Radiographie du problème Hollande : comment la personnalité du président finit par avoir des conséquences bien plus graves pour la France que ses choix politiques<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Plus que ces choix politiques, c'est le tempérament de François Hollande qui pénalise la France.
Plus que ces choix politiques, c'est le tempérament de François Hollande qui pénalise la France.
©Reuters

C'est grave docteur ?

Il est persuadé que l’économie n’est qu’une question de cycle, que son mode de gouvernance fonctionne et qu'il suffit toujours de gagner du temps… Plus que ses choix politiques, c'est le tempérament de François Hollande qui pénalise la France.

Atlantico : Alors que François Hollande était hué lors de sa visite à Carmaux, la France découvrait son nouveau communiquant en chef, Gaspard Gantzer. Mais que pourra-t-il vraiment contre les mauvaises habitudes du chef de l'Etat ? Le vrai problème de com' du président de la République n'est-il pas François Hollande lui-même ?

Marika Mathieu : Vous avez une certaine manière de tourner les choses mais il est vrai que François Hollande, profondément, rejette la communication ou du moins, celle qui lui échappe. C’est un problème qui a déjà entrainé une certaine pagaille mais c’est aussi, il me semble, une conviction qui trouve son origine dans son parcours. Avant d’être président, et on lui a assez reproché, il n’a pas exercé de fonctions ministérielles mais des fonctions de député et de premier secrétaire du PS. C’est un homme politique à l’ancienne qui conçoit la proximité comme déterminante de son action, un enfant d’Henri Queuille et de Jacques Chirac qui pense que serrer des mains et discuter des heures sont une clé de la vie politique. Il n’a jamais manqué une Fête de la rose ! La communication fut longtemps pour lui celle qu’il décidait de mettre en place en accord avec son expérience de terrain. Il n’y a pas de communication pour lui, il y a un rapport aux Français très basique. Il y a puisé une force concrète lors de sa campagne présidentielle, en faisant preuve d’une certaine clairvoyance et d’une capacité à mobiliser la base de son électorat alors même que les « experts » en communication ne misaient pas un kopeck sur lui. Dans son affrontement préparé avec DSK, il montrait beaucoup d’assurance grâce à cette sensation de sentir lui-même ce que DSK cherchait auprès de dix conseillers.

Le problème de François Hollande est donc d’avoir perdu son thermomètre en devenant président, et de s’être éloigné sans trouver les bons intermédiaires pour reconstruire un discours en accord avec le terrain. Comme tous nos présidents en fonction depuis de Gaulle, il semble avoir perdu l’odorat et s’en trouve désorienté. Il a lui-même un problème de confiance avec son entourage (comme on l’a vu dans sa relation avec Morelle).

Pascal Perrineau : Beaucoup trop d’hommes politique, au plus haut niveau croient qu’il suffit de changer de communiquant pour retrouver de la crédibilité rapidement. On peut parler d’un forme de naïveté. Le problème essentiel est celui de l’adaptation d’un homme ou d’une femme à une fonction. Depuis plus de deux ans maintenant on observe un flottement entre l’homme François Hollande et l’exercice de la fonction présidentielle. Ce flottement tient à des traits de personnalité, à la manière dont il fonctionne en tant que chef d’équipe et à la fonction même qu’il se faisait de la présidence pendant la campagne, la fameuse idée du président normal. Cette idée était ce qu’on peut qualifier d’erreur de casting par rapport à ce qu’est la présidence sous la Ve République, et à ce qu’elle sous l’hyperprésidence qui s’est installée avec la réforme du quinquennat.

Le pacte de stabilité "détaillé" la semaine passée par Manuel Valls et présenté en Conseil des ministres ce mercredi ne présente quasiment aucune réforme structurelle. A l'origine de cette faille, la foi que François Hollande porte dans l'idée qu'il suffit d'attendre le retour de la croissance qui, quoi qu'il arrive, arrivera. En quoi cette attitude est-elle préjudiciable à la capacité du pays à sortir de la crise ? Quelles en sont les conséquences concrètes ?

