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Pour obtenir une augmentation, évitez de demander un chiffre rond
©Flickr / Images_of_Money

12 589 euros s'il vous plaît!

Alors que les vacances d'été approchent à grand pas (mais aussi le paiement des impôts!), une augmentation de salaire serait plus que la bienvenue. La clé pour y parvenir ? Oubliez les chiffres ronds et demandez à votre employeur un chiffre précis. Contrairement au chiffre rond, un chiffrage précis témoigne d'une légitimité économique. A condition bien-sûr d'être solidement argumenté si vous ne voulez pas échouer.

Thierry Krief

Thierry Krief

Thierry Krief est le dirigeant et fondateur de NegoAndCo. Chroniqueur sur France Info, il est également enseignant en négociation à l'Ecole Polytechnique, l'Ecole des Ponts ParisTech, et à l'EM-Lyon Business School. Thierry Krief est l'auteur de Négocier avec son employeur - Techniques de négociation commerciale appliquées au marché de l'emploi (2008), et co-auteur de Négociation de départ - Tous le secrets des pros (2013), deux ouvrages parus aux éditions Eyrolles, la maison d'éditions partenaire d'Atlantico éditions

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Atlantico : Une récente étude menée par la Columbia Business School a révélé que demander un chiffre rond lors d'une augmentation de salaires amoindrissait les chances de l'obtenir. Quels effets produisent les autres chiffres que ne produisent pas les chiffres ronds sur la partie adverse ? 

Thierry Krief : On peut imaginer que lorsqu’on se retrouve face à un montant précis, par opposition au chiffre rond, cela souligne un certain raisonnement construit. Le risque, c’est que votre employeur vous demande de quelle manière vous pouvez parvenir à un chiffrage aussi précis. Il est donc impératif de pouvoir argumenter derrière, afin d’appuyer votre chiffrage précis sur une réalité économique : ce que vous avez réalisé jusqu’à présent pour le compte de l’entreprise, ce que vous pourriez faire, etc.

Un montant rond, lui, s’apparente davantage à une certaine forme de marchandage qui ne repose sur aucune argumentation légitime. Au contraire, il semble relever davantage du marchandage qui peut ainsi générer une réaction de défiance de la part de l’employeur à qui aucun argument n’est fourni pour justifier l’augmentation.


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L'un des principaux arguments avancés par l'un des auteurs de l'étude, Malia F. Mason, est de dire que les chiffres précis, comme par exemple 95 562 euros, illustrent " l'état du savoir" de l'individu sur ce qu'il vaut, le marché, etc. Comment parvenir à ce type d'évaluation ? Pourrait-on appliquer ce conseil (de ne pas utiliser de chiffres ronds) à toute forme de négociation impliquant une quantité ? 

Votre première question revient à formuler la problématique suivante : comment peut-on valoriser un individu à un instant t ? La question du " combien je vaux ? " est une question récurrente dans les cours que j’anime. Il s’agit, à un instant t, d’être capable de parvenir, par rapport à un nombre de personnes exerçant la même activité que moi, au nombre d’entreprises ayant besoin de mes compétences, à la rencontre entre l’offre et la demande, etc.. à un prix théorique construit et argumenté. Néanmoins, cette démarche très rationnelle de chercheurs va à l’encontre du principe de la négociation. Le principe de la négociation, c’est que chaque individu va chercher à obtenir la valeur maximale qu’il peut avoir lors d’une discussion avec l’entreprise. Il n’y a rien de rationnel là-dedans : vous allez pouvoir négocier une augmentation si la société a vraiment besoin de vos compétences. La valorisation de ce savoir-faire va être ce que l’entreprise sera prête à payer pour ce savoir-faire.

Dans la réalité, il est difficile, voire impossible, de calculer précisément, rationnellement, objectivement et scientifiquement, ce que vaut un individu, dans la mesure où cela est régulé par l’offre et la demande. Après, il existe des statistiques parues dans des études ou journaux indiquant le salaire moyen d’un individu compte-tenu de son niveau d’études, de son ancienneté dans l’entreprise, de son poste, etc. Mais dans votre vie, au quotidien, votre valeur n’est pas fixe. En tant que négociateur, il faut vous vendre, en vue d’obtenir une augmentation salariale, au moment où votre valeur est la plus élevée. Prenons l’exemple des pilotes de Formule 1 : ils négocient leur augmentation salariale lorsqu’ils deviennent champions du monde, au moment donc où leur valeur est la plus élevée ; il en va de même dans le milieu du football. Le raisonnement est le même pour le salarié : celui-ci doit négocier une augmentation au moment où il est parvenu à mener à bien un gros projet.

