, la majorité est solide. Comme les Français, elle est impatiente de résultats et par ailleurs soucieuse d'un équilibre plus marqué entre aide aux entreprises, contreparties négociées et pouvoir d'achat des couches moyennes. Les débats sur ces points sont donc constants et peuvent conduire à des divergences. Mais sur l'essentiel - des entreprises plus solides, priorité absolue à l'emploi et réduction progressive des déficits sans sacrifier le pacte social - elle est soudée durablement .

Propos recueillis par Anita Hausser

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