Marika Mathieu : Je ne crois pas que ce soit la « foi » qui gouverne aux décisions de François Hollande. Par contre, je mettrais bien tout ça sur le compte d’un rapport au temps qu’il a souvent évoqué au cours de sa campagne 2012 et qui se retourne contre lui, là encore par manque de traduction. Comme Mitterrand, il invoque la maitrise du temps comme un impératif de tout pouvoir. Il pense pouvoir imposer un temps, en l’occurrence celui de la reprise de la croissance, sans se laisser influencer par la demande de comptes au jour le jour. Cette conception pourrait être un avantage si tant est qu’elle redonne un peu d’air – et de temps ! – à sa présidence, puisqu’à l’inverse, il est clair que la demande de « résultats » immédiats est un gouffre pour l’action politique. Mais ça ne passe pas. Parce que le dispositif est faillible ? Parce que la défense politique est trop faible ? Parce que la vision de fond est introuvable ? Il n’est pas audible dans sa philosophie du pouvoir. Les conséquences économiques et sociales, nous les verrons, sur le plan moral, c’est le risque d’augmenter les peurs et paniques d’une société qui doute.

Pascal Perrineau : Cette façon de ne pas porter le fer des réformes structurelles « là où ça fait mal » réactive l’effet déplorable des annonces répétées à l’envie sur l’inversion de la courbe du chômage. Attendre des chiffres qui ne viennent jamais, sur lesquels on est démenti par la réalité, est extrêmement imprudent, particulièrement lorsqu’on s’engage du sujet le plus grave aux yeux des Français, à savoir l’emploi. La parole présidentielle en a été considérablement décrédibilisée. Et cela risque de recommencer avec le Pacte de responsabilité. Le gouvernement promet un retour durable de la croissance, sans être crédible sur les moyens mis en place.

Cela recoupe un problème de fond, qui a probablement trait à une forme de psychologie de François Hollande. A tort ou à raison, dans un contexte de gravité extrême au plan social et économique, le président donne l’impression d’une  certaine légèreté et insouciance dans son mode de fonctionnement et son discours. En ces temps difficiles, la population exige implicitement un discours de gravité, une demande à laquelle structurellement, François Hollande est incapable de répondre. A cause de cela, il est en dessous des 20% de popularité. Son Premier ministre étant beaucoup plus haut dans les sondages, on voit bien que la dimension est personnelle.

Tout cela provient d’un malentendu. Hollande a voulu marquer sa présidence du sceau de la normalité et de l’horizontalité, alors que la présidence de la Ve République est par nature, et d’autant plus en situation de crise, verticale. Cette présidence appelle une forme de « majesté présidentielle ». Hollande a fait mine de pouvoir ignorer cette verticalité, et il est en train d’en payer la facture. Surtout qu’il avait dit que sa présidence serait exemplaire, alors qu’on voit bien qu’elle devient on ne peut plus ordinaire. Cela s’ajoute à un registre déception beaucoup plus classique en politique, qui est celui des promesses non tenues. Sur ce dernier point, Hollande a un peu trop « chargé la barque ». C’est cela que cette femme de Carmaux lui reprochait.

Le gouvernement Ayrault a en partie succombé à l'indiscipline de ses membres. Quelle responsabilité la gouvernance de François Hollande, adepte de la politique par textos, des petits arrangements de couloirs et des ballons d'essai abandonnés aussi vite qu'ils ont été lancés, porte-t-elle dans son échec ? Les ministres ont-ils la sérénité et la longueur de vue nécessaires pour mener à bien l'action qui leur est confiée ou sont-ils réduits à n'être que de simples pions sur un échiquier ?