Quant à votre deuxième question, clairement, il est possible d’utiliser des chiffres précis, et non des chiffres ronds, pour toute forme de négociation impliquant une quantité.Un chiffrage, peu importe le contexte, doit toujours être construit. Les ruptures de négociation surviennent systématiquement lorsqu’un chiffre est donné sans aucune argumentation. Si on procède de manière inverse, c’est-à-dire, en présentant d’abord l’argumentaire qui vous permet d’arriver à votre chiffrage, le dialogue entre les deux parties est maintenu, et il est fort probable que vous parveniez à un chiffre précis, et non rond. En argumentant votre chiffrage, vous véhiculez un certain respect pour votre interlocuteur.

Pour résumer, à ce stade, la meilleure attitude à avoir en négociation d’augmentation de salaire est bien de proposer un chiffre précis, et non un chiffre rond, qui souligne votre préparation et soutient ainsi la légitimité de votre demande. Néanmoins, il s’agit là de quelque chose de très compliqué, comme je l’ai expliqué plus haut.

Quels arguments doivent-être utilisés pour appuyer ce chiffrage précis lors d'une augmentation de salaire ? 

Avant tout, il faut s’assurer d’être bien dans une fenêtre de négociation : vous devez posséder la côte de l’entreprise pour entreprendre la négociation, quitte à différer la négociation si vous ne possédez pas l’info ou si la côte de l’entreprise n’est pas favorable à la négociation.

Quant aux arguments pour construire un chiffrage, il en existe deux principaux : la prise en compte du passé et l’extrapolation du futur. Le premier consiste à prendre en compte ses performances dans l’entreprise, ce qui peut amener à des comparaisons pouvant vous ramener des benchmarks. Pour ce qui est de l’utilisation du futur, le plus important pour moi, en tant que négociateur, est que l’entreprise puisse répondre à la question suivante : dans quelle mesure celle-ci a-t-elle besoin de vous à un instant t ? La base argumentaire viendra appuyer votre demande d’augmentation : la nécessité de travailler en plus le week-end, de procéder à des aménagements avec l’épouse/l’époux, d’activer des réseaux, etc.

Plus généralement, quels sont les autres attitudes à adopter lors d'une négociation portant sur l'augmentation de salaire ? Quelles sont les limites à ne pas franchir pour être sûr d'obtenir la somme souhaitée ? 

Je dirais, compte-tenu de mon expérience, que la négociation de salaire est sans doute la négociation la plus difficile pour une raison, elle, très simple : c’est que vous demeurez en lien avec votre entreprise. Qu’une négociation d’embauche se passe mal, cela n’est pas très grave car au pire, vous n’avez pas le poste ; de même, une négociation de départ râtée vous fera percevoir moins, mais dans tous les cas, le contrat sera rompu. Dans le cadre de l’augmentation de salaire, vous continuez à travailler dans l’entreprise qui vous verse votre salaire chaque mois. Et l’argent est un sujet particulièrement délicat en France…Il est donc impératif d’argumenter votre demande d’augmentation pour éviter une réaction hostile de votre entreprise à votre égard, pouvant aller jusqu’à la mise à l’écart de projets particulièrement intéressants.

Pour pouvoir négocier, comme je l’ai dit, il faut absolument bénéficier d’une fenêtre de tir. Il est, par exemple, plus que déconseillé de négocier une augmentation de salaire un lundi matin, consacré à la préparation de la semaine ; il convient donc de négocier une augmentation de salaire à partir du mardi.

La négociation doit aussi donner lieu, de votre part, à un peu de créativité, en cas de premier refus de l’entreprise. C’est alors qu’intervient la négociation : vous pouvez, par exemple, demander une augmentation de salaire à condition que certains objectifs bien définis du projet sur lequel vous travaillez soient atteints. Dans tous les cas, la négociation de salaire est une négociation permanente.

A l'inverse, se montrer aussi sûr de soi en utilisant des chiffres précis ne peut-il pas être perçu comme un signe d'intransigeance dans la négociation, et ainsi amoindrir vos chances d'obtenir son augmentation ?

Je pense fortement que oui. La négociation consiste en un accord entre deux parties : le salarié a une vision de ce qu’il vaut, mais l’entreprise a également une vision de ce que le salarié vaut ; et cette vision peut être différente.

Au final, il convient donc de manier avec beaucoup de précaution le chiffrage précis dans le cadre d’une augmentation de salaire : témoignant d’une certaine légitimité économique, il peut malgré tout révéler une certaine intransigeance de la part du salarié. C’est pourquoi, et j’insiste : il est plus que jamais nécessaire, dans ce cas de figure, d’argumenter.

Propos recueillis par Thomas Sila

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