Pascal Perrineau : On ne gouverne pas la France comme on gouverne le Parti socialiste, avec des arrangements, des échanges entre deux portes et des textos. Un président doit manier un art de l’écoute puis de la décision que François Hollande donne l’impression de ne pas maîtriser. La pièce essentielle du dispositif décisionnel qu’est l’Elysée ne semble pas toujours jouer son rôle, ou lorsqu’elle le fait c’est toujours dans un relatif brouillard. A cet égard on peut dire que le mode de fonctionnement de François Hollande en tant que président de la République est problématique.

Quant à la place des ministres, en Ve République le pouvoir est à l’Elysée. Même s’il a du mal à le donner à voir, cela n’a pas changé sous François Hollande. A un moment ou un autre, la pratique du pouvoir doit être intégrée dans un grand récit collectif, surtout en période de crise, où il faut mobiliser le gouvernement, les députés, les partis, les électeurs, bref, tout le pays. Mais le comportement de Hollande le rend complètement rétif à ce type de démarche. On attend de lui qu’il soit une grande voix qui montre la voie, et François Hollande refuse les deux.

Marika Mathieu : François Hollande est difficile à cerner, y compris pour ses collaborateurs les plus proches. Cela dit, il n’a pas inventé la cacophonie, les dissensions et les rapports de force entre courants ou personnalité de la gauche. C’est même la grande tradition du PS, petite gauche plurielle en soi et dont les primaires en ont fait la démonstration sans que cela pose problème. Chaque campagne présidentielle réactive cette tendance à l’indiscipline, cette absence de « culture du chef », quand la droite marche en ordre de bataille. François Hollande reflète cette culture plus personnelle qui consiste à laisser parler sans jouer les arbitres officiels. Il n’en décide pas moins ce qu’il veut par la suite. Il y a donc, il est vrai, un problème de forme dans son rapport au gouvernement mais qui aurait très bien pu être réglé en ramenant les différents « couacs » (mot affreux) à cette culture du débat qui fait aussi la force de la gauche.

Des épisodes désastreux comme celui de Leonarda ou celui de la mise en cause de Christiane Taubira dans les écoutes de Nicolas Sarkozy sont plus révélateurs d’un problème de fond : la concertation et la préparation en amont lors de certaines phases de communication sensible. Mais cela ne relève pas de l’indiscipline ou de la longueur de vue. C’est au contraire un problème de navigation « à vue ».

Manuel Valls s'en accommodera-t-il mieux ou commence-t-il déjà à en faire les frais ?

Pascal Perrineau : Il devrait en faire assez vite les frais. On n’a jamais vu d’inversion de l’équilibre des pouvoirs au profit du Premier ministre, hors cohabitation. Manuel Valls est pris dans ce système ; et quelle que soit sa volonté il y sera toujours ramené. Il a brièvement mangé son pain blanc, et il ne devrait pas tarder à manger son pain noir.

Marika Mathieu : Manuel Valls connaît très bien les pratiques de François Hollande et le gouvernement auquel il a à faire. Il est un communiquant de métier qui a déjà officié pour la campagne 2012. Il fera les frais de l’impopularité relative au pouvoir mais ne manquera pas de faire entre temps la démonstration de sa capacité à canaliser, au risque de l’incarner, le discours présidentiel. Mais qui s’attend à ce qu’il garde plus de 50% d’opinions favorables ? Pas même lui, et l’analyse de la popularité des uns et des autres dans les sondages finira peut-être un jour par lasser ceux qui voient encore un indicateur.

Poussant l'art du compromis et de la synthèse au point de rendre impossible le passage à l'acte et donc les réformes applicables, François Hollande ne semble finalement mû que par la volonté de gagner du temps. Qu'y gagne-t-il réellement, et qu'y perd-on ?

Pascal Perrineau : Il ne s’agit plus aujourd’hui de gagner du temps, mais de décider, d’accélérer, d’appliquer et d’appeler les Français dans toute leur diversité à l’effort. Tout ce qui relève d’une stratégie purement temporelle apparaît comme manœuvre dilatoire.

Le pays y perd beaucoup. La Commission européenne et nos partenaires nous le disent, le temps presse. L’inquiétude ne cesse de monter, et l’heure des décisions lourdes est arrivée. La conjoncture est telle qu’on ne peut plus amuser la galerie et reporter à demain. François Hollande est entrée dans une zone de haut risque. Quand on est en dessous de 20% de popularité, on entre dans un épisode qui peut être celui de la décrédibilisation et de la crise. Il a tiré sa cartouche Valls, et n’en ayant pas de troisième, il est contraint au succès.

Marika Mathieu : Comme je le disais plus haut, sans juger de la pertinence des réformes engagées et qui pour la plupart mettront du temps à porter leur fruits si elles en portent, la question du temps se pose de manière cruelle pour les décideurs comme pour tout citoyen. « Gagner du temps » est indispensable, c’est même devenu la victoire indispensable de tout pouvoir car rien ne s’écrit en quelques mois. Notre culture politique pâtit de plus en plus de cette pression du temps présent qui accuse de faiblesse ceux qui ne peuvent produire des faits au jour le jour. Nicolas Sarkozy avait résolu le problème en occupant le terrain du présent quitte à masquer toute intention pour l’avenir.  Il l’a payé comme François Hollande paye aujourd’hui son manque d’inscription dans un discours du présent. Dans les deux cas, il semble devenu excessivement difficile de parler d’avenir, donc de temps, au pays.

Finalement, que peuvent les annonces de politiques économiques qu'il assène depuis le début de son quinquennat face à l'ampleur de ses manies et défauts dans l'exercice du pouvoir ? Qui pourra "corriger" les penchants de François Hollande ? Et quel avenir pour la France s'il ne change rien ?

Marika Mathieu : Vous avez une vision bien noire de notre président, mais elle se comprend. Je ne sais pas comment aujourd’hui peut s’organiser le discours d’un quinquennat. C’est un temps court auquel on demande de produire des changements de fond. Les annonces économiques sont la priorité du moment établie en vertu d’une situation des comptes publics catastrophique. Rappelez vous la mine de François Fillon quand il nous annonçait la faillite. Cela doit être affreux à gérer. François Hollande doit donner du courage dans un moment où sa marge de manœuvre semble inexistante. Comme François Mitterrand en son temps, il devrait peut-être laisser Valls prendre les coups par ici et partir à Bruxelles faire de l’Europe une alliée.  S’il faisait par exemple de la réforme européenne (sociale et politique) son destin, peut-être serions-nous nous-mêmes moins focalisés sur ses petites manies en France. S’il ne change pas, son successeur pourra le remercier d’avoir fait le sale boulot des comptes et viendra nous parler d’avenir. C’est cruel.

Pascal Perrineau : Dans l’exercice du pouvoir, il faut toujours espérer que la fonction façonne l’homme, le fasse évoluer. Le côté bravache et désarçonné de Nicolas Sarkozy avait été « discipliné », en quelque sorte. Il faut donc espérer que le côté dilatoire, attentiste et distant de Hollande soit susceptible d’évoluer dans les mois à venir. Ce ne sera pas son nouveau communiquant qui le fera évoluer, mais le dialogue avec les siens, son Premier ministre, et entre lui-même et la France. Il a montré lors de sa campagne électorale qu’il avait une capacité à entrer en résonance avec une partie de l’électorat, et il faut donc qu’il retrouve ce sens de l’écoute, pour qu’enfin il se remette en question. S’il ne change rien, une situation de crise politique n’est pas impossible. Gouverner pendant 3 ans avec 15 ou 20 % d’opinion favorables n’est pas un exercice évident. Même si la Ve République est protectrice pour le Président, elle ne permet pas de perdurer sereinement en allant d’échec électoral en échec électoral. Or les rendez-vous électoraux vont se succéder chaque année, comme autant de sanctions.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !